LE DARK AMBIENT - COUP DE PROJECTEUR SUR UN GENRE OBSCUREMENT MECONNU





Pour les metalheads purs et durs ne jurant que par la sacrosainte combinaison B.C.B.G. (comprendre par là : Batterie / Chant / Basse / Guitare), le dark ambient n’est au mieux qu’une très vague et lointaine notion, ou bien une musique ou plutôt un assemblage de sons passablement ennuyeux, pour ne pas dire chiant. Et pour cause, imaginez des compositions assez minimalistes, uniquement basées sur de l’électronique, des nappes de synthés, des samples, parfois sans aucun rythme et très souvent sans la moindre once de voix, le tout dans une approche isolationniste, bien éloignée des soirées metal festives où les pogos sont légion et où la bière coule à flots.
Il ne faut s’attendre à rien de tout cela avec le dark ambient. Les riffs et arpèges de guitare … très peu dans le meilleur des cas, pas un seul à l’horizon le plus souvent … La bonne humeur … bannie … Le contact humain … insupportable …

Bon nombre d’entre vous seront certainement étonnés, voire même choqués par le simple fait qu’un tel style soit mis à l’honneur ici, dans un webzine consacré au metal.
Et pourtant, malgré des mises en forme diamétralement opposées, metal et dark ambient sont bel et bien deux cousins pas si éloignés que cela.
Premièrement, il est clair que le dark ambient puise une très grande partie de ses fans dans le vivier du metal, en particulier parmi les adeptes de black metal, qui y retrouvent certaines atmosphères froides, sinistres, et donc des sensations proches de celles délivrées par leur style de prédilection.
Deuxièmement, le dark ambient est, tout comme le metal, un style intègre, à la personnalité forte et au caractère intemporel, bien loin des standard people, des courants mainstream et des modes de passage, donc logiquement voué, dans notre société basée sur la soupe musicale et la consommation rapide, à rester marginal (et entre nous soit dit, c’est tant mieux !).
Autant de points communs qui ont permis à ces deux univers que tout sépare à priori de tisser de nombreux liens, et il est courant de voir des maisons de disques metal, qu’elles soient plus ou moins renommées, proposer dans leur catalogue VPC un large éventail d’œuvres dark ambient.
Cependant, les liens ne s’arrêtent pas au simple partage d’une liste de distribution, de nombreuses formations n’hésitant pas à associer les genres black metal et dark ambient dans leur musique, résultant en un style hybride que l’on a coutume de nommer le "black ambient". Abruptum et Spektr en sont deux parfaits exemples, deux symboles : pionnier pour l’un, représentant de l’ère moderne pour l’autre. Mais nous aurons largement le temps d’y revenir plus en détail lors d’une prochaine sélection. Pour l’heure, place au dark ambient pur…

… Un style possédant plusieurs niveaux d’écoute : de la simple musique de fond, que l’on écoute d’une oreille distraite, à la drogue dure, dont on ressent les effets au plus profond de notre être. Des compositions dégageant une sensation de solitude, de repli sur soi, une musique très renfermée sur elle-même mais au combien intense, chargée de vibrations négatives et malsaines, riche en rebondissements pour peu que l’on fasse les efforts nécessaires pour voir plus loin que la façade rêche, abrupte et l’aspect très peu accueillant qu’elle présente de prime abord.
Un outil d’introspection qui ne peut s’apprécier pleinement qu’après un long parcours initiatique. L’expérience est difficile et nécessite de la part de l’auditeur une implication, une concentration et un isolement total, sous peine de se retrouver perdu en chemin dans le magma d’ombres mouvantes et de sensations abstraites que la musique suggère.
Aussi, une immersion progressive est préférable, et dans cette optique, la première sélection dark ambient qui vous est présentée ici entend dresser un état des lieux général de ce style pour le moins obscur : ses origines et ses principaux acteurs, artistes et maisons de disques, afin que les non-initiés sachent un peu mieux où ils mettent les pieds.

L’invitation est lancée, ne vous reste plus, si vous le souhaitez, qu’à suivre le guide …


Le dark ambient est un sous-genre de la musique ambiante essentiellement basé sur des nappes synthétiques et caractérisé par des compositions en général longues, déstructurées et aux vertus hypnotiques stimulant la psyché.
A l’inverse de la musique dite de "relaxation" dont elle est à la fois un parent et l’exact opposé, la musique dark ambient distille des atmosphères sombres, pesantes, angoissantes voire déshumanisées de par le recours fréquent à des rythmes saccadés, des sonorités sèches et métalliques (dans ce cas, on parlera de "industrial dark ambient"), pouvant parfois être extrêmement agressives et bruitistes (dans ce cas, on parlera de "dark ambient noise" voire de "power electronics" ou encore de "harshnoise").
L’usage important de sons et d’effets d’origine naturelle, tels que des craquements ou des cliquetis recueillis en environnement hors-studio (que l’on désigne sous le terme de "field recording"), rapproche d’une certaine manière le dark ambient de la musique dite "concrète", usant de n’importe quel outil pour en créer une expression.
L’omniprésence des sensations de solitude et d’isolement lui confère en outre un second niveau d’écoute, la musique, propice au repli sur soi, atteignant alors une dimension plus introspective.

