L'HISTOIRE DU GOTHIC METAL - PART 2 : LES PIONNIERS DU GOTHIC METAL


TYPE O NEGATIVE - Bloody Kisses (1993)

Tenter d’esquisser dans une ébauche forcement non-exhaustive la naissance du metal gothique sans évoquer le cas Type O Negative s’apparenterait à une erreur inqualifiable. Et décrire la musique de ce groupe sans insister sur l’aspect curieux de son leader charismatique, Peter Steele, en serait nécessairement une autre. Car incontestablement l’homme est atypique, pour ne pas dire insensé. Il cultive, avec talent, l’image d’un agitateur perturbé et dépressif, à coup de frasques souvent farfelues, parfois de mauvais goût, mais toujours d’une sincérité déconcertante. Incontestablement, c’est subtil, d’autant que le metal gothique ne se prête pas seulement formidablement à cette introspection de la douce instabilité, il est aussi le plus parfait théâtre de ce voyage intérieur au milieu de ses propres névroses. Pourtant, si les errements de l’homme n’étaient pas aussi révélateurs d’un talent assez captivant, ils n’en seraient que plus ridiculement anecdotiques.
Un aspect non négligeable de l’essence de la musique de ce groupe réside dans cette capacité à puiser son inspiration à d’autres sources que celles étroites de l’unique metal. Du doom au post-punk en passant par le thrash et même par le pop/rock (Peter n’ayant jamais caché son amour pour les Beatles, le groupe allant même jusqu’à se présenter comme "The Drab Four" - les quatre "ternes" - en référence au surnom "The Fab Four" des quatre liverpudlians), Type O Negative aura su définir dans une vision, à la fois très personnelle et très précise, des paysages vastes, riches et quoi qu’on en dise uniques.
Fondé en 1988 autour de Peter Steele à la basse et au chant, Sal Abruscato à la batterie, Josh Silver au clavier et Johnny Kelly à la guitare, c’est à Brooklyn, New York, sur les cendres de Carnivore, groupe thrash où Peter officiait, que Type O Negative vient au monde. Le groupe s’appellera d’abord Repulsion. Une première démo au titre de "NoNe More Negative" sort avant que, plus tard, il ne se  rebaptise Sub Zero, pour finalement préférer Type O Negative. Peter Steele choisit ce nom en consultant les annonces des pages d’un annuaire où l’insolent hasard ironique offre à ses yeux quelques lignes publiées par une banque promettant une forte somme contre du sang de type : O négatif. Il n’en fallut pas plus pour attiser le cynisme exacerbé du facétieux personnage.
Après la signature d’un contrat sur le label Hollandais Roadrunner Records, le groupe sort son premier véritable album, "Slow, Deep and Hard" composé essentiellement des morceaux de sa première démo. La teneur hautement sulfureuse et insolente des textes de cette œuvre, mettant en exergue l’humour très particulier de Peter, lui vaut des accusations de misogynie, et avec sa collection d’objets de la seconde guerre mondiale, c'est amplement suffisant pour que ses détracteurs y ajoutent une sympathie nazie, évidement fausse. Charges que les médias n’hésiteront pas à largement relayer. En réponse à ces calomnies, le chanteur/bassiste se contentera de sortir en 1992 un album au titre singulièrement évocateur de "The Origin of the Feces", avec comme pochette originale pour ce faux live une photo de ses propres fesses écartés par ses mains pour, justement, nous faire voir l’origine des résidus.
Si ces deux premiers essais offrent l’évocation d’artistes qui se cherchent musicalement dans un propos influencé essentiellement par des rythmes et un esprit punk/rock/thrash, aux guitares froides et mécaniques sous-accordés, véritable être hybride où les passages doom ne sont que des intermèdes délicieusement glauques et où le gothique n’est pas primordial mais sous-jacent, c’est incontestablement avec "Bloody Kisses" que le groupe change assez radicalement de visage pour devenir un être principalement doom/gothique aux charmes sensuels. L’album, qui marque véritablement un tournant important dans la carrière du groupe, sort en 1993, toujours chez Roadrunner Records, et il va incontestablement marquer les esprits car, outre ces titres envoûtants, là où certains autres, à cette époque, instrumentalisent leur musique au travers de thèmes récurrents tels la mort, le désespoir, la poésie, la littérature ou encore les quelconques autres vicissitudes souvent douloureusement imaginées dans un spectacle symbolique où un certain romantisme suranné et quelque peu surjoué, prends tout son sens, Type O Negative, quant à lui, privilégie toujours encore une certaine authenticité, certes souvent de manière insolente, mais assurément plus légitime. Il est largement aidé en cela par son chanteur, son humour et ses humeurs dépressives. Peter ne compose pas uniquement ce qu’il ressent, mais aussi ce qu’il vit et en quelque sorte ce qu’il est.
Si ce "Bloody Kisses" est dans son ensemble une synthèse d’émotions délicieuses et ensorcelantes qui caressent l’esprit au son de la voix suave, grave et charnelle de son chanteur, magnifiquement mis en avant par ces guitares profondes, souvent perdues dans une lenteur infiniment mélancolique, c’est assurément avec les morceaux "Christian Woman" et "Black N1 (Little Miss Scare-All)" que le groupe offre la quintessence de son art. Retraçant avec une dérision sarcastique les souffrances d'une chrétienne déchirée entre son dévouement à Dieu et ses désirs les plus inavouables pour l’un et de la futilité face aux angoisses existentielles d’une femme gothique dont les soucis d’apparence sont ridiculisés pour l’autre, ils constituent l’ossature vertébrale la plus caractéristique de cette œuvre réussie. Dans une danse de séduction de plus de vingt minutes, le chant de Peter érotise les sens de l’auditoire, accompagné de riffs profonds. Les titres "Summer Breeze", reprise du groupe Seals And Crofts, et "Bloody Kisses (A Death in the Family)", sont deux autres chapitres aux mélopées alanguis qui, un peu moins bouleversants de cette Bible, s’inscrivent eux aussi dans cette page d’histoire comme d’excellents morceaux.
