LE METAL SYMPHONIQUE - PART 2 : LES DEMONS



CRADLE OF FILTH - Vempire or Dark Fearytales in Phallustein (1996)

Cradle Of Filth (communément dénommé "Cradle") n’a, comme tout bon britannique qui se respecte, jamais rien fait comme les autres, en prouve l’évolution de sa carrière qui fût tout sauf linéaire et qui semble vouée à ne jamais être figée.
Classer ce groupe dans un style bien précis s’avère être une entreprise fort risquée, mais une chose est cependant certaine : Cradle ne fait plus de black depuis bien longtemps, et cette classification qui lui colle encore et toujours à la peau n’a pour origine que le style pratiqué sur leurs tous premiers albums, datant de plus d’une décennie.
N’en reste aujourd’hui que quelques traces (maquillages, chant criard, blasts parcimonieux), quelques vagues réminiscences du passé qui se sont progressivement estompées au fil du temps.
Encore que les choses ne sont pas aussi simples qu’elles en ont l’air, car si l’on remonte jusqu’à l’extrême pointe des racines musicales du groupe, on se rend compte qu’elles sont résolument ancrées dans le death metal, d’après leurs trois premières démos toutes publiées en 1992 ("Orgiastic Pleasures Foul", "The Black Goddess Rises" et "Invoking the Unclean") et qui suscitent encore à l’heure actuelle un vif intérêt auprès de certains die-hard fans et autres collectionneurs.
La quatrième démo "Total Fucking Darkness" sortie l’année suivante marque une nette évolution stylistique et constitue un tournant crucial dans la carrière de Cradle qui s’y forge une identité propre. Première évolution notable : la voix de Daniel Lloyd Davey (alias Dani, seul et unique membre actuellement rescapé de la formation originelle), essentiellement typée grunt par le passé, se diversifie et le chant criard qui fera la réputation du chanteur commence à faire son apparition. La musique, tout en conservant des réminiscences death, s’ouvre à d’autres courants métalliques (black notamment, mais aussi heavy) et se mêle à des ambiances gothiques de toute beauté, créées à partir de claviers disposant désormais de toute la latitude nécessaire à l’expression d’un romantisme sombre et à l’invocation des créatures de la nuit.
Tel un vampire, Cradle sait se faire séduisant pour mieux happer sa proie. Ne manque qu’une bonne qualité de production pour en faire un chasseur redoutable.

Cette lacune sera en grande partie comblée avec le premier album "The Principle of Evil Made Flesh" enregistré dans la foulée et reprenant les ingrédients de cette démo, tout en enfonçant le pieu.
La production, bien que manquant encore un peu de puissance, s’est nettement améliorée et donne davantage d’ampleur et de cachet aux atmosphères vespérales sublimées par des interventions au piano, clavecin, orgue et autres chœurs de plus en plus en fréquentes et la présence de nombreux interludes purement gothiques. Pour cette nouvelle offrande, les vampires sont accompagnés de séduisants succubes, représentées par des voix féminines essentiellement parlées, se manifestant de manière sporadique mais toujours adéquate.
Cradle a désormais les dents longues et la personnalité dont il fait preuve sur ce premier album est telle qu’elle ne pouvait qu’augurer le meilleur pour la suite.

