LES RACINES DU BLACK METAL

Autant l’histoire de la naissance du thrash et du death metal, au moins en grandes lignes, est commune et connue du peuple metalleux, autant la naissance du black fait peu l’unanimité.
A l’instar des légendes et autres idées reçues qui sont intrinsèques à la nature même du black, ses origines sont largement débattues et ouvertes à des approximations grossières. On passera ainsi sous silence la tendance encore trop répandue à prétendre que le black est né en Norvège au début des années 90, ou bien qu’il fût le fruit de la géniale création de Venom du jour où il eût l’inspiration d’appeler son second album par ce doux nom.
Au-delà de ces clichés, il faut évidemment tuer une fois pour toute la théorie wikipédiesque, certes un poil plus élaborée, qui définit brutalement le black première vague par un regroupement de quatre noms : Venom, Celtic Frost, Mercyful Fate et Bathory, pour gentiment attendre la seconde vague norvégienne. Tout n’est pas si simple.
Aborder en premier lieu les anglais de Venom reste malgré tout nécessaire, car c’est quand même à Newcastle qu’un premier foyer, fondamental mais pas unique, s’enflamme au tout début des années 80…

Groupe détesté autant qu’adulé, constitué de musiciens autant considérés comme des bouffons que comme des visionnaires, Venom a toujours suscité (et suscite toujours) des réactions vives et tranchées, sans véritable demi-mesure. Reconnaissons que le niveau technique des musiciens durant les premières années d’existence du groupe et les qualités d’interprétation qu’ils démontrent sur leurs premiers enregistrements, tous catastrophiques de ce point de vue, ne plaident pas en leur faveur. Et pourtant… Cette formation britannique, fondée en 1979 à Newcastle et officiant originellement sous la forme d’un quintet (Clive Archer au chant, Jeffrey Dunn et Dave Rutherford aux guitares, Dean Hewitt à la basse et Anthony Bray à la batterie), occupe une place capitale dans la généalogie du metal, car il s’agit ni plus ni moins que du chaînon faisant le lien entre le heavy (style dont il est initialement issu) et le metal extrême.
Dès sa démo 3 titres "Demon", enregistrée en 1980 et auto-produite, alors que le groupe agissait sous la forme d’un quatuor (marquant par la même occasion l’apparition des noms de scène : Clive "Jesus Christ" Archer, Jeffrey "Mantas" Dunn, Anthony "Abaddon" Bray et le nouveau venu Conrad "Cronos" Lant à la basse), le ton est donné. Venom cherche à se démarquer des standard heavy metal de son époque en proposant une musique plus rapide et surtout beaucoup plus rêche : guitares à la texture granuleuse, production sale, chant altéré, … Venom jette les bases du metal extrême et sert de modèle à pléthore de groupes s’engouffrant dans la brèche dès lors ouverte vers une plus grande violence musicale, à commencer par les suisses de Hellhammer (qui prendront par la suite le nom de Celtic Frost) qui enregistrent en 1983 une série de démos très inspirées par le "son Venom".
Cette démo n’eut cependant qu’une répercussion limitée du fait de sa diffusion confidentielle, le véritable choc survenant avec la signature chez le label Neat et la sortie de leur premier album "Welcome to Hell" en 1981, enregistré avec le trio "classique" Cronos (qui occupe désormais le poste de bassiste / chanteur) - Mantas - Abaddon.
L’impact de Venom sur la scène metal ne s’est pas limité au plan strictement musical, loin s’en faut, car l’aspect conceptuel et visuel développé par le groupe eut au moins une toute aussi grande importance. Bien qu’un certain nombre de groupes avant lui aient employé des thèmes occultes au niveau de leurs paroles (tel qu’a pu le faire Black Sabbath dès le début des années 70), Venom fut le premier à utiliser de manière prédominante le thème du satanisme, tant au niveau des textes (des titres comme "Sons of Satan" ou "In League with Satan" sont plus qu’explicites) qu’au niveau de l’imagerie (la pochette de "Welcome to Hell" flanquée d’une représentation du Malin au travers de la face d’un bouc incrustée dans un pentagramme inversé).
Bien que leur démarche soit avant tout empreinte de second degré (comme ils le reconnaîtront quelques années plus tard), la machine est lancée et le thème du satanisme deviendra très vite le cheval de bataille d’une grande majorité des formations de la sphère black metal et le restera, ad vitam aeternam.