Parler d’autres titres tels que "Set Me On Fire", "To Late : Frozen" ou "Blood and Fire" pour leur aspect plus "énergique", plus "sauvage", plus "rapide" sans évoquer que cette "énergie", cette "sauvagerie", cette "rapidité", ne venant certainement pas nuire à l'ambiance de cette romance charmeuse que constitue cet album, est somme toute, assez relative, serait trompeur. En vérité, seuls certains passages de "We Hate Everyone", et surtout un "Kill All the White People" véloce, dernier relents punk-rock/thrashy, viennent quelques peu déséquilibrer cette aubade. Ce dernier, ultime crachat aux visages de ceux qui accusèrent le groupe de sympathie fasciste, tentent de discréditer ces accusations en prenant l’apostolat inverse, défendant un extrémisme prônant la suprématie du peuple noir.
L’atmosphère chargée des morceaux aux climats pesants de ce "Bloody Kisses" donne naissance à de profondes impressions délicieuses. Ces émois délectables se mêlent à ceux déstabilisants où l’étrangeté d’une folie douce n’est pas très loin. Peter Steele, en maître de cérémonie habile, vient semer ce trouble en complétant son œuvre par de petits instrumentaux aussi déroutants qu’incompréhensibles, aussi déstabilisants qu’inaccoutumés. Ces morceaux tels "Machine Screw", "Fay Wray Come Out and Play", "Dark Side of the Womb", "3.O.I.F", qui donnent à entendre des machines ronflantes, des bébés hurlants et des femmes soit en mauvaises postures, soit en plein orgasme, sont autant de petite pièces qui viennent s’insérer parfaitement dans un puzzle aliénant, porte ouverte sur l’esprit troublé du chanteur. Imprégner de toutes ces émotions (romance, folie, mélancolie…), l’homme peint ici un tableau complexe qui lui ressemble et, pour peu qu’on se laisse séduire, dans lequel on retrouvera forcement un peu de soi.
Cette lenteur, maintes fois évoquée, de mélodies lascives aux chants dramatiques sur fond de riffs indolents, marquent sans conteste la moelle naissante d’un style, faisant de ces particularités identitaires propres à Type O Negative les références d’une frange de musiciens non négligeable. Si on peut parler d’inspiration évidente, on peut aussi évoquer bien plus que cela tant l’empreinte du groupe new-yorkais est, aujourd’hui encore, bien présente, telle des stigmates obligatoires, dans nombre d’œuvres. Ainsi, on ne peut écouter The 69 Eyes, Him, Michelle Darkness et d’autres encore sans immédiatement penser aux quatre de Brooklyn. Preuve en est que si Type O Negative n’est pas tout à fait une légende, en faisant de ce "Bloody Kisses" une œuvre historique incontournable, il pourrait bien le devenir.

CREMATORY - Transmigration (1993)

En règle générale, metal allemand ne rime pas avec originalité et innovation, la scène de ce pays est généralement très conservatrice et la meilleure preuve est le succès de combos comme Primal Fear jouant un Heavy 966 fois entendu ou l’énorme place que tiennent les groupes de metal traditionnels dans les festivals Outre-Rhin.
Alors en pleine frénésie death metal et les sorties inondant le marché en 1993, qui aurait pu penser qu’un groupe teuton allait faire figure de pionnier dans le domaine du death/gothic ? Alors que Fleshcrawl et Obscenity n’ont encore qu’une audience confidentielle et que Morgoth commence à changer son orientation musicale, Crematory va devenir le groupe allemand en vogue dès son premier album "Transmigration" (1993).
Alors vous allez me dire, que fait un groupe de death dans la sélection gothic ? Primo, on est les Trublions et par conséquent on fait ce qu’on veut et pas ce qu’on attend de nous, secundo, à partir du troisième album, Crematory vire carrément gothic … alors quand on ne sait pas on évite de la ramener.
Crematory montre en tout cas une musique assez personnelle dès le premier disque, d’ailleurs un artwork étrange orne la pochette, colorée mais chargée et sombre (dans l’esprit). Les allemands évoluent dans un style death d’influence gothic assez novateur, les riffs pesants et la voix gutturale de Félix tranchant singulièrement avec les claviers tristes et emphatiques de Katrin.
Un intro inquisitrice et solennelle "Bequest of the Wicked", nous amène jusqu’à "The Eyes of Suffering" sur lequel la lourdeur des guitares n’a d’égale que l’atmosphère oppressante donnée pas le synthé et le break central où d’étranges voix claires s’entrecroisent : on peut appeler ça clairement du death/gothic.
"Deformity" montre plutôt une alternance de claviers très présents et de passages basés uniquement sur les instruments à cordes ("Never Forgotten Place" est du même acabit). Sans aller jusqu’à parler de death symphonique, on s’en rapproche à certains endroits. Le côté gothic est même poussé assez loin, sur des intros comme "Hall of Torment" entre autres, mais Crematory ne verse pas non plus dans le larmoyant, sachant toujours se recentrer sur l’efficacité lorsque l’ennui menace.
"Transmigration" n’est donc pas un grand classique ni du death, ni du gothic, mais aura eu le mérite d’initier avec un certain succès un mélange à priori contre nature. Dès l’année suivante, "… Just Dreaming" (1994) proposera une musique du même acabit toujours chaperonné par Massacre Records.
