INTERVIEW DE STRYKER, PATRON DE LA BOUTIQUE SABRE TOOTH


Après le blizzard du Grand Nord soufflant de l'article sur la seconde vague du Black Metal et le crachin de Clisson bruinant sur le live-report du Hellfest, les Trublions poursuivent leur descente en latitude planétaire et c'est aujourd'hui Marseille qui est à l'honneur. Un p'tit coin de ciel bleu et un brin de canicule, ça peut pas faire de mal, hein les minots ? Et ne croyez pas qu'on a profité de l'occase pour s'enfiler des charrettes de pastagas dosés façon flan, hé con de la bonne mère ! Que nenni, car il fallait avoir les idées claires à l'approche de la redoutable Dent de Sabre qu'abrite la cité phocéenne, et de son affable propriétaire : le dénommé Stryker, infatigable organisateur de concerts fort de bientôt 30 années d'une passion immodérée vouée au metal et patron du distro Sabre Tooth qui vient récemment de fêter ses 10 ans d'existence. Entretien …

STRYKER, LE PERSONNAGE

Salut Stryker, peux-tu nous faire une brève présentation de toi ?

J’ai 41 ans et je suis né à Marseille. J’ai commencé à écouter du hard-rock en 1981. Je me suis mis au punk en 1988. J’organise des concerts sur Marseille depuis 1989. J’ai tenu de 1996 à 1998 le bar metal Codex Demonicus (ex-Black Hole). Quelques années avant, j’avais aussi fait barman dans un local de bikers. De 1989 à 2004, j’ai fait la sécurité et le road sur de nombreux concerts hard, punk,…dans plusieurs salles de la région. J’ai ouvert le magasin Sabre-Tooth en 1999.

Par quel biais as-tu découvert le Metal ? Quelles ont été tes premières tapes, tes premiers LPs ?

J’ai eu (par erreur) pour mes 13 ans "For Those About to Rock" d’AC/DC. Je n’ai pas aimé à la première écoute. J’étais, il est vrai, habité par les a priori concernant le hard rock. Puis en l’écoutant à nouveau, j’ai trouvé des passages qui m’ont plu. C’était en 1981. En discutant avec des copains de ma classe, j’ai eu quelques noms de groupes : AC/DC, Iron Maiden, Van Halen, Black Sabbath, Led Zeppelin. Puis un copain de mon quartier m’a vendu quelques disques : Van Halen, Scorpions, Trust, Kiss, Saxon, AC/DC.  Comme on n’avait pas beaucoup de sous, on se copiait des K7 avec les copains. J’ai ainsi découvert Venom en 82. J’ai vraiment adoré !!!
Ça peut faire bizarre de nos jours, mais j’ai beaucoup appris grâce à la radio et à la télé.
J’ai écouté les émissions de radio locales. Il y en avait 6 par semaine. C’était vraiment bien. J’ai encore des contacts réguliers avec 3 des animateurs de l’époque. Il y avait aussi les émissions "nationales" : Wango Tango de Zegut  sur RTL puis Doum Doum Wah Wah sur RMC. Il ne faut pas oublier la télé qui à l’époque passait autre chose que de la variété : Les Enfants du Rock, Platine 45, Metal 6, Boulv Hard… Si tu ajoutes Enfer Magazine,  Metal Attak et les fanzines, tu pouvais te faire une éducation totale dans les médias.

Qu'est-ce-qui t'a séduit dans ce genre musical au point de vouloir en faire ton métier ?

Je ne peux pas réellement dire ce qui m’a séduit au départ. Je sais que j’aime la musique qui bouge. Je n’ai jamais voulu en faire mon métier. C’est là aussi arrivé un peu par hasard. Un bilan ANPE, une étude de compétences, des démarches administratives et le magasin était créé. Bon, il est vrai que j’avais une distro depuis 2 ans. Mais ouvrir une boutique ne m’avait pas effleuré.  De plus, je suis d’abord un collectionneur. Ce qui rend au départ plus dur la démarche de vendre. J’ai vendu des disques qui auraient eu une belle place chez moi. J’avoue que parfois j’ai un petit pincement au cœur en voyant partir certaines pièces. Je sais aussi que je fais plaisir à un client qui a les mêmes goûts que moi. Ça soulage.