Les travaux du britannique Lustmord (alias Brian Williams) sont souvent décrits comme ayant posé les fondations du genre dark ambient au début des années 80. Il s’agit certes du premier compositeur ayant véritablement "fait son métier" de ce style musical, mais cette description s’avère quelque peu réductrice si l’on creuse un peu plus en profondeur.
En effet, certains morceaux ambiants de son compatriote Brian Eno, grand expérimentateur notoire, présentaient déjà un aspect sombre et déstructuré, voire torturé, en témoigne la longue complainte sinistre "An Index of Metals" durant près d’une demi-heure et apparaissant sur l’album "Evening Star" sorti en 1975 et issu de la collaboration avec Robert Fripp (le mentor de King Crimson).
En continuant à remonter le temps, il est possible d’en trouver les toutes premières graines dans la scène rock prog / psyché de la période fin 60' / début 70' où les artistes explorent et expérimentent tous azimuts, aidés en cela par l'émergence nouvelles technologies telles que le mellotron et les synthétiseurs Moog ouvrant de nouveaux horizons créatifs. Des prémices représentés notamment par certaines séquences purement ambiantes, glauques et abyssales au possible, que réservent les stupéfiantes pièces dantesques que sont "A Saucerful of Secrets" (1968) et "Echoes" (1971) composées par Pink Floyd, auxquelles peuvent s'apparenter les inflexions obscures passablement présentes sur les "In the Court of the King Crimson" (1969) et "In the Wake of Poseidon" (1970) de King Crimson, bien que cette dernière formation joue davantage sur la chaleur emphatique et la souplesse lyrique, délivrant des passages trop peu froids et rigides pour se voir octroyés le qualificatif de dark ambient au sens premier du terme stylistique.
Malgré le caractère flou, nébuleux et insaisissable des atmosphères distillées par le dark ambient, ces diverses expériences pré-années 80 ayant germé dans l'esprit d'une poignée d'excentriques notoires, permettent, même si elles sont demeurées ponctuelles, d'en situer un point de départ relativement précis, ses origines étant à chercher du coté des Iles Britanniques plutôt que de la Suède, contrairement à ce que pourrait laisser penser la renommée actuelle de ce genre musical, aujourd’hui considéré comme une "spécialité suédoise".
Une réputation ayant résulté de l’apport majeur du label Cold Meat Industry au niveau de l’organisation, de la production et de la distribution de ce genre pour le moins abstrus et qui emprunta nombre de chemins détournés avant d'atteindre les terres scandinaves, en témoignent quelques expérimentations outre-Atlantique, au rayon desquelles l'on peut citer à titre d'exemple l'éphémère projet Lucifer du canadien Mort Garson avec son "Black Mass" de 1971 au concept occulte et aux velléités tribales (bien que les sonorités électroniques rudimentaires et surannées fassent sonner la plupart de ses compositions de manière très spatiale, façon Tangerine Dream époque "Stratosfear", dégageant une saveur cosmique plutôt que des relents lugubres), ou encore la bande-son du célèbre "Massacre à la Tronçonneuse" sorti en 1974, avec ses épouvantables assemblages de craquements et de sons stridents se mariant à merveille aux incessants hurlements de la screaming queen Marilyn Burns, soutenant de manière efficace les exactions du célèbre Leatherface et de sa famille de tarés, conçus à partir "d’instruments de fortune" tels que des tôles d’acier ou des tubes en carton (dixit Tobe Hooper himself), symbolisant la discursive adaptabilité du dark ambient à la BO de film, de même que le rapprochement du genre à la musique concrète.