Il est amusant de constater que l’album s’ouvre sur le titre "Transmigration" (ce gimmick d’inclure dans chaque album un titre portant le nom de l’album précédent reviendra désormais systématiquement), lourd et sombre combinant comme savent le faire la bande du chanteur Felix : guitares percutantes et clavier gothic. On notera au passage une pochette toujours aussi bizarre de Hermann Hoormann : des couleurs de cartoon mêlées à un thème mystique et religieux dont le sens m’échappe…
Symbolisant l’étrangeté de la pochette, les growls de Félix se mêlent au clavier cristallin de Katrin et quelques chants clairs sur "Once Upon a Lifetime", c’est bien foutu mais ça manque quand même un peu de pêche. La grosse impression laissée par l’excellent premier titre s’étiole au fur et à mesure et si "I Saw the Angels Fly" saura encore retenir un peu l’attention grâce à des mélodies bien senties et des changements de rythmes salvateurs, Crematory a du mal à captiver l’auditeur jusqu’au bout, "In My Hands" ou "The Instruction" s’avérant trop bateaux, voire soporifiques par moments, avec en particulier un passage de clavier assez désagréable à la fin de la deuxième citée.
Crematory aurait pu broder autour de sa première offrande originale mais Katrin et ses acolytes ont préféré se reposer sur leur acquis en faisant réchauffer la même gamelle, mais en semant un peu d’inspiration et de puissance en route. On trouve donc de bonnes choses sur ce "…Just Dreaming" mais il manque d’homogénéité et surtout ne se renouvelle absolument pas, balançant des plans déjà entendus en long, en large et en travers sur "Transmigration".
Sentant sans doute leur recette usée jusqu’à la corde, le guitariste Lothar Först et sa troupe vont soudainement changer leur fusil d’épaule et laisser tomber presque entièrement leurs dernières influences death metal et se consacrer au metal gothic.
En effet, en ce milieu des 90’s, la vague gothic/doom/death initiée entre quelques années plus tôt par les hollandais de The Gathering commence à faire tâche d’huile, notamment en Norvège avec The 3rd And The Mortal et Theatre Of Tragedy.
Dans cette période où la scène death metal est en pleine saturation, le quintet allemand va laisser tomber ses influences metal extrême pour proposer un album clairement gothic. Désormais, les claviers de Katrin ne se contentent plus d’accompagner la musique, ce sont eux qui dirigent la manœuvre (dès la superbe intro "Reflexionen") aux côtés des guitares de Lothar. Les seuls éléments les rattachant encore au death sont le double pédalage intermittent de Markus et le chant de Felix, alternant chants clairs plaintifs et proposant encore de temps à autre des bons vieux growls.
En revanche, si la métamorphose musicale est nette, la pochette de leur dessinateur attitré est dans la lignée : chargée, aux couleurs chatoyantes et… bizarre (pour rester poli). Des titres comme "Tears of Time" ou "Lost in Myself" ont des allures de hits avec leurs refrains entêtants et leur approche mélodique, ce "Illusions" se révèlera justement trop mollasson pour les amateurs de metal extrême et peut-être pas assez raffiné pour les fans de gothic…
Comme si Crematory voulait y aller en douceur avec les anciens fans, les titres se font de plus en plus atmosphériques et les guitares moins farouches à mesure que l’on avance dans ce "Illusions", le doublé "The Atmosphere" / "The Beginning of the End" délivre un metal gothic qui n’a plus grand chose de violent : Crematory a trouvé son style. Il va d’ailleurs le perpétrer régulièrement sur ses futurs disques, dont le bon éponyme de 1996.
Sans jamais avoir sorti de disque culte, Crematory fait partie de ces groupes ayant osé mélanger des styles pas forcément compatibles à la base, cela méritait de leur accorder quelques pages à défaut de leur décerner la légion d’honneur…

THE 3RD AND THE MORTAL - Tears Laid in Earth (1994)

Formation aventureuse et inclassable par excellence, The 3rd And The Mortal n'a eu de cesse, depuis sa création en 1992 jusqu'à son split survenu en 2004, d'explorer moult territoires musicaux aux caractéristiques et publics d'ordinaire très éloignés, naviguant au gré des envies de son quatuor de têtes pensantes Finn-Olav Holthe / Trond Engum / Geir Nilsen / Rune Hoemsnes guidés par leur seule inspiration artistique sans se soucier outre mesure du qu'en-dira-t-on.
Difficile de se créer une fan-base solide dans ces conditions, le groupe de Trondheim n'étant l'apanage que d'une poignée d'initiés pour lesquels chaque album est objet de culte, qu'il s'agisse de doom atmosphérique, d'ambiant expérimental, d'electro ou de trip-hop.
Malgré cette relative confidentialité qui demeure très souvent le prix à payer lorsque l'on souhaite garder intact son indépendance artistique, The 3rd And The Mortal a joué, par son style développé jusqu'à "Tears Laid in Earth" (1994), un rôle majeur dans un genre qui va exploser une paire d'année plus tard : le metal gothique, bien que dans son cas, on ne puisse pas véritablement parler de metal goth, la définition et les contours du genre étant de toute manière encore flous en ces farouches temps d'exploration et de découverte.
Rattachés au mouvement initié par les pionniers Paradise Lost, Crematory et The Gathering qui ont démontré que l'intronisation de douceur et d'esthétisme, au travers d'orchestrations baroques ou de chant féminin éthéré (voire les deux), dans le metal extrême (en l'occurrence à dominante doom et/ou death), était possible, The 3rd And The Mortal marque en même temps son point de départ en terre norvégienne avec sa démo éponyme sortie en 1993. Une impulsion perpétuée par ses voisins de Funeral et Theater Of Tragedy, à l'origine d'une scène au profil très spécifique dont le label autrichien Napalm Records fera son fond de commerce fin 90' – début 2000.
Mais là où ses compatriotes jouent la partition de la Belle et la Bête, mêlant soprano et growl dans la veine de ce qu'a initié Paradise Lost sur son second album "Gothic" (1991), The 3rd And The Mortal y reste hermétique, se concentrant uniquement sur le chant féminin (comme le fera The Gathering à partir de "Mandylion" - 1995), initialement tenu par la soprano Kari Rueslåtten, tout en allant très loin dans l'usage d'éléments atmosphériques via de longues plages acoustiques rythmées par un jeu de percussions toms/cymbales tout en subtilité et ornées de légères nappes de synthés.