Personnellement, quels sont aujourd’hui tes styles de metal favoris ? Et, au contraire, y’en-a-t-il que tu ne peux pas blairer ?

Je suis toujours fan de heavy et de thrash. Je n’accroche pas tellement au hard FM ni aux chansons trop molles. Ce qui me plait en priorité, c’est la musique ou je peux me défouler. Même maintenant j’adore me faire un petit pogo de temps en temps (le dernier sur Agnostic Front au Hellfest 2010). Je n’ai pas été fan de death ni de black au début. Aujourd’hui, il y a plein de groupes que j’apprécie dans ces styles. Surtout les groupes avec une influence heavy, thrash ou punk marquée bien sur. C’est pourquoi j’aime bien le death suédois qui a un coté très punk. J’aime aussi pas mal de groupes de black et surtout de black/death. Ce style moderne me convient bien. Mais j’ai découvert aussi depuis quelques années des groupes d’électro qui m’ont plu par leur influence punk.
Lorsque j’écoute un groupe, j’ai 2 approches.
Tout d’abord c’est le classique « j’aime / j’aime pas ». L’appartenance à l'une ou l’autre des catégories peut bien entendu varier selon les moments.
J’ai ensuite une approche plus réfléchie de la musique. Je prends en compte le coté technique, le feeling et la capacité du groupe à me faire entrer dans son univers. Il y a donc des groupes que je n’écoute pas volontiers mais que je trouve très compétents. J’ai par exemple plusieurs clients qui sont branchés funeral doom, noise ou emocore. Certains groupes arrivent à me faire entrer leur monde musical. Je n’apprécie pas ce que je découvre mais le pas est franchi : ils m’ont fait plongé dans leur univers. Il est vrai que souvent, j’essaie de m’échapper le plus vite possible.
Par contre, il y a des groupes dont je n’apprécie pas la musique et qui me laissent indifférents.
Il y a aussi ceux qui ne sont efficaces que sur scène et dont les productions studio sont de piètre qualité. Ça fait de bonnes surprises en concert.

Es-tu musicien, ou as-tu déjà fait partie d'un groupe ?

Je ne joue d’aucun instrument. J’aurais bien voulu avoir une basse quand j’étais jeune. Mais je n’avais pas les moyens. De plus, je considérais que posséder un instrument n’était pas tout. Il fallait s’entrainer et prendre des cours. Quand j’ai bossé l’été à 16 ans, j’ai eu d’autres priorités. Je suis juste monté chanter une dizaine de fois sur scène par hasard (plusieurs fois sur des reprises de MOTÖRHEAD).
Un groupe, c’est un engagement important qui demande beaucoup de temps. Je sais que je ne pourrais pas m’y consacrer alors je ne me lance pas.

On a déjà du te poser la question mille fois, mais j'y vais de ma mille et unième !
N'as-tu jamais rencontré des soucis, provocations ou autres agressions du fait que tu sois un black évoluant dans un milieu principalement blanc, notamment quand tu travaillais en tant que barman et à la sécurité des concerts ?