Et en effet, le meilleur était à venir, avec le second disque répondant au nom de "Vempire or Dark Fearytales in Phallustein" (1996). Notez l’emploi du terme générique “disque” et ce de manière volontaire, du fait de son statut quelque peu “bâtard”. Annoncé comme un EP, c’est finalement un album qui débarque, Cradle voulant à tout prix se débarrasser d’un contrat encombrant avec son label de l’époque, le défunt Cacophonous Records (découvreur de talents hors pair mais extrêmement frileux dès lors qu’il s’agissait d’avancer les pépettes pour la promo et les tournées, comportement qui lui a irrémédiablement causé sa perte), avec lequel il a fait l’erreur de signer pour deux albums.
La configuration des titres et la durée d’ensemble de ce “Vempire” sont plus proches de ce que l’on rencontre habituellement pour un EP, mais il s’agit bel et bien d’un véritable album contractuellement parlant. Ceci dit, il est inutile de disserter pendant des heures sur le statut très particulier de ce disque : il est comme il est, et ça ne l’empêche pas de constituer le sommet artistique de la carrière des britanniques.
L’évolution par rapport à son prédécesseur “Principle …” est énorme, et ce à tous les niveaux.
Visuellement parlant, le groupe se détache quelque peu de l’imagerie purement metal pour adopter un look très inspiré gothique. L’artwork s’affine et s’enrichit de la présence de pléthore de jeunes filles aussi belles qu’énigmatiques, aussi attirantes qu’inquiétantes, ce qui reste encore aujourd’hui une caractéristique essentielle des artworks de leurs albums (et il faut bien reconnaître qu’à ce niveau-là, Cradle a toujours fait preuve de bon goût).
Niveau voix, Dani abandonne définitivement les vocaux éraillés caractéristiques du premier album pour se concentrer sur un chant à la fois plus extrême et sans demi-mesure : grunts abyssaux et cris suraigus.
Musicalement parlant, les racines death ont définitivement été reléguées au caveau pour ne plus jamais en sortir et laissent désormais la place à une approche globalement plus heavy et mélodique, mais aussi plus orchestrale grâce aux claviers disposant d’une marge encore plus conséquente, tout comme le chant féminin qui a également gagné en diversité, tous ces éléments s’imbriquant à la perfection dans des compositions beaucoup plus travaillées, plus raffinées et sublimées par une qualité d’interprétation au top.
Tout autant de qualités qui permettent une appréciation optimale des ambiances dignes des meilleurs films d’épouvante, dans lesquelles nous sommes directement plongés avec l’ouverture “Ebony Dressed for Sunset” d’une rare agressivité pour une intro d’album dit “symphonique”. La morsure est brutale et douloureuse, la vampirisation immédiate, mais diable que c’est bon.
Cradle se montre tout aussi à l’aise dans les compositions purement atmosphériques, en témoigne l’instrumental néo-classique “She Mourns a Lengthening Shadow”, magnifique comme un coucher de soleil rougeoyant tombant sur un cimetière abandonné, laissant progressivement la place au crépuscule tandis que les ombres des pierres tombales s’étirent indéfiniment jusqu’à recouvrir la terre de leur sombre manteau, au son de ténébreuses nappes d’orgue clôturant le morceau. Sublime ! Tout comme l’auto-reprise “The Forest Whispers My Name” révélatrice des progrès réalisés par la formation britannique depuis son premier album. Dopée aux orchestrations et aux chœurs féminins grandioses, aussi envoûtants et irrésistibles que l’appel d’un succube, cette nouvelle version fait presque passer l’originale pour une vulgaire démo garage.
Dans un registre plus violent, “Nocturnal Supremacy” se distingue par des riffs aussi acérés que les canines d’un vampire affamé, dont certains portent la signature de Paul Allender dont on reconnaît le style de riff caractéristique, même s’il n’a pas participé à la phase d’enregistrement de “Vempire”.
Mais là où cet album frappe très fort et atteint un statut de véritable chef d’œuvre, c’est avec ses deux pièces maîtresses que sont “Queen of Winter, Throned” et “The Rape and Ruin of Angels”. Deux longs morceaux à tiroirs et aux rebondissements incessants, démontrant toute la force de frappe dont est capable le sextet britannique : accélérations furieuses, breaks meurtriers, passages heavy ébouriffants, orchestrations imposantes et symphonies ensorcelantes. Deux titres comme jamais plus Cradle n’a été capable d’en composer. Avec une mention spéciale pour le premier cité où les choristes (dont la fameuse Sara Jezebel Deva intronisée sur cet album et qui accompagnera le groupe durant tout le restant de sa carrière, que ce soit en studio ou sur scène) font des merveilles, leur chant se déclinant en mélopées vénéneuses et en phrasés charmeurs, jusqu’à atteindre l’orgasme.
Ajouté à cela une hargne transparaissant à chaque instant et une qualité de production optimale (ce qui n’a pas toujours été le cas dans la carrière du groupe, loin de là, aussi est-il important de le signaler), conservant toute sa puissance, sa clarté et son tranchant même après une bonne dizaine d’années, et vous obtenez LE classique de Cradle : un “Vempire” qui porte admirablement bien son nom tant Cradle n’y est jamais apparu aussi mordant.

Et pourtant, certains travers qui deviendront récurrents dans la suite de la carrière du groupe commencent à transparaître dès cette époque : les changements de line-up, la moitié ayant été éjectée et remplacée entre “Principle” et “Vempire”. Il serait fastidieux d’énumérer toutes les perturbations de ce genre qu’a subi Cradle tout au long de son histoire, tant le turnover fût digne d’une multinationale en crise. En effet, jamais le même line-up n’a pu être conservé sur deux albums consécutifs, et il est évident que la suite de la carrière de Cradle en souffrira énormément, bien que Dani, son leader de toujours, prétende le contraire.
En cela, les albums “Dusk… and Her Embrace” et “Cruelty and the Beast”, malgré leur indéniables qualités, sont l’arbre qui cache la forêt : Cradle allie succès artistique et commercial, et les symptômes du malaise n’étaient peut-être pas forcément visibles à cette époque même, mais il est clair, avec le recul, que la formation était déjà fortement minée de l’intérieur par de graves problèmes de cohésion. Deux albums qui auraient eu tout le potentiel pour être des chef-d’œuvres en puissance, mais qui ont malheureusement loupé le coche, la faute essentiellement à une qualité de production indigne des moyens que leur a pourtant conféré leur maison de disque de l’époque (Music For Nations).
“Dusk”, sorti peu après “Vempire” et dont les morceaux sont issus des mêmes sessions, est pourtant bien moins convaincant, malgré son statut culte auprès d’un bon nombre de fans : Cradle y a perdu un grande partie sa hargne, et l’approche plus mélodique et plus posée proposée par le groupe, s’éloignant ainsi de son black d’antan, n’explique pas tout. Il y a également ce son étouffé gênant l’écoute et empêchant à l’album de prendre toute son ampleur. D’ailleurs, pour l’anectode, Dani a toujours reconnu sa volonté de faire remixer cet album s’il en avait la possibilité (ce qui aurait été une excellent initiative à une certaine époque, mais plus forcément aujourd’hui, car quand on voit ce que Cradle est devenu, il vaut certainement mieux que “Dusk” reste tel qu’il est…).
La production manque singulièrement de peps, certes, mais ce n’est rien en comparaison de celle de “Cruelty” (1998), purement catastrophique, mais qui n’empêchera cependant pas ce concept-album basé sur l’histoire de la Comtesse Bathory de connaître un succès commercial sans précédent pour un album de metal extrême auprès du grand public.
Seuls la voix de Dani et les claviers sont correctement mixés, ces derniers étant placés très en avant (à un point où ça en devient même un jubilé !), ce qui n’a rien de surprenant au vu de leur valeur esthétique, aussi majestueuse qu’horrifique. Les guitares, quelque peu approximatives et manquant parfois d’épaisseur, sont beaucoup moins à la fête. Mais le réel point faible de l’album réside dans la dynamique basse/batterie, quasi inexistante car honteusement sous-mixée, non … massacré, et tirant irrémédiablement l’album vers le bas. Du gâchis, purement et simplement !