Et comment ne pas voir l'influence, évidente, criante, qu'ils ont pu avoir sur le début de carrière de Theatre Of Tragedy, au travers de morceaux tels que "Grevinnens Bønn" et "Ring of Fire" qui, avec leurs envolées lyriques, leurs riffs épais, distordus et leurs leads mélodiques déployés sur une rythmique au plomb, auraient très bien pu apparaître, aux growls près, sur le premier album éponyme du sextet de Stavanger.
Deux titres qui seront repris sur le premier EP "Sorrow" sorti chez Voices Of Wonder / Head Not Found en Septembre 1994, marquant un pas de plus en direction de l'expression atmosphérique, de par ses deux morceaux inédits : "Sorrow" uniquement basé sur un duo guitare acoustique / chant lyrique envoûtant et propice au recueillement, et "Silently I Surrender" y faisant la part belle au milieu de quelques reliquats de puissance électrique.
Une expression encore davantage développée sur le premier album "Tears Laid in Earth" sorti à peine un mois plus tard, qui dévoile en même temps la facette expérimentale du combo, sa propension à mélanger les styles.
Les morceaux de "doom atmosphérique à chanteuse" et leur combinaison âpreté/douceur sont toujours de la partie ("Trial of Past", "Salva Me", "In Mist Shrouded", ainsi que "Death Hymn" issu de la démo '93, ayant vu au passage sa fin réarrangée, d'une manière plus étrange et mystique, quasi-rituelle même), mais l'ensemble des compositions laisse beaucoup plus d'espace aux instants acoustiques ("Why So Lonely", "Autopoema") et ménage l'apparition d'éléments propres à la musique darkwave-néoclassique définie dans les années 80 par Dead Can Dance sur ses "Spleen and Ideal" et "Within the Realm of a Dying Sun" (l'intro "Vandring" et l'interlude "Lengsel" avec leur chant lyrique a cappella, "Shaman" dont les vocalises aux parfums orientaux rappellent immédiatement celles d'une certaine Lisa Gerrard), de même qu'un aspect contemplatif, réminiscence du minimalisme ambiant des travaux de Brian Eno période Evening Star / Discreet Music / Ambient ("Song").
Un panel artistique impressionnant, qui trouve son point d'orgue sur l'homérique "Oceana", une pièce de près de 20 minutes évoquant la force tranquille de l'océan, sa sérénité apparente parfois traversée de grondements de guitares déferlantes, son aura mystérieuse, fascinante mais aussi vaguement inquiétante, s'achevant sur un irrésistible chant des sirènes, clôturant de somptueuse manière ce "Tears Laid in Earth" d'exception. Un album à la dimension introspective, véritable invitation à un voyage au cœur des sphères sensorielles.
Peu de temps après la sortie de l'album, Kari Rueslåtten s'en ira vers d'autres cieux, pour aller épauler le sieur Fenriz de Darkthrone sur l'unique album de son projet folk/metal Storm ("Nordavind", 1995) avant d'entamer une carrière solo placée sous le signe du folk puis de l'electro expérimental soft, laissant la place à l'extravagante et fantasque Ann-Mari Edvardsen, artiste hors-norme capable d'évoluer dans bon nombre de registres, du soprano au contralto, du lyrisme à la pop, des cris aux murmures, sans oublier ses fameux et inimitables délires de cantatrice sous acides.
Exerçant également au poste de claviériste, elle propulsera l'élan expérimental et psychédélique du groupe, dont "Tears Laid in Earth" avait planté les premières graines, bourgeonnant sur l'EP "Nightswan" (1995) avant d'éclore sur le chef d'œuvre "Painting on Glass" (1996), s'éloignant du metal au profit de compositions toujours plus éthérées, où ambiances sombres et rêveuses, plus calmes ou plus tourmentées s'entrecroisent en une fresque aussi abstraite qu'énigmatique, recelant milles secrets se dévoilant au fur et à mesure d'écoutes passionnantes et passionnées.
"In This Room", le troisième album de la formation paru en 1997, adoptera une nouvelle direction musicale, mêlant une base post-rock/ambiant à des instants jazz, néoclassique, electro et industriels, que Ann-Mari Edvardsen va une nouvelle fois éclabousser de sa vista.
Quittant le groupe peu de temps après la sortie de "In This Room", elle ira exercer ses talents sur l'unique album de Tactile Gemma (l'éponyme de 2001, sorte de croisement improbable entre Portishead, Dead Can Dance et Björk) aux côtés de deux membres d'Atrox (qui en connaissent également un rayon question avant-gardisme) : sa sœurette Monika et Rune Sørgård, puis réapparaîtra subrepticement en tant que guest chez les blackeux d'Antestor (l'album "The Forsaken" en 2005).
De son côté, le groupe se ménage cinq longues années de pause, avant de revenir armé d'une nouvelle chanteuse, Kirsti Huke, et d'un nouvel album "Memoirs" (2002) plongeant allégrement dans la marmite du trip-hop avec une surprenante réussite, se posant en excellente alternative aux ténors du genre que sont Portishead et Massive Attack, à une époque où l'un est en hibernation (à un point où l'on croyait même qu'il était mort) et l'autre en proie à une période de trouble résultant de fortes tensions internes.
Aucune fausse note à déplorer dans la carrière de The 3rd And The Mortal, douze années passées au service de l'art musical, ponctuées par la publication de deux compilations à titre posthume par son label de toujours : Voices Of Wonder (Head Not Found ayant entretemps fermé boutique). L'une, "EP's and Rarities" (2004), regroupant les deux EP ainsi que les bonustracks apparaissant sur certaines éditions de leurs albums, l'autre, "Project Bluebook" (2005), présentant deux titres inédits dans la veine de "In This Room" accompagnés de divers morceaux live et improvisations.