C’est vrai que j’ai régulièrement droit à cette question. La scène française est en grande majorité blanche. Mais le fait que la scène soit majoritairement blanche en occident ne signifie pas qu’elle est uniquement blanche ni faite que pour les blancs ni que les blancs qui écoutent du rock considèrent être les seuls à avoir le droit d’en écouter. La scène est faite pour les rockers et il n’y a pas de stéréotype. Le rock est d’abord un style musical et un état d’esprit. Il ne faut pas oublier que le rock est né de la musique noire américaine et que les pionniers sont Chuck Berry et Little Richard. Cette musique est écoutée dans le monde entier et il y a des créations de groupes partout. La couleur des scènes varie donc en fonction du lieu ou l’on se trouve. Mais le communautarisme musical est un large débat. J’ai au magasin des jeunes (et moins jeunes) de toutes les couleurs, de tous les quartiers de Marseille et de tous horizons. J’ai aussi des clients étrangers de tous les continents. J’ai rencontré des asiatiques, des israéliens, des américains, des sud-américains, des libanais, des turcs, des grecs,… J’ai même rencontré un jeune marocain qui avait été arrêté dans son pays pour avoir organisé un concert de black metal.
Pour mon cas précis, dans la première asso ou j’étais (Rocklife), il y avait  de quoi faire un épisode de feuilleton américain : un noir, un arabe, un espagnol, une fille, un "français", un corse. On ne se souciait pas de l’apparence mais de la motivation. Quand on était jeunes, il fallait faire ses preuves par les poings et les connaissances musicales pour être considéré comme un "vrai rocker". Je n’avais pas peur de me battre le cas échéant et je lisais le plus de magazines possibles. Nous étions des hard rockeurs et c’est tout. La seule appartenance à ce groupe nous rendait déjà différents du reste de la population. On a créé la scène marseillaise en faisant un concert par mois dans le lieu mythique qu’est "La Maison Hantée". Donc, tous les jeunes qui venaient au concert nous voyaient et il n’y avait que des remerciements. Quand tu viens voir un concert et que tu te régales, tu fais la fête avec tous ceux qui sont là sans penser à leur couleur.
J’ai bien sur eu des questions du style : « Mais tu es noir et tu écoutes du hard ??? »  Et ça par des gens de tous horizons et de toutes couleurs !!! Et j’ai souvent eu à expliquer ma passion pour cette musique.
Dès 1989, j’ai eu un rôle actif dans les concerts. Je n’ai pas abusé de mon pouvoir quand je faisais la sécurité. Les concerts se sont durcis au milieu des années 90 avec une vague d’extrémistes de droite dans le metal. J’ai eu à gérer des cas un peu plus compliqués. Quand je bosse, les idées politiques des uns et des autres restent dehors. Tout le monde a toujours pu entrer à mes concerts du moment que c’était dans un bon esprit. La politique c’est pour les meetings. L’énorme majorité l’a compris et a passé de bonnes soirées. Une minorité a du être rappelée à l’ordre. Je suis quelqu’un de plutôt gentil mais je ne me laisse pas faire et je sais montrer aussi que j’ai du répondant. Encore aujourd’hui, j’ai parfois des clients qui sont surpris en me voyant. Mais après 2-3 phrases, on discute entre rockers. Il y a moins de surprise chez les jeunes et chez les gens qui ne sont pas de Marseille. Ils sont habitués à voir des rockers de "toutes les couleurs". Grâce à internet, beaucoup de gens ont des contacts avec des groupes du monde entier.

Toi qui as pu suivre en direct l'intégralité de la carrière de certains groupes très célèbres, quel est ton regard sur l'évolution très controversée de Metallica par exemple ? Quel a été ton ressenti à la découverte de leurs toutes premières démos, au vécu de leur âge d'or Ride the Lightning / Masters of Puppets, du virage du Black Album, … et que reste-t-il, à tes yeux, de ce groupe aujourd'hui ?