Le style vestimentaire des musiciens, avec en particulier le port d’accessoires à clous, et l’adoption de pseudonymes en lieu et place de leurs noms et prénoms usuels sont autant d’éléments que l’on retrouvera également de manière récurrente dans le genre black. La sortie de leur second album "Black Metal" à peine une année plus tard (en 1982 donc) enfonce le clou et constitue un évènement de taille, car son titre sera désormais utilisé pour qualifier un style musical à part entière.
La suite directe de la carrière de Venom s’inscrit davantage dans l’optique de son évolution personnelle : le style black metal, dont le groupe a contribué à établir les fondements, – et c’est tout le paradoxe –, sans jamais en avoir fait partie du propre aveu des musiciens, poursuivra seul son petit bonhomme de chemin. L’ère post-"Black Metal" verra le groupe améliorer sa maîtrise instrumentale, inclure des influences progressives dans sa musique (le morceau-titre de l’album "At War with Satan" constituant une longue pièce épique de 20 minutes) et diversifier son propos (les textes de "Calm Before the Storm" s’éloignant du thème satanique pour se rapprocher de l’heroïc-fantasy) … dans une réelle volonté d’évolution et de progression, ou en réponse aux nombreuses critiques qu’ils ont essuyées au début de leur carrière ? … Un peu des deux, certainement… Quoi qu’il en soit, le Mal était fait et Venom y a apposé son empreinte indélébile… à jamais…

On l’a vu, Venom marque un tournant symbolique dans l’histoire du metal, et sa force d’influence va impacter considérablement l’undergound. La force de son imagerie n’est pas la moindre des sources d’inspirations, et même des groupes de heavy metal poussent le concept satanique plus loin, comme les danois de Mercyful Fate par exemple…

Qui pourrait s’imaginer qu’un groupe de heavy puisse trouver sa place parmi les fidèles représentants de la première vague du black metal ? D’autant plus si celui-ci n’est pas une figure inconnue. Mercyful Fate, et en particulier son leader King Diamond, ont inspiré une bonne partie du folklore typique du BM. Fondé en 1980, ce groupe danois nourrit dès le début un fort penchant pour les thèmes occultes et n’hésita pas à en faire l’objet même de sa musique dès son premier EP. Et si le cinéma auditif même du groupe ne se rapproche que trop peu des premiers Hellhammer, l’imagerie même laisse à penser à une bouillie similaire en plus extrême.

L’utilisation du corpsepaint par exemple, ce maquillage symbolique du défi à la mort, est aujourd’hui une marque de fabrique pour la plupart des groupes de black metal et King Diamond n’a pas hésité à s’en servir. Un point important est aussi ce visuel blasphématoire que le groupe exhibe à volonté qui aura inspiré un grand nombre d’aventureux de la deuxième vague du mouvement dont il s’apprêtait à poser la pierre.
Musicalement, rien ne semble les rapprocher d’une quelconque forme de l’art noir, Mercyful Fate pratique depuis sa création un heavy metal dont on retiendra surtout les performances vocales du King Diamond. Cet état de fait n’a pas empêché un petit groupe de pratiquants du black metal de leur dédier un tribute en 1997 accompagné d’autres divers protagonistes. On y retiendra le célèbre "Gypsy" tiré de leur chef d’œuvre "Don’t Break the Oath" repris par Emperor en cette occasion, ainsi que "Black Masses" repris par Sacramentum.

Pour autant, la naissance musicale du black metal n’est pas le fait de Venom. Celle-ci s’inscrit en fait dans la même logique et la même mécanique que l’invention du thrash metal. Le phénomène est mondial, quasi simultané, et les différents foyers n’interfèrent que peu les uns les autres. Que ce soit la scène thrash californienne ou new-yorkaise, le suédois Quorthon (Bathory), les suisses de Hellhammer, la scène thrash/black allemande (Destruction, Sodom) ou même le foyer sud-américain (Vulcano puis plus tard Sarcofago), des jeunes metalheads abreuvés de Motörhead, et de punk / hardcore à la Discharge, tous attirés par la vitesse et la brutalité conjointe de ces styles fleurissant à la fin des années 70, se mettent tous à créer en parallèle une approche qui révèle un tronc commun musical, que l’on nomme alors speed metal, regroupant tout ce mouvement extrême des années 83-85, sans distinction particulière…

Parmi la pépinière de groupes émergents, une frange plus radicale va associer les thèmes sataniques et occultes avec l’intransigeance musicale du speed metal. Si l’icône de ce mélange aux USA est un temps Slayer pour son "Show No Mercy", une poignée de combos va beaucoup plus loin, allant notamment jusqu’à rompre avec le chant traditionnel pour des vocaux plus éraillés qui se font fort d’ajouter un peu plus d’ambiance maléfique à leur musique, qui semble cette fois sortir droit de l’Enfer. Ces groupes ont pour nom Bathory, Hellhammer, Sodom ou Vulcano. La première vague du black metal est ici.