Un groupe hors-normes et au caractère complexe, qui aura eu le talent et l'inspiration nécessaires pour systématiquement réussir dans tout ce qu'il a entrepris, et qui représente, dans notre sphère métallique, un des plus importants pionniers de la scène metal goth.
RIP

THE GATHERING - Mandylion (1995)

The Gathering, en tant que jeune groupe, propose début 90's, un death atmosphérique tirant fortement sur le doom avec grand renfort de claviers, et des vocaux féminins apparaissant sur une chanson du premier album : "Always ..." (1992). Celui-ci est novateur pour l'époque car le mélange clavier/death n'était pas très courant. Le reste du chant est résolument guttural, le groupe est influencé alors par Celtic Frost, c'est plus tard que l'on reconnaitra d'autres influences comme Pink Floyd, Dead Can Dance ou Radiohead.
Le second album "Almost a Dance" (1993) voit le groupe opter pour le chant clair avec un nouveau chanteur peu convaincant et une nouvelle chanteuse guère plus présente. Le style est doom atmo, ils font alors encore relativement partie de l'underground, plus pour longtemps car "Mandylion" (1995) va tout changer.
En effet, avec l'arrivé d'Anneke Van Giersbergen au chant (qu'elle occupe seule) ainsi qu'un sens de la composition amélioré, la musique gagne en douceur et l'impact des guitares n'en est que plus mortel dans ce contraste parfait entre les magnifiques mélodies vocales, les soli bien planants et cet héritage de leurs débuts death. Les claviers sont mieux employés et deviennent vite des passages importants du disque, l'habillant de mystères oniriques : une étape est franchie, la chrysalide est devenue un papillon majestueux.
"Nighttime Birds" (1997) débarque peu de temps après avec une orientation très proche de "Mandylion", mais on sent que les ambiances sont encore plus travaillées : toujours deux guitaristes, soli planants, claviers gothico-modernes et surtout la magnétisante voix d'Anneke. A noter une chanson qui lorgne legèrement sur la pop : "Third Chance".
1998 : Jelmer Wiersma, guitariste rythmique, quitte le groupe par lassitude et pour s'intéresser de plus près aux musiques électroniques. Dès lors, le son de The Gathering se fera moins massif, René Rutten se retrouvant seul à la guitare, néanmoins aidé par Anneke sur 2 titres de "How to Measure a Planet ?", l'album de la même année.
Ce cinquième opus s'étale sur 2 disques avec une bonne partie instrumentale et expérimentale ( le dernier titre fait environ 30 min ! ), il marque une coupure avec le metal des précédents de par son calme aérien : les atmosphères planantes sont remarquablement mises en valeurs, ce qui est l'atout majeur de ce double album.
Malgré la quasi-absence d'éléments metal, le public est toujours sous le charme de la superbe voix d'Anneke d'une part et des guitares trippantes de René Rutten d'autre part, le tout appuyé par les claviers de ce bricoleur de Frank Boeijen et un sens de la composition tutoyant la perfection. Un peu comme Dead Can Dance et d'autres groupes peu avares en expérimentations de toutes sortes, ils se mettent à intégrer du didgeridoo sur une chanson ainsi que du theremin (sorte d'engin sensible aux champs magnétiques produisant des sons stridents que l'on module en éloignant la main de "l'antenne"). Le pas est donc franchi vers davantage d'esthétisme dans leur musique, ils plaisent aux gothiques et je me demande si ce n'est pas grâce à cette douce mélancolie, parfois sombre, que l'on trouve à chaque morceau quand ce n'est pas une énergie primaire et contagieuse.
Vint ensuite l'album live "Superheat", tiré de la tournée consécutive à "How to Measure ...", qui est lui aussi un succès, démontrant toute leur maîtrise sur scène d'un rock atmo qu'ils savent encore metalliser selon les titres.
D'ailleurs, la sortie de "If Then Else" va encore nous le prouver : les grosses guitares sont revenues, mais sans pour autant être un retour aux sources, non, car il se dégage de celui-ci une couleur pop avec toujours ces pures parenthèses planantes et enchantées mais restant bien éloignées du doom atmo des débuts.
Nous sommes en 2002 et le groupe décide de monter son propre label : Psychonaut Records, l'EP "Black Light District" en est le baptême et démarre fort avec un titre éponyme de 16 minutes déclencheur d'émotions diverses et où l'impro semble être reine.
Quelques mois après, c'est à l'album "Souvenirs" que revient le rôle de nous émouvoir. La constitution du groupe est toujours la même depuis 1998 et pour ce 7ème long passage studio, ils font appel à des participations extérieures dont celle du chanteur d'Ulver : Trickster G. sur "A Life All Mine". "Souvenirs" renoue avec les ambiances de "How to Measure a Planet ?" avec toutefois plus d'énergie dans sa globalité, l'enchaînement "You Learn About It" et "Souvenirs" est un vrai régal où l'un est surtout beau à pleurer et l'autre possède une ligne de guitare défiant fantastiquement l'apesanteur !!!
Il est temps de sortir un second album Live et "Sleepy Buildings - A Semi Acoustic Evening" déboule en 2004. Comme son titre l'indique, c'est un live semi-acoustique qui voit le groupe modifier ses morceaux et s'en sortir brillamment, même si l'écoute peut parfois paraître longue, l'intérêt est aussi dans le choix des morceaux dont deux anciens titres issus des premiers albums jamais chantés par Anneke et un inédit : "Sleepy Buildings". Ce disque est le dernier enregistrement avec le bassiste originel Hugo Prinsen Geerlings qui tire donc sa révérence pour laisser sa place à une proche du groupe : Marjolein Kooijman qui pour moi n'atteindra jamais le charisme teinté de nonchalance de sieur Hugo "le shooté" comme je le surnomme avec humour.