Les tensions au sein du groupe s’amplifient, conduisant à ce qui lui pendait au nez depuis déjà bien longtemps : l’implosion.
Cradle connaîtra alors la période la plus difficile de son existence, de laquelle il a bien failli ne jamais se relever, ne devant sa survie qu’à la foi inébranlable de son caractériel leader, l’increvable Dani. Mais peut-être (pour ne pas dire certainement) aurait-il été plus sage de savoir s’arrêter au bon moment, car la mort est toujours préférable au déshonneur.
Bien sûr, commercialement parlant, les productions suivantes n’ont jamais eu à souffrir de ventes désastreuses et le groupe a même réussi à signer avec des majors (Sony Music, Roadrunner) qui ont bien senti en lui la vache à lait en puissance. Cependant, du point de vue artistique, ça a très souvent frisé le néant, en s’y vautrant parfois.
Les bides se sont accumulés, avec parmi eux les deux EP “From the Cradle to Enslave” (1999) et “Bitter Suites to Succubi” (2001). Le premier cité ne vaut que par son morceau-titre, le reste n’étant qu’un amalgame entre un inédit fort dispensable, des reprises sans intérêt et un remix techno vomitif. Le second, annoncé par Dani (avec son habituel sens de la mesure…) comme un alter-ego de “Vempire”, n’est en fait qu’une succession de compositions inintéressantes, pas finalisées et mal enregistrées. Navrant !
Autre bide, et fort comique celui-ci : la vidéo “PanDaemonAeon” (1998), avec notamment le clip “From the Cradle to Enslave”. Annoncé comme choquant et effrayant au possible, ce clip n’est au final qu’une série Z aux effets spéciaux foireux et hilarants, mais qui permet tout de même de se mater quelques nanas fort bien roulées, seul point valable que l’on en retiendra.
Autre pétard mouillé : l’infâme “Damnation and a Day” (2003), se voulant un concept-album, mais manquant singulièrement de la cohérence, de l’homogénéité et surtout du souffle épique pourtant indispensables pour ce type d’exercice. Un désastre, d’autant plus que l’orchestre symphonique, annoncé en grande pompe, se retrouve sous-exploité et mal intégré à la charpente musicale, un peu comme si Cradle n’avait pas trop su quoi en faire. Il est d’ailleurs fort à parier que sa présence n’ait été dictée que par l’emploi qui en avait été fait deux ans auparavant par “l’ennemi juré” Dimmu Borgir sur son “Puritanical Euphoric Misanthropia” (Dani aurait-il pêché par excès de jalousie ? … Surtout qu’il n’a semble-t-il jamais digéré la présence du dissident Nick Barker chez la concurrence …). Enfin, tout ceci n’est que suppositions et supputations.

Tout n’est cependant pas à jeter dans l’ère post-Cruelty, la bande à Dani ayant parfois réussi à sortir un peu la tête de l’eau, sans toutefois atteindre des sommets (en y étant même très loin…).
“Midian” (2000) par exemple, sympathique sans être génial, mais qui avait l’intérêt de marquer un retour en (petite) forme après une longue période de trouble.
“Nymphetamine” (2004) peut également être considéré comme sauvé du naufrage. Mieux produit, plus inspiré et plus cohérent que son prédécesseur “Damnation and a Day”, il donnait l’illusion d’un Cradle reparti sur de bons rails. Illusion réduite en miettes à l’écoute du dernier album en date : l’insipide “Thornography” (2006), certes très bien produit mais aux riffs mille fois rebattus, sans compter que la présence des claviers, qui ont toujours constitué l’un des principaux attraits de la musique de Cradle, a été nettement revue à la baisse.
Une dernière galette sans grand intérêt, si ce n’est celui de confirmer que le vampire autrefois redoutable à bel et bien perdu son aura, et ne fait aujourd’hui plus peur à personne avec ses canines émoussées et son haleine empestant l’ail. Il en est même presque risible … ou pitoyable, selon l’humeur du moment.
Triste destin que celui-ci, pour une carrière où inspiration artistique et qualité de production n’ont jamais fait bon ménage, à l’exception du seul et unique “Vempire” parfait jusqu’au bout des ongles … et des canines. Mais c’était il y a des lustres et très honnêtement, il serait douteux de voir Cradle retrouver aujourd’hui sa superbe d’antan. Franchement, qui serait assez fou pour oser y croire encore ? Peu de monde assurément, mais chacun sait que dans la vie tout est possible, allez-vous rétorquer … Alors, Cradle finira-t-il sa carrière dans le déshonneur le plus total ou parviendra-t-il à partir sur un ultime coup d’éclat ?

Fais ce que tu dois, advienne que pourra …

EMPEROR - In the Nightside Eclipse (1994)

Emperor est une figure légendaire du black metal norvégien. Au tout début des années 90, les tout jeunes Vegard Sverre Tveitan et Thomas Thormodsaeter, autrement dit Ihsahn et Samoth évoluent d’abord dans le sombre groupe de death / dark Thou Shalt Suffer avant de se tourner d’avantage vers le black metal. Après une démo obscure et crue, "Wrath of the Tyrant" (1992), Candlelight donne sa chance au jeune combo sur un split aux côtés d’une autre légende nordique, Enslaved. Là, Emperor commence à trouver sa voie avec le fameux "I Am The Black Wizzard" ou l’agressif "Night of the Graveless Souls".