RICHARD "RICK" WRIGHT

Beaucoup seront certainement étonnés de voir cité en tête d'un article consacré au dark ambient le célèbre claviériste des Pink Floyd, groupe acteur de la révolution psychédélique de la seconde moitié des années 60 et fer de lance du rock progressif des années 70.
Pourtant, force est de constater que Wright n'avait pas son pareil, en ces temps de profonds bouleversements dans l'expression de l'art musical, pour tisser, à l'aide de ses pianos, orgues et mellotrons, des toiles aux résonances perturbantes, emprisonnant l'auditeur dans un vortex dissonant et imposant à son esprit des scénographies à haute teneur en sinistrose… Pour peu que le talent du compositeur sommeillant en lui puisse s'exprimer … Car la plus grande faiblesse de Wright a certainement été son impénitente discrétion, son effacement, au point de se laisser totalement phagocyter.
Piégé entre les contines et délires cosmiques propres au style psyché de Syd Barrett et la mainmise de Roger Waters sur un rock prog classieux, aérien, mais laissant relativement peu de place aux fantaisies expérimentales, Wright n'a eu de réelle latitude compositionnelle que durant la période 1968-1971, soit la plus inventive en même temps que la plus personnelle des Floyd.
Se posant en véritable explorateur des sphères sonores, Wright n'eut aucun scrupule à en visiter le côté obscur, insérant dans certaines des pièces les plus grandioses des Floyd des monuments d'une noirceur impénétrable (l'angoissante ouverture de "A Saucerful of Secrets", l'oppressante partie ambiante de "Echoes"), ainsi que de tumultueuses cacophonies profondément torturées (le tintamarre au centre de "Atom Heart Mother" et dans certaines séquences de "Sysyphus").
Aujourd'hui décédé, le regretté claviériste britannique laisse l'image d'un créateur hors-pair, mais demeurant mésestimé sous bien des aspects, dont son rôle de chaînon manquant entre le dark ambient et les dérives "bad trip" du rock prog / psyché old-school.
RIP Rick.

Album phare : PINK FLOYD - "A Saucerful of Secrets" (1968)

Second album des Floyd et première plongée en apnée de Richard Wright dans le domaine du dark ambient avec la première phase du morceau-titre.
Avant la mise en musique de l'impitoyable chaos de la guerre, suivi de la mort, la cérémonie tragique mais au combien belle avec son orgue funèbre, s'achevant sur la montée aux cieux et l'émergence des voix célestes, cette longue ouverture ménage par ses nappes menaçantes une tension stupéfiante, allant crescendo jusqu'au paroxysme de l'effroi lorsque de multiples phénomènes stridents et cris terrifiants déchirent le voile opaque, venant hanter notre cortex affolé et désorienté.
A la manière de la phase centrale de "Echoes", rarement les ténèbres auront été aussi redoutables.

BRIAN ENO

C’est un fait divers somme toute assez anodin qui a conduit le britannique Brian Eno à élaborer de la musique dark ambient : un grave accident de voiture survenu en 1974, de longs mois cloués dans un lit d’hôpital, l’impossibilité de se mouvoir, l’estompement des sensations tactiles au profit du développement des sensations auditives, l’ambiance sonore caractéristique d’une chambre d’hôpital, le tout associé à une déprime chronique et un moral ayant basculé du côté obscur, tous les ingrédients étaient réunis pour créer, au sortir de cette période, des compositions sombres et dissonantes, en témoigne le caractère foncièrement dark de certaines compositions de l’album "Evening Star" écrit en collaboration avec Robert Fripp (mentor de King Crimson) et sorti la même année.
Cette expérience est cependant restée ponctuelle, car la suite directe de la carrière du bonhomme sera essentiellement axée sur de la musique ambiante non dark, avec la publication de la série des "Ambiant" ("Music for Airports", "The Plateaux of Mirror", "Day of Radiance" et "On Land"), se concentrant sur des atmosphères aériennes, mélancoliques ou des sonorités cristallines en fonction des chapitres, bien que le dernier marque un retour (mesuré) à des ambiances obscures.
Enfin, il faut bien garder à l’esprit que Brian Eno est un intenable touche-à-tout, multipliant les fonctions (musicien, compositeur, producteur), les collaborations (Robert Fripp, David Bowie, U2 et plus récemment Coldplay dont il a produit le dernier album en date "Viva la Vida") et les trouvailles techniques (il a contribué au développement du tape-delay et de la musique algorithmique).
Petite anecdote : le concepteur du "Microsoft Sound", le fameux jingle d’ouverture du système d’exploitation Windows 95 (qui se devait d’être universel, optimiste, futuriste, sentimental, émotionnel, … le tout en quelques secondes !), n’est autre que Brian Eno en personne.

Album phare : FRIPP & ENO - "Evening Star" (1975)

Après un grave accident l’ayant contraint à une longue période d’immobilisation, Brian Eno retrouve son compère Robert Fripp (King Crimson), avec qui il avait déjà travaillé quelques temps auparavant ("No Pussyfooting", 1973), pour un nouvel album d’ambiant expérimental baptisé "Evening Star". On y retrouve bien sûr l’ambiant éthéré caractéristique de la période fin 70′ - début 80′ de Brian Eno (sur la face A du LP), mais cette œuvre se distingue surtout par sa face B constituée d’une unique pièce de près d’une demi-heure "An Index of Metals", très inhabituelle de la part du bonhomme car très sombre et perturbante, chargée de distorsions et de vibrations typiquement drone. L’une des toutes premières pierres à la base de l’édifice du dark ambient.