J’ai eu la chance de connaître Metallica avec la démo qui a précédé "Kill’em all". Merci encore à Jean-Michel qui animait l’émission de radio Decibel. Ça a été la grosse claque pour tous ceux de ma génération. Mais il y a eu les éblouis et les dégoutés. Pour nous, les tout jeunes, ça a été magique. Le lendemain matin au collège on était comme des fous : « alors, tu a écouté hier ? Bien sur. METALLICA trop bon !!! ». Les hard rockers classiques trouvaient ça trop rapide. Mais pour nous c’était le bon cocktail : puissance, vitesse, folie.
Sur "Ride the Lightning", on découvre grâce à une meilleure production que le groupe sait bien jouer. Sur "Master of Puppets", on prend tous une nouvelle claque avec le son phénoménal. On n’avait jamais entendu une telle puissance. Pour moi, c’est leur album le plus abouti. "And Justice for All" : album trop froid pour moi. Il est sorti alors que je me mettais au punk. Les morceaux sont trop longs et je préfère la musique joyeuse. C’est l’album du deuil mais ça je ne l’ai pris en compte que plus tard.
Le "Black Album" a été vécu par beaucoup de fans de la première heure (moi y compris) comme une surprise très désagréable. Album ultra commercial : des balades, des tonnes de 45T, maxis, pressages, objets… alors que Metallica avait critiqué Maiden pour ces mêmes raisons. J’ai eu les larmes aux yeux en l’écoutant. Pour moi, ça a été une trahison !!! Pas eux !!! Cependant avec du recul, je pense que le groupe ne serait pas le METALLICA (en majuscules) qui est là aujourd’hui s'ils avaient continué à faire le style qui me plaisait. Ce virage dans leur carrière a été très réussi et quelque part, tant mieux pour eux. Et tant pis pour moi. Je les ai quand même vus 7 fois en concert entre le "Black Album" et "Saint Anger". Je n’ai jamais été déçu.
"Load",  "Reload" … (NDLR : un silence qui en dit long) … "Saint Anger" : première fois que le groupe est suiveur dans un mouvement musical. Tout est mauvais. Batteur-casserole, chanteur nasillard, pas de solo de guitare, pas réellement de bassiste !!!! Je ne comprends pas pourquoi ils l’ont fait. J’ai vu leur vidéo-documentaire mais ça ne donne pas de réponse. Je pense qu’ils auraient du attendre 6 mois au lieu de pondre un truc pareil.  Ou alors ils auraient du le faire écouter à des gens avant de le sortir pour avoir des avis extérieurs. "Death Magnetic" : c’est une sorte d’anti "Saint Anger" plein de soli, un gros son, de meilleures compos. Juste dommage qu’il n’y ait plus vraiment de cohésion entre certains musiciens.
Malgré toutes les critiques musicales que je pourrais faire, je leur souhaite une longue et heureuse suite dans leur carrière.

Tu as toujours été fortement attaché à Motörhead. Ce groupe t'as-t-il déjà déçu par un de ses albums ?

Non, jamais. Il est évident que toute la carrière n’est pas égale. Il y a des albums qui me plaisent plus que d’autres. Je préfère les premiers comme beaucoup de "vieux". Les compos me plaisent plus et correspondent à mon adolescence, époque qui est pour beaucoup hautement émotionnelle. Mon album préféré est "Another Perfect Day". Mais le groupe a une carrière complète qui reste dans un bon esprit. J’ai aussi eu la chance de les rencontrer plusieurs fois et ce sont vraiment des gars très gentils et très simples. J’adore leur attitude et leur intégrité. Vous aimez ce que je fais tant mieux, vous n’aimez pas : tant pis, on continue. Et ça dure depuis 35 ans.
Depuis que je bosse sur les concerts, j’ai rencontré des musiciens du monde entier dans plein de styles différents. Comme je porte souvent (certains diront toujours) des T-shirts de MOTÖRHEAD, la conversation arrive souvent sur le groupe. Il est impressionnant de voir le respect que provoque le nom de LEMMY. Il dégage une aura presque mystique. Et pourtant, il ne se comporte pas comme une rock star. Il est vraiment très abordable. Et il en va de même avec Phil et Mikkey.

En dehors de la musique, as-tu d'autres hobbies et occupations ?

La musique me prend pas mal de temps entre le magasin et les concerts.
J’adore la lecture. Je lisais beaucoup quand j’étais plus jeune. Comics, livres policiers, espionnage, SF. Puis j’ai travaillé de nuit pendant des années et j’ai beaucoup réduit. Depuis quelques années, je m’y suis remis et je lis la série Dune (j’en suis au 14ème volume).
J’ai aussi lu White Line Fever de LEMMY, Please Kill Me (sur l’histoire du punk), … Je lis très peu de livres en français. Je préfère lire directement en anglais. C’est parfois un peu dur de rentrer dans la structure linguistique de l’auteur mais une fois que le cap est passé, ça va. Quand je regarde un film, c’est aussi VO de préférence. J’ai aussi fait pas mal de sport : Judo, Taekwondo, Aikido, … Je ne pratique plus en club mais j’essaie de rester un peu en forme.
Mais mon occupation préférée, c’est mes enfants !!! Eux aussi me font faire du sport. Je te garantis que courir à coté d’un vélo (sans petites roues) c’est une bonne expérience. Sans compter le rattrapage au vol pour éviter les chutes et les esquives de trottinettes.

LA BOUTIQUE SABRE TOOTH

Quelles sont les raisons et significations se tapissant derrière le choix du nom de "la Dent de Sabre" pour ta boutique ?