Par contre, la sortie de leur premier album va complètement bouleverser le paysage du black metal et provoquer un renouveau et une explosion du style qui aura pour effet de porter un coup très rude au death metal.
En effet, ce disque est la référence absolue en matière de black metal symphonique, pour la bonne raison que c’est avec "In the Nightside Eclipse" (1994) enregistré au désormais légendaire Grieghallen Studio que les bases du style ont été posées. Un élément va en effet tout changer par rapport à leurs productions précédentes : l’utilisation d’un clavier, chose peu commune à l’époque.
Tout d’abord, comment ne pas évoquer le magnifique artwork de Necrolord et ce paysage d’hiver sombre et bleuté aussi épique qu’inquiétant qui reste à tout jamais l’une des pochettes musicales les plus réussies et réputées.
Dès l’intro de "Into the Infinity of Thoughts", on sent déjà le souffle maléfique et froid des norvégiens nous envahir, un souffle mystique et misanthropique nous balayant durant ces 9 minutes d’une exceptionnelle intensité. D’aucun considère que Emperor a provoqué l’arrivée d’une ribambelle de groupes de black metal utilisant le synthé à outrance et déviant singulièrement de l’esprit de base de cette musique, mais ce n’est quand même pas la faute de Samoth et des siens si la plupart de leurs clones n’ont jamais pu atteindre leur niveau et sont parfois tombés dans la mélodie à gogo et dans un adoucissement outrancier.
En tout cas, tout au long de cette galette, les linéaires tranchants de Samoth sont accompagnés par ce synthé hypnotique et la voix venimeuse de Ihsahn. Avec des titres comme "Toward the Pantheon", on atteint des sommets dans l’art de captiver l’auditeur et faire participer celui-ci au voyage spirituel et initiatique vers la gloire, toujours avec ses riffs agressifs alternant ou se superposant au tout puissant clavier. La galette finit même en apothéose, avec "Inno a Satana", sa misanthropie, sa supériorité et sa dévotion envers les forces obscures à la face de l’humanité.
"In the Nightside Eclipse" et ses compositions fabuleuses ont provoqué un renouveau et un regain d’intérêt immense pour la scène black metal, entraînant dans son sillage des groupes comme Dimmu Borgir, Setherial ou Gehenna, la nouvelle génération du black metal.

Nous passerons rapidement sur les ennuis de Samoth emprisonné pour avoir incendié une église, et de Faust le batteur condamné pour meurtre. Sachez qu’à la libération de Samoth, les norvégiens recrutent le talentueux Trym Torson à la batterie et sortent en 1997 leur album le plus ambitieux à ce jour, "Anthems to the Welkin at Dusk", chef d’œuvre de puissance, d’arrangements et de compositions qui a tendance à s’éloigner singulièrement du black metal pratiqué à l’origine avec des titres d’une maturité incroyable et d’une subtilité qui n’a d’égale que leur pouvoir hypnotique, "The Loss and Curse of Reverence" et "With Strength I Burn" se rajoutant aux classiques de Samoth et sa bande.
Après un split assez expérimental avec Thorns et son black metal complètement barré, Emperor sort "IX Equilibrium", bon album, mais moins fouillé et recherché que son prédécesseur, plus axé sur l’efficacité à l’image du titre d’ouverture "Curse You All Men !".
Heureusement, après un live ("Emperial Live Ceremony"), Emperor sort de nouveau un album majestueux, moins agressif, plus prog : "Prometheus – The Discipline of Fire and Demis"e est un testament grandiose, car cet album est bien le disque d’adieu du groupe qui a donné ici tout ce qu’il avait dans les tripes au travers de titres comme "Depraved" ou "In the Wordless Chamber".
Samoth et Trym se consacrent désormais à leur excellent groupe de death metal Zyklon et, malgré une reformation live pour le Hellfest 2007, Emperor est toujours en sommeil, provisoirement nous l’espérons.

LIMBONIC ART - Moon in the Scorpio (1996)

Si l’on remonte vers 94, on s’aperçoit que Emperor fut le premier groupe à utiliser les claviers dans le black metal comme cinquième roue du carrosse sur "In the Nightside Eclipse". Cet album, qui resta un petit temps dans l’anonymat, suscita par après mille convoitises et milles reprises de la part de formations souvent très contestées dans le milieu. Les claviers vernis à double couche ne faisaient pas toujours bon ménage avec l’agression propre au genre, peut-être est-ce dû à une mauvaise interprétation de celui-ci, une tentative de donner la grande éloquence au black metal qui ne pouvait, au final, que vivre sans.
Mais parmi ces formations, certaines ont réellement tiré leur épingle du jeu, certaines sont parvenues à préserver les lettres de noblesses de l’art noir tout en lui insufflant une autre dimension. Il y a eu Emperor, qui évolua au point de s’éloigner totalement du genre, et Limbonic Art. Par là, vous vous imaginez le fameux groupe de death symphonique pompeux ?
Oui, c’est exact. Mais il fut un temps où il fut le seul à tenir le black symphonique en respect, un temps où il parvint à réaliser un opus qui pouvait réellement se permettre de porter cette étiquette sans se faire rouler dans la boue : "Moon in the Scorpio". Leur tout premier album, devenu quasi-légendaire. Mais cette fois-ci nous ne sommes ni six pieds sous terre couverts de sang et de souffre, ni perdus dans une forêt enneigée, ni au cœur d’un combat terrifiant. Ce que nous voyons s’apparente plus à une carte 3D du cosmos, ses nébuleuses, ses supernovas, le tout dénué d’approche fantasmagorique ou de fabuleux, mais baigné d’une aura inquiétante.