LUSTMORD

Bien que Lustmord (Brian Williams de son vrai nom) ne soit pas à proprement parler le fondateur du genre dark ambient, il est incontestablement celui qui lui aura donné ses lettres de noblesse. Ambiances hautement malsaines, expérimentations sonores extrêmes réalisées dans des environnements aussi "accueillants" que des cryptes, des usines désaffectées et des abattoirs, visuels choquants (images crasseuses et sanguinolentes, clichés d’autopsies et de malformations humaines), le compositeur gallois a frappé fort d’entrée avec la publication de son premier album presque éponyme ("Lustmørd") en 1981.
Epaulé à ses débuts par Reg Sailyne, Goeff Rushton et Nigel Dunster (dont les oreilles, soumises à des seuils sonores excessifs, ont été prises de saignement au cours des sessions d’enregistrement du premier album !), Lustmord s’est très vite retrouvé seul aux manettes de son projet, dont la musique, bien qu’ayant évolué au fil des années vers une forme moins industrielle et davantage ambiante au sens premier du terme, ne s’est jamais départie de ses atmosphères sombres et oppressantes, tout en développant un aspect cinématographique très prononcé.
D’ailleurs, son attirance pour le septième art l’a tout naturellement amené à composer les bandes-originales de plusieurs dizaines de films, dont "Zoetrope" (obscur film indépendant basé sur le concept d’un être humain captif d’un monde post-apocalyptique, prenant une tournure métaphysique bien éloigné du film d’action hollywoodien de base) qui a donné lieu à la sortie d’un album présentant une version de la B.O. remaniée (publié par le label tchèque Nextera en 2002).
Lustmord s’est également signalé par des collaborations ponctuelles avec divers compositeurs de bande-originales, comme Paul Haslinger (créateur de la B.O. de "Underworld") pour un titre de l’album "Metavoid" ("The Eliminating Angel").
Toujours en activité à l’heure actuelle, il s’est désormais installé aux Etats-Unis, sous le grand soleil de la Californie (ce qui n’a en rien diminué le pouvoir de nuisance de sa musique), et possède son propre studio d’enregistrement : Scientific Electric.

Album phare : LUSTMØRD - "Paradise Disowned" (1986)

"Paradise Disowned" s’inscrit comme une œuvre charnière dans la longue carrière de Lustmord, représentant le chaînon manquant entre le Lustmord "roots" foncièrement indus voire bruitiste (face B du LP d’origine) et le Lustmord "moderne" davantage tourné vers l’ambiant pur (face A).
Cet album, loin de délaisser le "field recording" brut, laisse donc beaucoup de champ à des atmosphères éthérées, sans que celles-ci ne se départissent de leur aspect oppressant et menaçant, comme si l’on planait à l’intérieur d’une chape de plomb. Atmosphères auxquelles les sonorités de cors et les voix incantatoires confèrent une dimension mystique, renforcée par le recours fréquent à des chants religieux (comme le fera Peter Andersson quelques années plus tard pour son projet Raison d’Etre).

ROGER KARMANIK

Autre personnage incontournable de la scène dark ambient / indus : le suédois Roger Karmanik, alias "Captain" Karmanik, reconnu non seulement pour être responsable de la fondation du label Cold Meat Industry (tout aussi incontournable dans le milieu), mais aussi pour son travail au sein de l’effroyable Brighter Death Now, véritable concentré de pulsions maladives et suicidaires, de fantasmes malsains et de pensées inavouables.
Après des débuts proches du pur dark ambient et marqués par des atmosphères à la fois vicieuses et sadiques, dignes d’un véritable snuff-movie bien craspec, sa créature s’est progressivement transformée en une infernale machine industrielle bruitiste et déshumanisée, constituée de fréquences et grincements inhumains mixés à des vocaux distordus au-delà de tout limite du raisonnable : un véritable terrorisme sonore de power electronics infernaux, qui ne s’est cependant pas départi des ambiances caractéristiques des débuts, faisant de cette "chose" bien plus qu’un simple mur de boucan.
Si la tessiture musicale a nettement évolué, les thèmes de prédilection du bonhomme sont en revanche restés totalement intacts : la mort, les déviances mentales, la torture, le sadisme, la pédophilie, l’inceste, le meurtre, … J’en passe et des meilleurs … Tout autant de sujets violents voire tabous pour certains, abordés avec un second degré ravageur, "Captain" Karmanik, adepte invétéré de l’humour décalé, n’hésitant pas à balancer, au milieu des pires insanités, des passages de musique d’ascenseur, de disco ou encore des chants d’église cul-cul, corroborant ainsi la maxime de son label Cold Meat Industry disant que "ni la vie ni la mort ne doivent être pris au sérieux".
Son activité grandissante de responsable de maison de disques l’a contraint à ralentir la cadence des productions de Brighter Death Now, mais la bête est toujours bien présente, prête à se manifester à tout moment, comme le prouve la sortie de "Kamikaze Kabaret" en 2005 alors que "Obsessis" (2000) était censé être son dernier album studio. Tous les espoirs de voir une nouvelle publication sont donc permis …