Les débuts enflammés

Tomas Forsberg n’est encore qu’un grand gamin suédois quand il décide de fonder son groupe de metal. Début 1983, il dépose des annonces à droite à gauche dans Stockholm, afin de recruter un bassiste et un batteur. Sur l’annonce, il précise que son groupe jouera une musique "du genre de The Exploited, de GBH, de Motörhead et de Black Sabbath…". Quorthon, tel qu’il se baptisera quelques mois plus tard, intègre ainsi deux compères plus âgés que lui, qui ont déjà quelques expériences à leur actif.
Pourtant, lorsque le groupe répète pour la première fois un jour de mars 1983, Bathory est né, et Quorthon en est SON géniteur. Influencé en premier lieu par le heavy sombre du grand Black Sabbath, et par l’incroyable Motörhead qui révolutionne le genre avec les furieux "Overkill" ou "Ace of Spades", Quorthon finit par être impressionné par le punk hardcore virulent de GBH. La synthèse de tout cela, voilà l’idée motrice de Bathory : la noirceur et le goût pour l’occulte de Black Sab’, la puissance rugueuse de Motörhead, et la vitesse du punk hardcore. Quorthon s’est d’ailleurs toujours défendu d’avoir subi l’influence d’un Venom, ce qui confirmerait la thèse que la genèse de Bathory, à l’instar d’un Hellhammer, soit d’abord fondée sur la fusion de ces différents courants. Si j’insiste sur ces points, c’est qu’ils résument de manière parlante comment est né le black metal, fruit d’un melting-pot d’influences cohérent, et non pas sur le seul coup de génie des anglais de Venom pour avoir baptisé un de leurs albums de la sorte…

Après quelques mois de labeur, et profitant de l’émergence simultanée de plusieurs groupes locaux, Bathory parvient à faire intégrer à la compilation Scandinavian Metal Attack deux morceaux, enregistrés en Janvier 1984. "Sacrifice" et "The Return of the Darkness And Evil" ne manquent d’impressionner un auditoire pas uniquement local, sans nul doute ébahi par un tel déchaînement de violence. Le jusqu’au-boutisme musical souhaité par Quorthon, ainsi que son attirance marquée pour l’occulte qui transparaît à travers les titres et les textes font leur effet. Bathory apparaît comme la principale attraction de cette compilation qui devient la meilleure vente du modeste label suédois Tyfon, qui s’essayait pour la première fois à produire un disque de heavy metal. La légende n’est pas loin de se mettre en marche.
Devant le succès de la compilation, le label de Bathory propose directement à Quorthon l’enregistrement d’un album. Malgré d’évidentes difficultés logistiques (ses deux compères initiaux ayant jeté l’éponge, Quorthon doit recruter deux anciennes connaissances pour tenir le rôle de musiciens de session, le studio d’enregistrement s’avérant être un ancien garage au matériel rudimentaire), il compose quelques morceaux complémentaires qui viennent s’ajouter au matériel déjà disponible et, en moins d’une semaine de Juin 1984, l’enregistrement est bouclé. Sur initiative de Quorthon, Tyfon Records accepte de créer un label uniquement pour le groupe, tant sa musique est atypique. Le disque sort donc sous l’étiquette Black Mark Records.

C’est le raz-de-marée. Bathory devient immédiatement un phénomène en Scandinavie, puis reconnu en Europe et bientôt au-delà. Musicalement, si sur certains morceaux les fortes sources d’inspiration sont encore très palpables (Motörhead en tête), les titres les plus récents comme le fameux morceau d’ouverture "Hades", composé dans l’urgence et très direct, sont vraiment dans la veine du thrash metal tout juste naissant, rappelant par certains aspects "Show No Mercy" de Slayer. Non seulement l’atmosphère est très sulfureuse, mais le chant de Quorthon, au guttural prononcé, avec ses effets d’écho, est proprement révolutionnaire. Ce n’est ni plus ni moins que le chant black metal qui est inventé ici. Sur un morceau comme "Reaper", le chant prend des tournures démoniaques à faire frémir, et on se dit qu’Abbath, le chanteur d’Immortal, a décidément trouvé là son mentor et sa source d’inspiration.
La thématique satanique est plus présente que chez Venom ou Slayer et, outre les textes et l’imagerie utilisée, c’est l’atmosphère obtenue qui glace véritablement le sang. Guère étonnant donc qu’à l’époque, le disque ait tant frappé les esprits.
Sur la lancée de la sortie du disque, les trois compères retournent dans leur antre du Heavenshore (le fameux garage-studio) pour mettre en boîte quatre nouveaux morceaux destinés à un EP baptisé "Necromicon / Maleficarum". La sortie est toutefois annulée pour des problèmes de timing, et finalement ne sera pas utilisée par la suite car jugée trop proche musicalement de l’album éponyme. C’est que Quorthon est productif et s’oriente déjà vers un second album plus mature.