Tout d’abord, Limbonic Art, ce sont deux hommes : Vidar Jensen alias Daemon, guitariste hurleur de la petite formation, et Krister Dreyer alias Morfeus, posé à la guitare mais aussi derrière ses claviers, épiçant la musique de quelques passages de chant clair.
Et "Moon in the Scorpio" est une symphonie de l’ombre. Ha ha ha ! Très drôle, Arch ! Bon… le terme pourrait en déranger quelques uns, évidemment. Mais si nous ne sommes pas aux côtés d’un compositeur et de l’orchestre polyvalent qu’il animera de ses œuvres, les teintes offertes par le clavier de Morfeus regorgent d’une richesse harmonique, d’une emphase, d’une luxuriance étonnamment proches d’une fugue à Jean-Sébastien Bach. Analysons donc ces structures…
La première constatation que le mélomane pourrait déduire, c’est cette organisation au sein du petit orchestre. Morfeus dirige l’ensemble… Voilà une chose plutôt surprenante pour un disque qualifié de metal. Mais réelle. Ainsi donc, la bête évolue essentiellement sur les claviers, ceux-ci, tel un narrateur au charisme obsédant, racontent l’odyssée mélodique de l’ensemble. Usant de sonorités néo-classiques artificielles (de l’orgue aux violes en passant par le piano traditionnel et les sonorités plus légères telles les instruments à vent) mais convaincantes cependant, l’univers aussi scintillant qu’hermétique de "Moon in the Scorpio" prend une forme aux milles couleurs, celles-ci maintenues en une palette sombre uniquement grâce aux modes et gammes utilisés. Il est vrai que le rendu général contient un certain côté kitsch qui pourrait en rebuter plus d’un, ceci concernant surtout les oreilles sensibles à l’acoustique instrumentale.
Les guitares, quant à elles, tendent la toile de fond, forment un mur massif et froid, générateur de l’atmosphère pesante et sulfureuse que le black metal génère depuis toujours. Si les ambiances n’en sont pas poisseuses pour autant, l’aura maléfique tient cependant debout. Une caractéristique qui donne toute finition à la musique de Limbonic Art en cette période.
Celles-ci maintiennent donc l’émotion en condition tout en ne se refusant pas quelques altérations bienvenues, telles celles des épisodes finaux des deux premiers titres. Le seul reproche que l’on pourrait faire au groupe, c’est de leur avoir attribué ce grain un tantinet trop cru pour l’approche désirée, chose à laquelle il est bien entendu possible de s’habituer.
La batterie programmée, quant à elle, parfaitement ciselée mais manquant un peu de mordant sur certains points, se voit entièrement adaptée au contexte général par sa sonorité typique, correctement réverbérée et aérienne.
Côté influences, on sent que Emperor est passé par là, mais l’ensemble se veut pourtant bien différent conceptuellement. Je dirais même que c’est avec cet opus que la symphonie dans le black metal aura acquis son propre podium artistique, palmarès qu’elle perdra à jamais. Car "Moon in the Scorpio" est le seul véritable aboutissement du groupe. Après avoir sorti un "In Abhorrence Dementia" plus puissant et plus travaillé mais sensiblement moins passionnant, Limbonic Art recherchera les vertus de la puissance technique armé de son compositeur abouti, chose qu’il ne trouvera jamais véritablement. Pourtant, ce disque possède tout le pouvoir nécessaire pour ravir les grands amateurs de musicalité. D’une complexité harmonique évidente, il pourrait même faire naître des sourires béats chez les inconditionnels du baroque et du classicisme.

Oh oui ! "Moon in the Scorpio" possède un immense pouvoir et ses fresques sont un voyage interstellaire à en pleurer d’admiration. Le Carmina Buranien "Through the Gleams of Death" et ses compositions mesquines à la Carl Orff. Le titanesque "In the Mourning Mystique", la balade de l’absolu, le reflet du sang d’encre sillonnant les veines d’un colosse en ébène, la terrifiante conclusion "Darkzone Martyrium", le feu du ciel qui s’abat sur le paysage luxuriant, une progression qui me rappelle justement la Walkyrie, célèbre opéra de Richard Wagner vers sa conclusion. Le puissant morceau-titre, ses yeux nocturnes et sa fin impériale, non pas par sa grandiloquence mais par l’impression de bal fantôme qu’elle produit inexorablement.
"Moon in the Scorpio" : un grand disque, une innovation, une révélation et une référence aujourd’hui, si pas la référence du démon du metal symphonique. Il restera pour moi, le meilleur opus de black symphonique parvenu à mes oreilles. Oh que de bonheur !

DIMMU BORGIR - Enthrone Darkness Triumphant (1997)

On ne présente plus les norvégiens, désormais parmi les plus médiatiques des groupes de metal extrême, incarnant LE black metal aux yeux du monde profane qui en ignore les rouages véritables.
Pourtant, tout commence réellement dans l’underground norvégien du début des années 90. Formé en 1993 dans l’effervescence que l’on connaît chez les vikings, Dimmu se démarque dès son premier album, "For All Tid", par l’utilisation massive de claviers et un black relativement aérien. Les norvégiens restent cependant dans un registre black assez pur, la froideur de ses riffs et son chant torturé en langue norvégienne étant sans équivoque. En 1996, deux ans plus tard, "Stormblåst" confirme nettement l’indépendance musicale de Dimmu Borgir, qui privilégie indiscutablement les ambiances glacées et mélancoliques plutôt que les accents les plus guerriers du black. L’album fait vraiment parler de lui, et d’ores et déjà Dimmu Borgir se fait un nom, à côté de quelques autres acteurs aux dents longues qui commencent à définir concrètement le black dit symphonique.
Preuve que l’approche mélodique de Dimmu Borgir augure d’un potentiel pouvant toucher un public plus large que la seule scène black metal, le groupe se fait signer ni plus ni moins par Nuclear Blast. Ce qui constitue une des premières ruptures avec les principes du mouvement black metal, scindant quelque part son public.