Album phare : BRIGHTER DEATH NOW - "The Slaughterhouse" (1993)

L’horreur absolue ! … Voilà ce qu’a enfanté Roger Karmanik sur "The Slaughterhouse", bien avant de plonger dans la marmite du power electronics, dont on retrouve cependant quelques prémices, au travers d'immondes grincements déchirant les nappes de synthés glauques comme des hurlements de terreur.
Impossible, à l’écoute de cet album, de ne pas penser à "Nekromantik", l’un des films les plus sordides et crasseux jamais réalisé.
Plus oppressant et poisseux que la plupart des œuvres doom, plus violent et malsain que la majorité des prod' black, cet abominable "Slaughterhouse" démontre, s’il en est besoin, que le metal extrême ne bénéficie pas du monopole desdites sensations extrêmes. Qu’on se le dise !

PETER ANDERSSON

Fer de lance du label Cold Meat Industry, Peter Andersson est un compositeur suédois présentant la particularité d’aborder à peu près toutes les facettes de la musique ambiante (et pas seulement dark) au travers de multiples projets, des plus posés et éthérés (Raison d’Etre, son projet le plus célèbre, avec Necrophorus) aux plus agressifs et noise (Stratvm Terror, qu’il partage avec Tobias Larsson, et Bocksholm, qu’il partage avec son parfait homonyme originaire de la même ville mais sans aucun lien de parenté, également connu sous le pseudonyme de Lina Baby Doll – évitant ainsi les confusions – et dirigeant le projet Deutsch Nepal), en passant par les ambiances cosmiques (Atomine Elektrine), spirituelles (Svasti-Ayanam, reflétant son attrait pour le bouddhisme et la culture tibétaine), industrielles (Panzar, Cataclyst) et les expérimentations délirantes et obscènes voire scatophiles (Grismannen, qui est le tout premier projet de Peter Andersson dont la création remonte à 1989 alors qu’il n’était encore qu’adolescent).
La multiplication des projets et des albums n’a fort heureusement jamais entaché la qualité des compositions de Peter Andersson, celui-ci attachant une importance toute particulière à la sorties de publications soignées et plaçant la notion de respect des auditeurs au-dessus de tout.
Obsédé par l’imagerie religieuse (non pas en tant qu’élément purement religieux mais en tant qu’expression d’un sentiment de solitude et d’une atmosphère contemplative, transcendée par le recours intensif à des chants chrétiens pour son projet Raison d’Etre) et traumatisé par son enfance passée à Boxholm aux abords de la zone industrielle des Ironworks (traumatisme issu de l’ambiance sonore insupportable et de la peur des effroyables alcooliques arpentant les rues de la ville, ayant motivé la création du projet Bocksholm), la musique qu’il compose agit pour lui comme une sorte de catharsis.
Peter Andersson possède son propre label : Yantra Atmospheres, qui cumule également les fonctions de studio d’enregistrement et de mastering (certains albums de Letum, Nordvargr ou Gothica ayant notamment été masterisés par les soins du Grand Maître).

Album phare : COMPILATION - "Perception Multiplied, Multiplicity Unified … The Manifold of Peter Andersson" (2001)

Parfait objet pour se familiariser avec le petit monde de Monsieur Andersson, cette compilation couvre l’ensemble des projets musicaux qu’a pu mener le bonhomme au cours de sa carrière, qu’il s’agisse de projets établis dans la durée ou simplement éphémères, des plus agressifs aux plus planants, des plus craspec aux plus mystiques, donnant un bon aperçu de son potentiel créatif.
Autre intérêt de ce disque : celui de ne pas être qu’une "bête" compile rassemblant d'anciens morceaux et/ou raretés remasterisés. En effet, toutes les compositions sans exception sont totalement inédites, Andersson allant même jusqu’à reformer spécialement pour l’occasion le duo Cataclyst avec Johanna Rosenqvist (collaboratrice chez Cold Meat Industry). Merci Peter !