Beaucoup de gens pensent que c’est lié aux X-Men mais les films qui ont rendu le personnage célèbre sont sortis après la naissance du magasin. Il est vrai que je suis fan de Serval depuis très longtemps. Dans la version originale, Sabre-Tooth est le nom de son ennemi.
Mais ça n’a eu aucune influence sur le nom de la boutique. En fait, j’ai toujours adoré les tigres à dents de sabre. Cet animal préhistorique me plaisait quand je lisais des livres sur les animaux. J’aime les tigres en général et je trouve leur ancêtre fascinant.

Sabre Tooth a récemment fêté ses 10 années d'existence. Lors de sa fondation, pensais-tu durer aussi longtemps dans le milieu et quelles ont été les principales difficultés que tu as pu rencontrer ?

Ça va avoir l’air un peu prétentieux ou naïf, mais j’ai ouvert le magasin avec l’intention de durer longtemps. Il est vrai que j’ai eu droit à des tas de découvertes : administratives, fiscales, comptables, bancaires… Il faut aussi toujours jongler avec les commandes. Je travaille avec des fournisseurs du monde entier pour les disques et les produits dérivés. La préparation des commandes est un véritable parcours du combattant. La principale difficulté est celle de la plupart des commerces : toujours avoir de nouveaux produits. Je tourne sur plus de 5000 références. Et j’ai pas mal de clients qui passent toutes les semaines depuis des années. Je travaille beaucoup sur commande sur la musique et les T-shirts.

As-tu vu tes ventes de disques se casser la gueule au cours des années avec le fléau du téléchargement sur internet ?

J’ai bien sûr vu l’impact énorme du CD gravé puis du téléchargement. La baisse a été colossale. Je ne compte plus le nombre de clients venus me conseiller sur des disques un mois avant leur sortie officielle. Mais les choses ont l’air de se stabiliser un peu. Plusieurs clients sont passés au "téléchargement responsable". Découverte en MP3 ou sur myspace puis achat du CD quand ça plait. Il n’y aura cependant aucun retour en arrière.
Mais je ne peux pas jeter la pierre aux clients. On leur donne tous les outils pour se passer de support physique en leur vendant un sous-produit qu’est le MP3. Et certaines très grandes entreprises gèrent les artistes et vendent des CD vierges et des graveurs. Pour moi, il est évident que mes ventes ont beaucoup chuté mais je m’efforce de toujours trouver de nouveaux albums.

Ne crains-tu pas, en plus de cela, la forte concurrence existant au niveau des prix de vente des disques qui sont, il faut bien le reconnaître, un poil plus attractifs chez de nombreux autres distros ?

La concurrence existe. Il est vrai que je suis plus cher que pas mal de distros mais je suis beaucoup moins cher que certaines grandes enseignes. Grandes enseignes qui, malgré leur prix parfois très élevés, vendent beaucoup plus que les distros et moi !!!
Je fais tout pour avoir des prix les plus bas possibles. J’essaie de proposer des choses différentes et nouvelles. J’ai des clients qui reviennent au magasin après 1-2 ans passés sur internet. La présence d’un humain est je pense très importante.

Pourquoi refuses-tu de distribuer les productions de certains gros labels comme Nuclear Blast par exemple ?

Je ne refuse pas réellement les gros labels. Tout dépend des prix et des conditions commerciales. Quand j’ai débuté, j’ai écrit à plein de labels. J’ai reçu des réponses et j’ai fait mon choix. Il y a un très gros label qui m’a répondu que pour bosser avec lui il y avait une 1ère commande imposée de 100 000 Francs (15 000 Euros). Il va sans dire que je n’ai pas donné suite.
Pour Nuclear Blast, j’ai pas mal de leurs références (au moins 50). J’ai plus de difficultés avec Century Media. Le gros problème c’est qu’il y a un nombre de sorties phénoménal. On me propose en métal 50 nouveautés par semaine. Je dois faire le tri pour les commandes. Tu ajoutes les nouveautés en punk et les références ou je dois faire du réassortiment (ou pas). Plus certaines commandes précises pour certains clients. Chaque commande m’oblige à jongler. Il est donc normal que tout le catalogue de tous les labels ne soit pas représenté. J’essaie vraiment de trouver des bonnes choses pour mes clients.