Que doit-on attendre de ce nouvel album chez ce label poids lourd du metal, le dénommé "Enthrone Darkness Triumphant", qui sort en 1997 ? … Que du bien… Si certaines craintes que pouvaient afficher la frange dure des blackeux se confirment (un exemple parmi d’autres étant le chant en anglais désormais imposé), l’évolution nette de Dimmu Borgir lui ouvre de belles perspectives.
Bénéficiant d’une production de haut niveau, le groupe enrichit considérablement les structures de son metal. Si le black reste affleurant d’une bonne partie des compositions, les structures rythmiques carrées et bien ficelées empruntent au metal plus classique. On note surtout une propension nette à l’orchestration symphonique, moins aérienne et mélancolique que par le passé, définitivement plus monumentale et grandiloquente. Le talent de Dimmu Borgir apparaît dès lors indiscutable. Point de tournure trop baroque et de surcharge pompeuse, l’équilibre des atmosphères est remarquable, entre passages sombres, tantôt lents, tantôt rapides, et breaks plus nuancés où la noirceur globale revêt des atours diablement esthétiques.
"Enthrone Darkness Triumphant" apparaît donc comme un nouveau départ pour le groupe. Il s’agit de l’album d’une certaine propension à l’excès : plus de puissance, plus de complexité, plus d’orchestration, plus de vitesse aussi, là où paradoxalement le Dimmu Borgir des premières heures jouait davantage sur la linéarité et la froideur des ambiances, plutôt que sur l’exubérance déployée ici. Quittant ainsi ses effluves de black atmosphérique globalement restreintes au public du métal noir, Dimmu Borgir s’attire les faveurs d’une population plus variée et plus massive, qui apprécie sa richesse émotionnelle plus directe et accessible. Dimmu trouve surtout sa place de choix au moment où le black atmosphérique explose.
Approchant par moments la furie échevelée d’un Emperor ("Tormentor of Christian Souls", "Master of Disharmony"), rivalisant avec l’orchestration léchée d’un Limbonic Art ("Mourning Palace", "A Succubus in Rapture") tout en gardant toutefois une assise guitaristique et rythmique autrement plus consistante que ce dernier, Dimmu Borgir se démarque également d’un Cradle Of Filth en conservant un caractère plus cru et peut-être plus authentique (avec notamment un chant plus profond).

Désormais, Dimmu Borgir ne va plus stopper son ascension, devenant le premier groupe du genre à entrer régulièrement dans certains billboards européens et américains. Poursuivant inlassablement son évolution artistique vers des sphères symphoniques, allant même jusqu’à solliciter un orchestre philharmonique pour le fameux "Death Cult Armaggedon", le groupe norvégien est désormais un poids lourd du metal en général, abandonnant par la même ses derniers liens avec le black metal originel. Que de chemin parcouru depuis les débuts obscurs de 1993…

KADENZZA - The Second Renaissance (2005)

Il était une fois un pays lointain. Une terre restreinte et hostile constituée de plaques tectoniques instables. Son nom : le Japon. En ce pays à l’histoire mémorable et tragique, la technologie fut un élément salvateur pour la population. Celle-ci parvint à s’épanouir culturellement comme beaucoup d’autres. C’est en ces terres reculées que naquit un jeune homme ambitieux et inspiré par l’osmose de sa culture, le metal le plus occulte et les œuvres de Koizumi Yakumo. Ce garçon du nom de You Oshima est un musicien qui, las de l’absolutisme gérant de disputes et désaccords propres aux groupes musicaux, décide en 2002 de monter son projet solo : Kadenzza (origine du nom : Cadenza, mélodie prononcée typique vers la fin d’un concerto d’ensemble pour violons).
Notre héros est un virtuose accompli et autodidacte, un mélomane hétéroclite par excellence, un artiste polyvalent, un compositeur de haut rang, un technicien brillant et un beau garçon jeune et bien bâti. Il possède donc une sacrée gamme d’atouts pour produire une bombe symphonique pleine de tubes et d’emphase mouilleuse de jupes faciles. Peut être cela se serait-il produit si notre héros ne possédait pas les qualités les plus essentielles du monde de la musique : l’inspiration et le goût de l’aventure. Oui, You Oshima est un garçon passionné et occupé. Imaginatif et branquignol. Et son œuvre est le portrait de son petit monde intérieur comme tout compositeur qui se respecte.

"Kadenzza, en terme de Metal extrême, c’est un enfant de l’ère technologique numérique du 21ème siècle !", dira-t-il lors de l’interview qui suivit son premier véritable album "Into the Oriental Phantasma". Qualifié par son créateur de "Symphonic Kamikaze Metal", l’influence du metal extrême typiquement européen (par ailleurs la forte influence de Emperor – Prometheus – sur sa musique) mêlée à l’art noir japonais s’y est vue pour la première fois dévoilée. Car ce que Sigh, groupe nippon de référence, inventa et transcenda, Oshima le reformule en y inversant carrément les caractères de base. Auteur d’une musique narrative et visuelle à 100%, l’appellation symphonique n’en est pas un terme galvaudant tant les orchestrations s’y voient travaillées. Seul et unique musicien (guitariste, brailleur et programmeur), il place tout en œuvre pour permettre à notre cerveau de créer une bande cinématographique. Ce premier album souffrait d’un manque de maîtrise évident et sa gourmandise stérile en aura fait ronfler plus d’un. Mais lorsqu’en 2005, "The Second Renaissance" paru, Oshima prouva que son travail n’en était qu’à quelques miles de son aboutissement.
Le côté progressif du disque s’est largement étalé, permettant aux soli de côtoyer les claviers de manière plus efficace. Les structures trop simplistes de l’époque ont été entièrement remaniées pour coller avec cohérence au petit orchestre. Les inspirations néo-classiques sont bien plus matures et travaillées, baignées d’une aura qui sent bon le baroque et fortement soutenues par une production bien plus adoucie. Kadenzza s’est métamorphosé, son unique protagoniste laissa de côté le power-chord et les nappes de claviers ambiantes pour se concentrer sur un véritable dialogue entre les différents instruments.
On remarquera les mélodies doucereuses sous l’agression un peu superficielle de "Ghost in the Shell", un titre présent comme dernier lien entre "Into the Oriental Phantasma" et "The Second Renaissance", la structure facile encore présente. Mais dès "The Embers of Reverie", You Oshima se prend en main et dessine sa pièce de manière bien plus progressive et alambiquée, chose qui colle si bien avec le concept tout en couleurs. Car oui, ce disque n’a rien de malsain (à l’inverse de "Hail Horror Hail" de Sigh). Il pousse le tempérament déjanté typiquement nippon moderne vers un mélange de contemplation enfantine et de symphonie numérique qui, il faut l’avouer, porte en elle toute la valeur du disque. Après un instrumental "Utakata" très immersif mais dont la conclusion s’avère discutable par son côté plastique grimaçant, une suite conceptuelle de 4 titres (narration de l’histoire du petit chaperon rouge version série B finissant en queue de poisson) prouve indiscutablement la large étendue des explorations harmoniques et structurelles de l’artiste. Particulièrement ce "Mother’s Flesh", titre furieux et inquiétant départagé entre violence et hypnotisme, la pièce la plus impressionnante du disque sans aucun doute.