Fondé en 1987 par le suédois Roger "Captain" Karmanik (également à la tête du projet indus / noise Brighter Death Now), Cold Meat Industry est depuis de nombreuses années LE label de référence du genre dark ambient / indus, celui qui aura conféré à ce style pour le moins obscur ses lettres de noblesse, de par l’apport d’une organisation professionnelle et d’une distribution à (relativement) grande échelle, mais aussi et surtout au travers de la publication de travaux d’artistes reconnus tels que Raison d’Etre, Deutsch Nepal, MZ.412 et In Slaughter Natives (sans oublier bien sûr Brighter Death Now, la créature chérie du maître des lieux). Tout autant d’anciens et valeureux combattants présents depuis les tous débuts des hostilités et portant fièrement, encore aujourd’hui, l’étendard Cold Meat Industry.
Après des débuts très marqués par des productions harsh/noise (Lille Roger – side project de "Captain" Karmanik -, Mental Destruction), le label suédois s’est ouvert à des sonorités plus "soft" tout en conservant un aspect profondément "dark", le point de départ pouvant être identifié par l’intronisation de Raison d’Etre avec sa musique contemplative et empreinte d’atmosphères sacrées, de par le recours fréquent à des chants religieux.
Ce type de dark ambient éthéré est devenu, au fil des années, la marque de fabrique de Cold Meat avec la signature d’artistes tels que Desiderii Marginis et Letum, le pur indus / noise s’étant de plus en plus raréfié.
Son catalogue s’est également tourné vers des horizons plus mélodiques, en témoigne la présence de formations issues des scènes folk / darkwave (Arcana, Ataraxia, Rome) ou gothic / néo-classique (Gothica, Nova), sans oublier de citer les premiers albums de Mortiis placés sous le signe d’un ambiant orchestral aux réminiscences médiévales (après son départ de Emperor et avant que son projet n’adopte un virage electro metal).
Souvent accusé à tort de donner la préférence aux artistes locaux au détriment de la qualité intrinsèque de la musique, Cold Meat ne s’est jamais fermé aux artistes hors frontières suédoises, comme le prouve la signature de Ataraxia, Gothica, Nova, Rome ou encore Valefor.
Cold Meat Industry a récemment fêté ses 20 ans d’existence de fort belle manière, avec la publication du DVD live "Two Evenings of Delightful Delicacies" (voir chronique plus loin dans nos pages).



Label italien fondé en 1987 par Rodolfo Protti, Old Europa Cafe est en quelque sorte l’alter ego de Cold Meat Industry, bien que son catalogue soit globalement plus extrême que celui de son comparse suédois et qu’il soit davantage resté confiné dans les ombres de l’underground, en ayant notamment distribué des enregistrements uniquement sous format cassette pendant de nombreuses années.
Hormis le fait que ces deux maisons de disques spécialisées dans l’ambiant et l’indus aient été formées quasiment en même temps, elles partagent également un nombre conséquents d’artistes, et pas des moins connus puisqu’on y retrouve notamment la doublette Peter Andersson (l’un dirigeant de Raison d’Etre, l’autre à la tête de Deutsch Nepal, sans aucun lien de parenté entre eux) qui y ont sorti leurs toutes premières cassettes, les ultra-rares "Conspectus" (Raison d’Etre) et "Only Silence Among the Filthy" (Deutsch Nepal) depuis longtemps épuisées. Deux artistes dont la réputation n’est aujourd’hui plus à faire, et qui ont continué par la suite à sortir sous la bannière Old Europa Cafe certains de leurs enregistrements, non seulement pour leurs projets principaux respectifs mais aussi pour leurs side-projects : on pense spécialement au "Germinal Chamber" de Stratvm Terror et à l’un des très rares albums de Grismannen ("A Journey Through the Gain in Pain in the Brain Again & Again"), deux side-projects de Raison d’Etre. Sans oublier que Old Europa Cafe compte dans son catalogue une grande majorité des albums solos de Nordvargr (membre de MZ.412).
Même si ce label italien demeure bien moins renommé que son alter ego suédois, son influence sur le développement de la scène dark ambient a été tout aussi importante.



Enigmatique label d’origine allemande créé en 1990 et spécialisé dans l’indus sans concession ainsi que la musique expérimentale, Dark Vinyl a toujours aimé cultiver le secret, laissant planer un entier mystère sur l’identité de son fondateur et signant essentiellement des artistes très énigmatiques, sur lesquels très peu voire pas d’infos sont disponibles, Le Testament De La Lumière en étant la parfaite illustration : un seul album au compteur, sorti d’on ne sait où, pas de photo, aucune information sur le line-up (on ne sait même pas s’il s’agit d’un vrai groupe ou d’un one-man band), ni sur le lieu d’enregistrement, zéro interview. Bref, le quasi-néant !
Malgré ce goût prononcé pour le mystère, Dark Vinyl s’est tout de même signalé par la sortie d’albums ou de compilations de certaines formations renommées telles que Maschinenzimmer 412 avec "Macht Durch Stimme" (alias MZ.412 à l’époque où le trio suédois officiait sous son nom intégral), Lustmord avec "A Document of Early Acoustic and Tactical Experimentation" (compilation regroupant ses toutes premières compositions, datant de l’époque où le groupe britannique effectuait ses enregistrements dans des cryptes et des abattoirs) ou encore Archon Satani avec "In Shelter" (duo suédois ayant splitté depuis belle lurette).
Sa filiale Memento Mori (tirant son nom de la première cassette de Archon Satani rééditée ensuite sous format CD) est principalement axée sur la signature de formations telles que Valefor ou Profane Grace, donnant dans un dark ambient occulte distillant des atmosphères brumeuses et horrifiques, dans la veine du culte Aghast (projet commun des mies des sieurs Samoth et Fenriz, pour situer).