Pour parler de styles en marge du metal, on peut trouver dans ton rayonnage de la gothic / darkwave (Ataraxia, Dark Sanctuary, …) et du dark ambient (quelques prods Cold Meat Industry et Cyclic Law notamment). Trouves-tu beaucoup de demandeurs pour ces genres très confidentiels, et penses-tu continuer à en distribuer à l'avenir ? Enfin, à titre personnel, affectionnes-tu ce genre de musique ?

Au magasin, j’ai plusieurs rayons spécialisés : hard-rock, punk, gothique, … Le plus gros bloc concerne le metal dans son ensemble. Il existe de nombreux groupes gothiques, dark et indus qui ont commencé leur carrière dans le black metal ou le death. J’en ai donc naturellement pour compléter les discographies. Comme j’ai aussi quelques clients qui sont réellement branchés gothic dark ou gothic electro, j’essaie de leur proposer un rayon intéressant. Il est vrai que je ne remplirais pas le magasin avec ce style de musique. Mais comme je travaille aussi sur commande, je peux avoir de nombreuses autres références.
A titre personnel, je préfère la musique dérivée du rock’n’roll et pas tellement la musique électronique. Il me faut des instruments et des humains qui en jouent. Cependant, j’ai vu quelques concerts plus électroniques et certains musiciens m’ont bien plu. En fait, je suis plutôt "joyeux" dans la musique, c’est pourquoi je préfère le heavy et le thrash. Les styles sombres ne m’attirent pas a priori. J’aime bien les groupes électro déjantés comme Tamtrum (pas parce que c’est des copains) ou Das Ich. Ou électro death comme Samsas Traum. J’ai vu pas mal de concerts et soirées goth-electro et tout ne me déplait pas. Dans le style, je préfère les groupe new-wave 80 comme Sisters Of Mercy car ils sont assez proches des racines punk.

N'aurais-tu pas envie un jour de monter un label pour produire et diffuser des artistes metal, des jeunes groupes sans contrat que tu trouves prometteurs, ... en plus de la boutique ?

J’ai déjà un label !!! J’ai produit en 2001 l’édition vinyle de la discographie complète des Warrior Kids (groupe de punk de Marseille célèbre dans les années 80).
Je connais donc la base de ce travail. J’ai déjà entendu des groupes qu’il m’aurait plu de produire. Le problème, c’est le temps. Si je produis un groupe, je veux que ce soit bien fait. Je n’ai pas envie de produire un disque pour le laisser dormir dans un entrepôt.
Je ne dis pas que ça ne me tente pas de recommencer. J’y réfléchis de temps en temps. Mais il faut trouver le moyen de faire un boulot sérieux. Le problème du temps c’est justement le "en plus de la boutique".

LES CONCERTS

La région Sud-Est de la France, et notamment la Côte d'Azur, n'est pas particulièrement réputée pour son activité et son public metal, loin de là. Partages-tu ce sentiment, toi qui agis au cœur de la fournaise ?

Notre région n’est plus réputée pour être une "fournaise". En ce qui concerne le rock. Je pense qu’il y a plusieurs problèmes.

- On est en France qui n’est pas un pays connu pour son amour du rock. Quand le Général De Gaulle a viré les bases américaines, il a en même temps bloqué l’entrée de la "culture" américaine donc du rock’n’roll. Le rock a été en grande partie diffusé en Europe grâce aux bases US. Je m’en suis bien rendu compte en lisant l’autobiographie de DeeDee Ramone. Il a été élevé en Allemagne et il a connu le rock par les marines. Les régions qui bougent le plus sont les régions frontalières et Paris bien sûr car c’est la capitale et le centre démographique de notre pays. Le Nord avec la Belgique, l’Est avec l’Allemagne, le Sud Ouest avec l’Espagne et le Pays Basque, et la Bretagne qui est entre Paris et l’Angleterre.

- Marseille n’est proche d’aucune frontière. Donc nous ne bénéficions pas de "contagion rock" par un pays limitrophe.