"The Second Renaissance" est un disque qui mérite amplement ce titre controversé de “symphonique”, malgré le riffing trop hétérogène et sous-jacent susceptible de faire dresser les cheveux à un puriste des ritournelles guitaristiques, ce que Emperor mania à la perfection sur son dernier opus justement. La texture très artificielle de l’ensemble pose elle aussi par moment un problème, châtiant la dimension très occulte que You désire approcher et son chant trop trafiqué ne sauve malheureusement rien. Il est donc préférable de se concentrer sur la structure et les harmonies orchestrales imperfectibles. Elles seules démontrent avec brio le vrai talent de notre héros qui, nous l’espérons dans l’avenir, perfectionnera et concrétisera davantage son fabuleux projet pour obtenir la fin de l’histoire : “Et il vécu satisfait et fit naître le chef d’œuvre que tout le monde attendait.”

A suivre…

SEPTIC FLESH - Esoptron (1995)

Il faut dire ce qui est, cela fait des siècles voire des millénaires que les Grecs ne font rien comme les autres. Déjà dans les temps antiques, il a fallu que ce drôle de peuple se distingue de la masse barbare environnante en inventant des trucs aussi curieux que la philosophie, la politique, la démocratie ou encore les jeux olympiques. Et le pire, c’est qu’à l’opposé de ce côté policé et diablement civilisé, les hellènes n’en étaient pas moins capables de verser dans l’excès de brutalité (vive les spartiates), voire d’afficher des mœurs sexuelles que la bienséance de ce site m’interdit de commenter.
Trois milles ans après, rien n’a profondément changé. Et quand les frères Antoniou (Chris et Spiros) et leur copain Sotiris se décident à former un groupe de death metal, ils le font à la sauce grecque, si je puis dire : en inventant un concept qui n’existait pas jusque là, et en exacerbant délicieusement le combat entre la lumière et l’obscurité. Même le nom choisi incarne bien ce goût du paradoxe : à part les grecs, qui aurait pu inventer le concept de la viande sceptique ?
Bien sûr, il fallut un peu de temps à Septic Flesh pour se faire accepter et reconnaître en ce début de la décennie 90. Ce fût toutefois chose faite au moment même où le death se mettait à chercher son second souffle. Et il fallait bien tomber sur cette auberge espagnole qu’était (et est toujours) le jeune label Holy Records, pour que nos jeunes hellènes fassent leur nid douillet au milieu d’autres bizarreries métalliques.
Et là, le premier pavé dans la mare : "Mystic Places of Down", un album détonnant en cette année 94 qui voit une certaine frénésie dans le metal extrême, voire un éclatement stylistique conférant au mouvement brownien.
Pour Septic Flesh, les intentions sont claires : l’album est un magnifique témoignage du talent artistique déjà bien présent, mais surtout de l’extrême ambition du trio. Sur une base death metal très rugueuse (le growl de Sotiris est saisissant), tantôt lourde, tantôt rapide, s’émancipent les élans et les ambitions symphoniques démesurés de Septic Flesh. Utilisation abondante des claviers, constructions à tiroirs et atmosphères monumentales. La volonté d’emprunter à la musique classique est assumée, et si l’album recèle encore de ces imperfections et de ce manque de fluidité que l’on prêtera à la jeunesse du groupe, Septic Flesh invente d’ores et déjà une nouvelle forme de death metal, définitivement symphonique.

Un an plus tard, avec une seule guitare (Chris n’est pas présent sur cet album), mais avec le plein d’idées et d’inspiration, le groupe fait mouche avec "Esoptron", qui transforme brillamment l’essai. Plus fin, mieux fini et mieux pensé, le death monumental et symphonique de Septic Flesh est un voyage auditif extraordinaire. Le paysage prend forme dans l’imaginaire : il s’agit bien d’antiquité, dans ce qu’elle a de plus mystique et plus impressionnante. Et surtout, sa musique, très équilibrée entre la recherche mélodique s’appuyant en priorité sur des claviers d’une grande élégance et la robustesse colérique des puissantes rythmiques de guitare et de la batterie de Kostas (batteur de session), prend un relief émotionnel impressionnant. Car plutôt qu’une simple juxtaposition, le travail de composition est un travail d’orfèvre, affichant une cohérence musicale exemplaire qui transporte véritablement l’auditeur.
Cette fusion entre un romantisme empreint à la musique classique et la brutalité de son style de base fait jurisprudence, et surtout, attribue un statut à part à Septic Flesh. Il ouvre ainsi les portes à d’autres groupes qui s’engouffrent dans cette voie, sans toutefois jamais atteindre la monumentalité et le relief de son mentor, même si ses contemporains de la scène grecque sortent dans la même période de solides références (Nightfall, Rotting Christ).