Label américain fondé par Charles Powne au cours de la faste année 1987 (qui aura marqué le point de départ de l’organisation et de la structuration du genre ambiant), Soleilmoon Recordings couvre, au travers de ses productions, un très large spectre de la musique ambiante (et pas seulement dark), de l’ethnique jusqu’au noise, en passant par les sacro-saints dark ambient et indus.
Exclusivement dédié, à ses débuts, à la production et distribution d’enregistrements sous format cassette (à la manière de Old Europa Cafe) depuis la "backroom" d’un magasin de disques nommé "The Ooze", Soleimoon s’est très vite détaché de ses racines pour s’agrandir, se développer et se convertir au format CD, l’une des toutes premières productions sur ce support ayant été le fameux "Heresy" de l’incontournable Lustmord (1990), sa présence dans le catalogue Soleimoon ayant fortement contribué à la renommée du label, qui s’est ensuite spécialisé, au cours des années 2000, dans la réédition des œuvres de l’artiste ("Paradise Disowned", "The Monstruous Soul" et "The Place Where the Black Stars Hang" originalement sorties sur Side Effects, label dont le propriétaire n’était autre que Brian Williams en personne, et qui a fermé ses portes en 1989), sans oublier la publication de la compile "Purifying Fire" (2000).
A noter enfin que les distributeurs européens des productions de Soleilmoon Recordings ne sont autres que Cold Meat Industry et Dark Vinyl, présentés juste avant. La boucle est bouclée…



Fondé sur le tard, en 2002 exactement, lorsqu'un certain Frédéric Arbour cherchait à créer une structure pour publier "The Mystery Visions" de son projet Instincts (qui en restera le seul et unique album à ce jour), ce label canadien basé à Montréal n'en a pas moins rapidement acquis une réputation égale à celle des vieux briscards du genre présentés ci-dessus.
Son catalogue, équilibré entre talentueux inconnus (Gustaf Hildebrand, Svartsinn) et illustres figures du dark ambient telles que Nordvargr et Drakh agissant en aparté de MZ.412 (signé chez Cold Meat Industry), propose un horizon stylistique s'étendant du dark ambient / indus à la gothic / darkwave : on y retrouve d'ailleurs Arcana, transfuge de Cold Meat Industry (vous remarquerez comme le monde du dark ambient est petit ! ) pour sa compilation de raretés "The New Light".
Cyclic Law se démarque de ses confrères par la singularité que dégagent les packagings des œuvres qu'il produit : toutes en digipacks grenus des plus soignés, souvent en luxueux formats A5, qui plus est en éditions strictement limitées (de 500 à 2000 exemplaires selon les formations), chaque nouvelle sortie constitue une véritable pièce de collection. Avis aux amateurs !
Une particularité qui traduit la forte personnalité d'Arbour, héritée de son expérience chez le label punk Profane Existence, chantre du DIY qui, outre d'apprendre le métier, lui a permis de forger son esprit d'indépendance.
A noter enfin qu'Arbour, dans sa volonté de garder Cyclic Law exclusivement non metal, a créé parallèlement la séquelle Twilight Foundation ouverte aux cordes électriques, essentiellement doom et black, ainsi qu'au folk, tout en conservant néanmoins l'âme résolument atmosphérique caractérisant les productions Cyclic Law.


COLD MEAT INDUSTRY LIVE IN AUSTRALIA - "Two Evenings of Delightful Delicacies" (2007)