- Pour le Sud-Est, il y a Toulon plutôt axée sur la marine militaire, Cannes et Nice qui sont des villes avec une population plutôt âgée.

- A l’Ouest, Montpellier ville très étudiante bouge bien grâce à l’asso Tout A Fond.    

Cependant, il y a de nombreuses assos qui se bougent et à Marseille, on peut voir 2-3 concerts par semaines. Il suffit d’être ouvert d’esprit. Il y a des salles qui proposent du rock énergique régulièrement : La Machine A Coudre, Le Local, l’Embobineuse, le Baby, l’Enthropy… C’est évident que le mot ROCK ne vient pas à l’esprit des gens quand on parle de Marseille, mais il existe tout de même des gens qui se bougent bien. Bien sûr, pour ceux qui veulent uniquement leur groupe préféré devant chez eux et gratuit, il n’y a plus rien à faire.

As-tu observé, au cours des années, une baisse de la fréquentation des concerts dans la région, et n'as-tu pas parfois l'impression d'agir "pour rien" ?

Quand nous avons commencé à organiser des concerts avec l’association Rocklife, il n’y avait que nous (et Run Away Movement pour les punks). On en faisait un par mois à La Maison Hantée. Nous avions une base minimale de 70 personnes à tous nos concerts. Le nombre étant le plus souvent au-dessus de la centaine. Le public venait de toute la région. Au fil des années, d’autres assos se sont créées un peu partout avec plus ou moins de succès. Le nombre des concerts est aujourd’hui de 15-20 par mois dans un rayon de 100 Km. Le problème, c’est que le public a augmenté mais pas dans les mêmes proportions. Il y a donc eu une sorte de dilution. Ce qui fait que certains concerts qui avant auraient attiré 100 personnes se retrouvent avec 20-30 personnes. Ce qui est en général en-dessous du seuil de rentabilité. C’est pourquoi de nombreux organisateurs de petits concerts jettent l’éponge. Ce qui est aussi rude, c’est que les grands groupes ne remplissent pas non plus. Certains marseillais négligent les concerts locaux pour privilégier les concerts à Paris ou les festivals. Dans le même temps, ils disent qu’ici, il n’y a jamais rien. Ils n’essaient pas d’aller voir les petits groupes (ni les moyens, ni les gros) qui jouent ici. C’est vraiment dommage que le goût de la découverte s’estompe comme ça.

Faire jouer des groupes, c'est connaître son lot de réussites mais aussi son lot de plantages. Racontes-nous ton plus grand top et ton pire flop à ce jour …

Mon plus grand plantage c’est mon dernier concert en date Killers - Revenge - Engraved - Kumshot Diesel. Une belle affiche, 1er concert de Killers à Marseille, Revenge qui a ses fans ici, 2 groupes locaux qui bougent bien. Mais il y a eu des 5-6 concerts metal dans un rayon de 100 km avec des groupes de Marseille qui ont joué le même soir. Donc le public s’est encore une fois dilué. Cependant, les groupes ont tout donné et ceux qui étaient là ont eu droit à un super concert. Franchement, si c’était à refaire je le referais avec les même groupes mais en déclenchant des alertes à la bombe dans tous les autres concerts !!!!!!
Mon plus gros concert a été Vader - Septic Flesh - Deviant - Inactive Messiah. Un super concert, une super soirée, assez de monde. Parler anglais avec des suédois, des grecs et des polonais, c’est vraiment très amusant. Avec le Club Hard Rock, nous avons aussi fait Nightwish, Morbid Angel, Slingshot (MacAlpine, Sheehan, Donati), Anathema, Therion, Samael, Gwar, …

Ces concerts sont également pour toi l'occasion de rencontrer les artistes de la scène metal. Tes meilleurs souvenirs à ce niveau-là ? Et si tu as deux / trois anecdotes à nous raconter, on est preneurs …

J’ai rencontré toutes sortes d’artistes du monde entier dans plein de styles musicaux différents. Tout s’est très bien passé avec la grande majorité. Avec certains, ça a été assez particulier, je pourrais remplir des pages avec toutes les anecdotes. Je vais commencer par mon groupe préféré MOTÖRHEAD.