La suite de la carrière de Septic Flesh ne connaît pas de faiblesse et, sûrs de leur fait et de leur talent, les compères prouveront qu’ils n’ont pas l’intention de brider leur audace, de "Ophelian Wheel" jusqu’au tout récent "Communion", un parcours qui fera l’objet d’un futur focus des Trublions.
En aparté, pour appuyer un peu plus mon postulat scabreux, il a quand même fallu que ce soit un groupe grec qui fasse figure d’intrus dans la sélection des démons.
Seul groupe de death metal au milieu de la bande, il prouve cependant que le symphonique peut prendre des formes diverses, et qu’à l’instar du black metal, celui-ci peut également faire bon ménage avec mélodies et claviers, quand cela est fait avec grandeur et talent.

BAL SAGOTH - Starfire Burning Upon the Ice-Veiled Throne of Ultima Thule (1996)

Cacophonous Records a fait émerger, grâce à son catalogue, quelques groupes intéressants (je ne parle pas de leur fond de catalogue pourri et de Twilight Ophera et Abyssos, hein…) au milieu des années 90. C’est ce label qui a lancé la carrière de Gehenna, Cradle Of Filth et Bal Sagoth notamment.
Ces derniers pratiquent sur leur premier album "A Black Moon Broods Over Lemuria" un death / black symphonique des plus originaux. A cette époque, Byron et ses sbires ont souvent été comparés à tort à la bande à Dani à cause de leurs mêmes label et nationalité. Pourtant, les titres du premier album "Witchstorm", "Enthroned in the Temple of the Serpent King" ou l’épique "A Black Moon Broods Over Lemuria", mettant l’accent sur une idéologie mystique et guerrière, sont très éloignés musicalement du style vampirique de Cradle. Néanmoins, Bal Sagoth profite du succès de ses compatriotes de la même écurie pour asseoir sa notoriété et va frapper un grand coup (de hache bien sûr) avec sa deuxième réalisation en 1996.

En effet, avec "Starfire Burning Upon the Ice-Veiled Throne of Ultima Thule", non seulement le groupe bat le record du titre d’album le plus long, mais il sort surtout son chef d’œuvre incontesté à ce jour. Dès l’intro, "Starfire Burning…" donne le ton, imposant ses parties de synthé puissantes et grandiloquentes, qui invitent à suivre Bal Sagoth au cœur de ses batailles épiques ! Mais, bien que les claviers soient omniprésents, ces derniers ne couvrent pas le reste de la musique, évitant le piège trop souvent rencontré chez les formations black metal de l’époque.
De plus, les compositions gagnent en cohérence et en puissance, à l’image du somptueux “As the Vortex Illumines…”, où les riffs se veulent à la fois plus compacts et plus subtils, bénéficiant enfin d’un son à la hauteur du talent du combo britannique.
Le chant de Lord Byron a lui aussi évolué pour coller au mieux à la dimension épique des anglais. Ainsi, on peut retrouver régulièrement des parties de narration bien senties entre des parties plus brutales, le seul regret étant l’abandon du chant death.
Chaque morceau dégage ainsi un pouvoir symphonique et guerrier exceptionnel et, à la seule écoute des superbes “To Dethrone the Witch Queen…” et “The Splendour of a Thousand Swords…”, l’auditeur pense immédiatement à Conan Le Barbare, s’imaginant en guerre contre des hordes sanguinaires.

"Battle Magic", paru deux ans plus tard, applique la même recette et connaît un succès commercial équivalent à son prédécesseur, cependant les morceaux de bravoure que sont "Naked Steel" ou "The Dark Liege of Chaos" ont malgré tout du mal à retranscrire les fabuleuses atmosphères de "Starfire Burning…".
Avec sa signature chez Nuclear Blast, Bal Sagoth change un peu sa recette en dérivant vers la science-fiction. Ainsi, "The Power Cosmic" dépoussière un peu leur style, relançant leur carrière grâce également à une production puissante et claire. Hélas, les frères Maudling retombent dans la facilité avec le mièvre "Atlantis Ascendant" aux compos trop poussives, on se dit alors que ça sent le split discret d’un groupe à bout de souffle.
Bal Sagoth nous laissera ainsi sans nouvelle pendant plus de quatre ans, effectuant simplement ça et là quelques prestations live qui ne sont pas vraiment l’exercice dans lequel ils excellent le mieux et on peut le comprendre : avec une musique aussi fouillée, il leur faudrait d’avantage de moyens sur scène, et malheureusement Bal Sagoth n’a pas les moyens de Therion.
Après donc cinq ans de silence phonographique, les braves guerriers britanniques repartent de nouveau à la bataille avec "The Chtonic Chronicles" (2006), leur meilleur album depuis l’invincible "Starfire Burning…", et "The Sixth Adulation of His Chtonic Majesty" ou le retentissant "The Obsidian Crown Unbound" montrent Bal Sagoth sous un jour à nouveau conquérant.
Cependant, avec tout le potentiel dont ils bénéficient au niveau de l’écriture des lyrics et de la force de composition, on attend toujours de leur part l’album ultime : un concept ultra-ambitieux qui permettra à Byron Roberts et aux frères Maudling d’inscrire enfin le nom de Bal Sagoth dans la légende, un jour peut-être…

All hail the barbarian Metal King !
All hail Bal Sagoth !

Article réalisé par ArchEvil, BeerGrinder, Eulmatt et Vinterdrøm (initialement publié le 1 Septembre 2008)

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