Quel meilleur choix, pour illustrer ce premier coup de projecteur sur le style dark ambient / indus, qu’une présentation du DVD récemment édité par Cold Meat Industry à l’occasion des 20 années d’existence de ce label sans qui le dark ambient serait certainement resté confiné dans ses ténèbres originelles, et qui avait organisé pour l’occasion une grande messe des Machines située à l’autre bout du monde (en Australie) et rassemblant des artistes plus ou moins reconnus dans le milieu. Des artistes qui ont pour la plupart l’habitude de rester plutôt discrets, que ce soit au niveau des artworks de leurs albums ou des interviews dans la presse.
Cette double soirée live permet ainsi de lever une partie du mystère entourant ces personnages pour le moins énigmatiques.
L’emblématique Roger "Captain" Karmanik, le grand patron du label, est bien entendu de la partie, au top de sa forme, autant capable de créer des atmosphères glaçantes, véritable concentré de vibrations spectrales, que de produire un enfer de noise / power electronics brutal et sans concession.
Les compères Peter Andersson, s’entendant comme larrons en foire, répondent également présents avec leurs projets fétiches respectifs : Raison d’Etre, dégageant une noirceur toute en subtilité, pour l’un, et Deutsch Nepal, plus martial et direct, pour l’autre. Ce DVD constitue aussi une belle occasion de mettre en lumière certains de leurs side-projects méconnus, respectivement Atomine Elektrine, bulle d’apaisement dans ce monde tourmenté et obscur, grâce à ses ambiances cosmiques et futuristes, et Frozen Faces, très proche de Deutsch Nepal mais avec un aspect indus plus prononcé. Sans oublier Bocksholm, leur projet commun : de l’industriel pur et dur, aux sonorités et rythmes mécaniques et aliénants au possible.
A signaler l’excellente initiative d’avoir débauché des artistes non signés chez Cold Meat, issus de la très méconnue scène australienne : Manticore, Shinjuku Thief et Isomer, les trois régionaux de l’étape donc. Trois découvertes, trois facettes du dark ambient (respectivement noise, orchestral et militariste) … pour trois projets d’excellente facture.
Voilà en somme un très bon panorama d’ambiances, des plus agressives aux plus apaisantes, des plus rêches aux plus éthérées, qui ne pêche que par la compression des deux soirées sur un seul DVD, ne présentant forcément que des extraits de chaque set. Dommage, quand on sait que le show complet aurait pu aisément rentrer sur un format double ou triple DVD, qui aurait véritablement marqué le coup. Un essai marqué, validé, mais malheureusement pas transformé.
Cet objet reste cependant une acquisition indispensable pour les adeptes de dark ambient / indus et des productions Cold Meat, ainsi qu’un bon investissement pour les curieux qui souhaiteraient découvrir ce genre musical très peu médiatisé.

Pour plus de détails, voir la chronique : ici.

Article réalisé par Vinterdrøm (initialement publié le 4 Octobre 2008)

8 commentaires:

Paul Takahashi a dit…

Hello, article sympa pour les néophytes mais attention à ne pas faire trop banal non plus !

Sinon, Mortho(u)nd c'est plus de l'ethno-ambient que de la harsh noise (jetez une oreille sur Spindrift) et Roger Karmanik s'appelle bien Roger Karmanik...
Sur ce, Bonne continuation =)

Vinterdrom a dit…

Effectivement, pour Mortho(u)nd, il s'agit d'une erreur de ma part. Je corrige ça dans l'article. Merci pour la précision ;)
En revanche, pour Karmanik, son vrai nom est bien Karlsson. La preuve ici : http://www.discogs.com/artist/Roger+Karmanik

Paul Takahashi a dit…

Je suis désolé de devoir dire que discogs est dans le faux... pour avoir eu le passeport de Roger entre les mains ! Son nom est bien Karmanik. En cas de doute, j'ai même son étiquette de bagage quelque part que je peux te scanner.

Vinterdrom a dit…

OK, je te fais confiance.
Je me demande donc d'où discogs, qui est pourtant habituellement très précis et sûr, a pu tirer cette info.
Comme quoi, nul n'est infaillible...

Anonyme a dit…

Pour info, il existe un webzine dark-ambient francophone, le seul à ma connaissance : http://brokendolls.org , apparemment le site est en "pause" et attendant la nouvelle version, d'ailleurs, le proprio des lieux a l'air de chercher des chroniqueurs pour ceux que ça intéresse. Quoi qu'il en soit il y a plus de 450 chroniques làbas.... de quoi lire.

Scrattt a dit…

Guts Of Darkness est aussi un très bon webzine, traitant aussi bien toutes les catégories de métal que l'ambiant et ses dérivés (dark, ethno, musique électronique), voire même du rock et quelques autres styles.

Anonyme a dit…

Très bon article pour les néophytes.
Bien écris et bien ressenti,un seul petit regret...Les autres groupes de Dark Ambient ne sont pas mis à l'honneur,mais je sais que ce n'était qu'une première approche.
Je suis très fan du Dark Ambient et j'aimerais rappeler que ce style n'est pas qu'une musique introvertie et peut être très fortes par moment.
Encore Bravo

Anonyme a dit…

Salut à tous il y a le jeune label FROZEN WING RECORDS qui dispose d'une tonne d'article dark ambient indus neo folk etc...
ça se passe ici pour ceux qui ont un peu de mal à se procurer quelques pièces maitresses, en deux clics c'est acheté:

http://www.frozen-wing-records.fr/fr