Entre deux sorties DVD, le groupe s'attelle à son nouvel album "Home" qui va surprendre son monde de par son approche assez sombre. Oubliez la candeur, le débordement d'émotions fraîches, ici les sentiments sont contenus même si le premier morceau "Shortest Day" est accueillant vocalement. On y retrouve toujours ce contraste entre la voix légère et cette musique lourde et froide, cyclique, hypnotique. La chanson finale "Home" est un hommage poignant au père de Hans (batterie) et René Rutten (guitares), disparu tragiquement peu avant la sortie de l'album.
Et là … c'est le drame ... Anneke quitte le groupe et fonde son projet Agua De Annique avec son mari, les gars de The Gathering se mettent sereinement à rechercher un ou une chanteur/euse pour tomber finalement sur Silje Wergeland qui officiait auparavant dans Octavia Sperati.
Le prochain album est très attendu : que va donner la nouvelle voix ? Vont-ils encore expérimenter davantage ? Et bien, "The West Pole" ne nous déstabilise pas, compte tenu de la similarité de la voix de Silje avec celle d' Anneke et le propos toujours bien planant, reposant, on sent comme une accalmie dans leur musique mais c'est à mon avis pour mieux nous surprendre le prochain coup, hé hé !
Avec ses 20 ans de carrière, The Gathering peut se targuer d'avoir marqué, et même un peu plus, le metal dit gothique de son sceau indélébile. Bien sûr, tout n'est pas parfait dans leur discographie, mais ils ont la particularité de savoir nous faire planer en dehors des styles et des modes, gageons que l'avenir nous réservera encore quelques bons voyages en perspective.

FUNERAL - Tragedies (1995)

Lorsque l'on pense metal goth et plus précisément pionniers du genre, un groupe en particulier passe très souvent et injustement à la trappe : les norvégiens de Funeral.
Car avant de devenir la pointure du doom mélodique et lyrique que l'on connaît aujourd'hui au travers de ses deux derniers albums "From These Wounds" et "As the Light Does the Shadow" sublimés par la voix de baryton de Frode Forsmo, Funeral a été l'une des toutes premières formations à proposer une base doom/death rugueuse (empruntant en l'occurrence les sentiers du funeral) sur laquelle un growl caverneux répond à un doux chant féminin soprano avec sa démo "Beyond All Sunsets" sortie du côté de l'Østlandet norvégien en Septembre 1994, une poignée de mois après la démo éponyme de Theatre Of Tragedy sortie du côté du Vestlandet en Mai 1994, la paternité historique de cette association vocale en Norvège revenant donc à la formation de l'Ouest.
Concernant celle de l'Est, tout commence en 1991 lorsque le quatuor Einar Fredriksen (basse / growl), Christian Loos (guitare), Thomas Angell (guitare), Anders Eek (batterie / chant clair) formé à Drammen dans la banlieue d'Oslo, décide d'œuvrer aux côtés des finlandais de Thergothon et Skepticism dans un style funeral doom qui n'en est alors qu'à ses balbutiements. En sort la démo autoproduite "Tristesse" en 1993 rééditée l'année suivante chez Wild Rags Records (un label qui avait également réédité la première démo de Thergothon). Le growl de déterré, le tempo archi-lent aux coups de caisse claire s'égrenant au compte-gouttes, les guitares à la texture épaisses et aux riffs distordus sont autant d'éléments primitifs contrebalancés par la présence d'un chant clair tourmenté et d'arpèges acoustiques (assurés par un certain Steffen Lundemo en guest) cristallisant une ambiance pastorale apportant quelques gouttes d'apaisement dans un grand puits de souffrance, et les évènements futurs montreront que le désespoir n'est pas feint et que les musiciens ne trichent pas.
Après ce premier essai où l'adjonction d'éléments esthétiques est encore assez maladroite, Funeral engage une chanteuse à plein temps en la personne de Toril Snyen, apposant sur les compositions de la démo "Beyond All Sunsets" (1994) et du premier véritable album du groupe "Tragedies" (1995) son joli timbre soprano, associé à une section instrumentale conservant la tessiture extrême définie sur "Tristesse" tout en affinant son expression. Les arpèges cristallins sont plus nombreux, leurs interventions sont plus à propos, et la voix de la demoiselle apporte calme et sérénité dans un univers de riffs poisseux et de grondements lugubres … le calme et la sérénité de la Mort, celle qui est tant désirée après une vie de douleur, une vie de chagrin, une vie de tragédies. Une atmosphère funèbre qui trouve son point d'orgue sur "Moment in Black" clôturant l'album, lorsqu'apparaît une ligne de violon plaintive, achevant de nous enterrer six pieds sous terre.
Un album publié quasiment en même temps que le premier Theatre Of Tragedy (l'éponyme de 1995), mais qui n'en eut ni l'impact ni la reconnaissance, la musique de Funeral demeurant plus froide, moins accessible, d'autant qu'au point de vue logistique, Arctic Serenades n'est pas Massacre Records. Et là où l'un des groupes en question connaîtra le succès, l'autre connaîtra les galères.
Galères de chanteuses tout d'abord, le remplacement de Toril Snyen, ayant quitté le groupe juste après "Tragedies" (elle fera sa dernière apparition dans la sphère metal en guest sur le "Born of the Flickering" de Old Man's Child, et compose actuellement dans un registre jazz feutré), s'avère difficile. Sarah Eick ne fera qu'un passage éphémère, à l'occasion de la démo "To Mourn Is a Virtue" (1997), avant d'être à son tour remplacée par Hanne Hukkelberg, transfuge des défunts Unspoken Names, pour la démo "The Passion Play" (1999).
Ces deux démos marquent une nette évolution stylistique, délaissant le funeral pour proposer un doom bien plus mélodique, laissant toute la latitude possible au chant féminin qui se répond désormais à lui-même, le growl ayant été mis de côté.