- J’ai rencontré Lemmy en Italie en 2000. On a un peu discuté et j’ai pris une photo avec lui avant qu’il ne reprenne le bus. Je l’ai revu à Istres en 2007 : en arrivant dans les backstages je tombe nez à nez avec Lemmy qui me montre du doigt en me disant : « I remember you !!! ».
Je n’y ai pas cru car il voit des dizaines de personnes tous les soirs. J’ai quand même joué le jeu : « oui, on s’est vu en Italie » et il m’a vraiment surpris en me répondant : « oui, à Milan aux Gods of Metal ». Il m’a ensuite gentiment signé la photo prise à l’époque.

- Lorsque je tenais le Codex Demonicus, j’ai fait découvrir les Ramones à Dark Funeral. Ils s’en sont souvenus lors de leur second passage à Marseille il y a 2 mois.

- Lors du concert de NOFX à Marseille, le groupe m’a dédicacé l’intro de "Iron Man" de Black Sabbath.

- J’ai eu droit à Londres à un concert de UK Subs dédié aux punk rockers de Marseille. J’avais amené à Charlie Harper, le chanteur, des articles de l’OM pour son fils.

Ces rencontres peuvent être aussi des désillusions, se rendre compte que certains de ces artistes sont les pires des enflures. T'es-ce déjà arrivé de tomber sur de véritables enfoirés ?

Il faut bien penser au départ que ce ne sont que des êtres humains qui font leur boulot (ou leur loisir). Comme tous les humains, ils ont leurs états d’âme. Certains arrivent épuisés par les trajets, ont mal dormi, ont eu des problèmes techniques ou personnels. Certains ont le stress d’avant concert (même dans les grands groupes !!!), d’autres sont épuisés après les shows. Il faut donc, quand on bosse sur un concert, gérer tous ces paramètres qui s’ajoutent à ceux de l’organisation proprement dite. J’ai donc eu droit à plein d’attitudes différentes.
Dans les cas marquants :

- Il y a eu un chanteur qui passait son temps à nous parler de politique pendant le concert et qui n’arrêtait pas de provoquer le public marseillais. J’étais juste dans le public et c’est un des seuls concerts ou j’ai failli partir avant la fin.

- Un groupe de skinheads (non politisés) prônant des valeurs anti-hippies et une certaine pureté (non raciale, je précise) dans leur textes et qui voulaient après le concert faire une virée dans Marseille pour trouver des filles et de la drogue. On les en a heureusement pour eux dissuadés.

- Un groupe de black metal dont le chanteur nous a demandé, alors qu’on faisait la sécurité, d’empêcher le public de le toucher. Il fallait en effet traverser la foule pour rejoindre la scène.
Mon collègue lui a gentiment expliqué qu’il n’en était pas question, que les jeunes ne lui voulaient pas de mal, qu’ils étaient là pour le voir et qu’il allait serrer les mains et signer des autographes. Ce qui fut fait à la fin du concert à la plus grande joie de tous.

Y'a-t-il des groupes que tu adores et que tu n'as jamais pu programmer jusqu'à présent ?

Il y a plein de groupes que j’aime. Je sais que je ne pourrais pas tout seul faire jouer les plus gros car il y a trop de sous en jeu. J’essaie juste de me faire plaisir quelque soit le groupe que je fais jouer.

Et pour finir, un dernier petit tuyau pour nos lecteurs : quels sont les prochains concerts que tu prévoies d'organiser ?

A titre personnel, je n’ai rien de prévu pour l’instant. Un concert ça prend du temps et il faut s’y consacrer du mieux possible. Le Club Hard Rock est sur plusieurs projets mais les négociations sont de plus en plus longues et difficiles.

Merci Stryker pour le temps consacré à cette interview. Une dernière chose à ajouter ?

Ça va avoir l’air d’une phrase des César mais vraiment merci à vous de vous bouger pour la Scène. J’ai fait un fanzine il y a quelques années et je sais le boulot et la patience que ça demande. Merci général à tous ceux qui se bougent en organisant ou en participant.

Interview réalisée par Vinterdrøm



2 commentaires:

Maxwell a dit…

Terrible cette interview !

Bertrand a dit…

Une belle découverte pour ma part, salutations d'un metalleux du Nord !