Malgré le caractère plus abordable de sa musique, l'envoi de promos de donne rien et le groupe, quelque peu démotivé, entame une période de stand-by, au cours de laquelle l'un des membres fondateurs, le guitariste Thomas Angell, quitte le groupe pour être remplacé par Idar Burheim (alias Archaon dans 1349) … Jusqu'à l'an 2002 où, débauché par l'écurie Nocturnal Music, Funeral revient avec ce qui n'est que son deuxième album en 11 années d'existence : "In Fields of Pestilent Grief", composé à moitié de morceaux issus de la démo '99. L'album sonne comme un The 3rd And The Mortal première époque dans une veine plus foncièrement metal, et Hanne Hukkelberg y impressionne par sa voix puissante et lyrique.
La persévérance a fini par payer, l'album de la rédemption est né, la lumière est enfin entrevue au bout du tunnel, croit-on … Mais c'est compter sans les caprices d'un destin qui va continuer à pourrir la vie dans la formation norvégienne. Einar Fredriksen, l'un des membres fondateurs, se suicide en Janvier 2003, tandis que deux nouveaux changements de line-up seront effectués : Hanne Hukkelberg est remplacée par Frode Forsmo, marquant ainsi l'abandon du chant féminin au profit d'un chant masculin évoluant cependant toujours dans un registre clair, et Idar "Archaon" Burheim par le guitariste/claviériste Kjetil Ottersen, propriétaire du studio Vektor Facilities, qui va prendre les rennes du groupe, occupant le rôle de parolier, de compositeur principal, de producteur et d'illustrateur.
Sous son impulsion, "From These Wounds" est rapidement enregistré (courant 2004) mais aura toutes les peines du monde à être publié. Ce n'est qu'en Décembre 2006 qu'il voit enfin le jour suite à la signature chez Tabu Records, et montre Funeral sous jour musicalement plus orchestral et plus dramatique … mais pas pour autant débarrassé de la poisse qui lui colle à la peau.
En effet, cet album sort dans un contexte douloureux, le guitariste Christian Loos ayant été retrouvé mort à son domicile deux mois auparavant. Suicide, une nouvelle fois…
Un nouveau drame et le line-up se désagrège, Kjetil Ottersen quittant le navire par la même occasion. Pourtant, malgré son rôle d'homme à tout faire sur "From These Wounds", le groupe va une nouvelle fois parvenir à se relever grâce à son increvable batteur Anders Eek, seul rescapé de la formation originelle, seul survivant du massacre, recrutant ses deux compères de Fallen (son side-project de funeral doom), les guitaristes Erlend Nybø et Mats Lerberg, pour un "As the Light Does the Shadow" de toute beauté, dans la continuité de "From These Wounds", mais où les orchestrations aux synthés ont été mises au placard au profit de véritables instruments à cordes (violon, violoncelle) et à vent (flute traversière, hautbois) pour un résultat plus organique et surtout plus émouvant.
Un énième nouveau départ pour Funeral, mais qui sait si le funeste destin ne va pas frapper une nouvelle fois à sa porte, de sa sinistre main osseuse…
Une formation maudite, sur laquelle la mort et les galères semblent devoir planer à jamais, dont le rôle dans la grande scène du metal gothique est très souvent oublié, car éclipsé par sa déveine et par l'éclat de ses compatriotes de Theatre Of Tragedy. Pourtant, même s'il est passé quasiment inaperçu, Funeral a été présent aux premières heures, en témoigne l'album "Tragedies", réédité en 2006 par Firebox en compagnie de la démo "Tristesse".
Que justice lui soit rendue !

THEATRE OF TRAGEDY - Theatre of Tragedy (1995)

En abordant le cas de la formation norvégienne Theatre Of Tragedy, d'aucun se serait attendu ou aurait même certainement préféré voir mis en vedette le mythique "Velvet Darkness They Fear" (1996) qui donna ses lettres de noblesse au style metal gothique à chanteuse. Un genre qui fera de nombreux émules, tout particulièrement en Norvège.
Seulement, tout ou presque avait déjà été dit sur le premier album éponyme sorti en Juillet 1995, dans lequel le sextet de Stavanger reprend l'héritage musical du The 3rd And The Mortal des débuts (époque "Sorrow" et "Tears Laid in Earth") par ses riffs et low/mid-tempi doom associés à d'élégantes envolées lyriques, ainsi que, curieux petit détail, une partie de l'héritage ornemental (voir la back cover étrangement ressemblante à celle de "Tears Laid in Earth").
La musique de Theatre Of Tragedy revêt cependant une forme moins froide et contemplative que celle de son lointain voisin du "presque-Nordland". Une musique au caractère plus chaud et vivant, typique du climat plus clément et accueillant du Sørland en somme, accompagnée par la dualité vocale growl masculin / chant féminin (dans la lignée du second Paradise Lost) historiquement importée en terre nordique par leur démo '94 (une poignée de mois avant la démo "Beyond All Sunsets" de ses compatriotes de Funeral qui ne connaîtront pas la même réussite), ouvrant au groupe les portes de Massacre Records, label qui s'était déjà distingué par la sortie des trois premières œuvres des teutons de Crematory, un des pionniers ayant œuvré en faveur de l'incursion d'éléments esthétiques et autres orchestrations baroques dans le metal extrême.
Tout autant d'influences qui ont nourri le premier album de Theatre Of Tragedy, que l'on peut voir comme un choix minutieux de divers ingrédients disponibles à l'étalage de ses jeunes parents pour concocter un irrésistible mets, auquel les norvégiens vont apporter tout leur savoir-faire en termes de saveur poétique, romantique et théâtrale, sous la houlette du chef Dan Swanö.
Que ce soit les textes écrits en anglais de la Renaissance, le piano accompagnant l'ensemble des morceaux (et mis à l'honneur sur le néoclassique "… A Distance There Is…"), les subtiles harmonies de violoncelle ("Hollow-Hearted, Heart-Departed", "… A Distance There Is…"), les grondements âpres de Raymond Rohonyi répondant à la grâce et la candeur des envolées lyriques de Liv Kristine Espenæs, agencées à la manière d'une pièce de théâtre, dialoguant, agissant de concert ou entamant chacun sa tirade (toute la panoplie étant déployée sur des morceaux comme "A Hamlet for a Slothful Vassal" et "Sweet Art Thou"), tout dans cet album contribue à lui donner un séduisant charme vétuste, sans pour autant qu'il ne tombe dans le kitsch. Triste sans être larmoyant, délicat sans tomber dans la mièvrerie, Theatre Of Tragedy trouve le bon équilibre à tous les niveaux, tandis que des passages plus enlevés (tel que la seconde partie de "Dying – I Only Feel Apathy") apportent un supplément de relief à ce bien beau premier essai agrémenté d'arpèges de guitare claire distillant une atmosphère rêveuse ("To These Words I Beheld No Tongue", "Mïre").
Niveau bémols, on notera tout de même des morceaux un peu simplistes et une Liv Kristine qui n'est pas encore totalement sûre d'elle. Des maladresses propres à un premier album et qui seront gommés sur un "Velvet Darkness They Fear" plus abouti, qui marque l'arrivée d'un nouveau guitariste (Geir Flikkeid à la place de Pål Bjåstad) sans révolution stylistique majeure, simplement une évolution vers une expression moins main de fer et davantage gant de velours.
Un album-référence dans le monde du metal goth qui voit les compositions du Théâtre se complexifier, son style s'affiner avec l'intronisation d'un quintette à cordes, Liv Kristine gagner en assurance et ses "dialogues" avec son pendant masculin devenir plus dynamiques que jamais, se retrouvant d'ailleurs en position prédominante par rapport à la section instrumentale.
L'album de la maturité, une réussite artistique mais aussi commerciale, en partie grâce à la diffusion du single "Der Tanz der Schatten" dont R. Rohonyi prétend avoir écrit les paroles en allemand pour changer de son habituel anglais moderne naissant … Ne serait-ce pas plutôt pour cartonner sur le marché allemand ? … Réelle volonté artistique ou velléité mercantile ? … Quoi qu'il en soit, Massacre Records a profité de l'aubaine pour lancer ce single agrémenté d'une version "club mix" du morceau en question, dopé aux beats technoïdes dont nos voisins teutons sont très friands. "Velvet Darkness They Fear" ou comment un sommet artistique peut aussi préfigurer un virage commercial.
"Aegis" sort deux ans plus tard, conservant le côté gothique du Théâtre, musicalement et visuellement, mais devient beaucoup plus abordable, marquant la mise en sourdine des éléments metal et la disparition des growls, R. Rohonyi chantant exclusivement en clair. Signalons également l'abandon de l'aspect "dialogue" de la dualité vocale, qui se systématise dès lors avec l'alternance couplet/refrain.
Une production plus épurée, plus allégée pour un album sentant bon le rock/coldwave fin 70'-début 80' dont les deux nouveaux guitaristes Frank Claussen et Tommy Olsson (remplaçant Geir Flikkeid et Tommy Lindal) sont des fans invétérés.
Un "Aegis" plaisant et relaxant, idéal en musique de fond pour un langoureux petit câlin.
Jusque là, tout va bien, mais les affaires ne vont pas tarder à se gâter, artistiquement parlant. Car l'après-Aegis, c'est exit le charme vétuste et place au modernisme clinquant, dans la musique (au placard les orchestrations à cordes, bienvenue aux samples electro de discothèque) et bien sûr dans l'imagerie qui va avec, les musiciens troquant leurs amples chemises à jabot désormais "out" pour des t-shirts moulants plus "in".
En sortent "Musique" (2000) et "Assembly" (2002), deux albums orientés electro/metal/pop et clairement conçus pour cartonner sur le marché allemand particulièrement aficionado de tout ce qui peut sonner ou apparaître moderne, fashion et dansant. Sans compter les innombrables singles débordant de remixes purement techno/dance. Bonjour les pépettes …
Autant The 3rd And The Mortal ont su négocier son virage électronique avec maestria, gardant intact son caractère atmosphérique et envoûtant, autant celui de Theatre Of Tragedy a été loupé et s'est même terminé en tonneau, Liv Kristine se retrouvant éjectée de manière honteuse, apprenant son licenciement via un communiqué diffusé par le reste du groupe sur le net, sans avoir directement averti l'intéressée au préalable. Jolie manœuvre …
Fort heureusement, la dame s'en remettra vite et va en profiter pour reprendre sa carrière solo (officiant dans un registre plus pop) et fonder Leaves' Eyes avec son époux Alexander Krull (Atrocity), dans une veine metal goth assez proche des racines de son groupe originel, mais en plus symphonique.
Chez le Théâtre, la brune Nell Sigland va succéder à l'emblématique blonde pour un nouvel album "Storm" (2006) annoncé comme un retour aux sources… Balivernes car il s'agit en fait d'un disque gorgé de compositions s'inscrivant dans la mouvance "metal goth FM" moderne, à l'efficacité immédiate et aux harmonies faciles, dans la lignée d'un Lacuna Coil ou d'un Evanescence (des références qui reviennent souvent à l'écoute de The Crest, le groupe dont la miss Sigland est issue), laissant surnager quelques influences electro, résidus de leurs deux précédents essais.
Mais la plus grande déception vient de la prestation de ladite chanteuse avec son timbre passe-partout très staracadémisé, sans grand relief et sans plus de charisme que celui d'une huître.
C'est clair, c'est net, Theatre Of Tragedy a depuis longtemps perdu son âme, le vieux Théâtre, autrefois si séduisant de par sa sobre élégance, s'est aujourd'hui transformé en boîte de nuit branchée et flashy.
Un Théâtre dont on se repasse les vieilles représentations avec beaucoup de plaisir, mais surtout une profonde nostalgie, celle d'une époque à jamais révolue …

Article réalisé par BeerGrinder, Dark Omens, Steelhardos et Vinterdrøm (initialement publié le 5 Septembre)

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