Et le black metal fut…

C’est d’ailleurs à cette époque que Quorthon, désormais sollicité par la planète metal et par tous les fanzines underground, prend conscience qu’ailleurs sur la planète, plusieurs bands jouent une musique proche de la sienne. Il avouera plus tard que c’est à ce moment qu’il écoutera pour la première fois les Venom, Hellhammer, Sodom, Destruction ou Slayer. Cela tend d’ailleurs à confirmer que l’émergence de ce heavy-thrash sombre, direct et cru, le proto-black metal, est un phénomène quasiment spontané qui se révèle en différents points de la planète, et non pas issu d’une source unique. La manière dont Bathory a constitué LA source de création scandinave du black metal est à ce niveau éloquente. Néanmoins, la fin de son parcours autarcique et coupé du monde lui permet d’accélérer sa maturation technique et musicale, tout en affirmant sa volonté de conserver une personnalité marquée. Ne souhaitant pas s’aligner dans la course à la vitesse et à la violence qui marque un tournant chez les plus virulents groupes de thrash metal, en cette année 1985, Bathory veut avant tout être le plus sombre.
Enregistré en février 1985, "The Return of the Darkness and Evil" affiche une évolution notoire par rapport à son prédécesseur. Profitant d’un son plus fourni et plus épais, l’atmosphère est suffocante, et le rendu proprement effrayant. Musicalement, Bathory se démarque ainsi déjà plus nettement des influences early-thrash metal pour s’orienter vers un véritable black / dark très lourdement chargé d’une aura démoniaque. Un morceau comme "Possessed" présente ainsi toutes les caractéristiques "modernes" du black metal : un riff basique très cru et bestial, un son étouffant, un rythme soutenu, et des vocaux tout droit sortis de l’Enfer.
D’ailleurs, Quorthon vit sa musique comme si elle était sortie de l’Enfer, et les textes et symboles sataniques ne sont plus que la face visible de l’iceberg… l’occultisme n’est pas seulement de façade. Sorti au mois de mai, "The Return…" fait l’effet d’une bombe, enthousiasmant les critiques et créant cette fois-ci un véritable phénomène chez le public metalleux. Bathory tient là son statut de culte, en s’affirmant comme un phénomène à part. En marquant ses distances avec l’évolution massive du metal extrême vers les sphères thrash et death metal, les suédois incarnent désormais nettement un autre mouvement, le black metal. "The Return…" peut à ce titre être considéré comme le premier disque de pur black metal.

Under the Sign… l’accomplissement

Suscitant une attente toujours plus importante de sa cohorte de fans, Bathory doit cependant attendre plus d’un an et demi avant de sortir son troisième album. Non pas que l’insatiable Quorthon soit en panne d’inspiration ou qu’il passe sa vie dans de longues tournées (le groupe ne donne pas de concerts), mais son problème récurrent de line-up ne s’atténue pas. Il doit d’abord retrouver un nouveau batteur, qui s’avère être finalement un jeune homme de 18 ans, Palle Lundberg, pas spécialement attiré par le metal extrême, mais qui transmettra son goût pour la musique classique et les orchestrations, ce qui aura un impact non négligeable sur la suite de la discographie de Bathory. Reste ensuite à trouver un bassiste, rôle qui, lors des deux enregistrements précédents, a dû être joué par défaut par Quorthon lui-même.
Lorsqu’enfin le groupe est au complet, Bathory retourne enregistrer "Under the Sign of the Black Mark" dans son studio fétiche. Le groupe a encore mûri et, sûr de son orientation musicale, parvient désormais à afficher une plus grande variété de tempo, enrichissant ses compositions de multiples arrangements qui rehaussent encore la richesse de l’atmosphère. Le son des guitares étant plus froid et incisif, l’ambiance globale de UTSOTBM est définitivement glaciale.
D’une profondeur surclassant ses prédécesseurs, l’album, sorti début 1987, incarne en quelque sorte l’aboutissement black metal de Bathory (voir la chronique de Eulmatt pour davantage de détails). Il s’agit du véritable trait d’union entre le black première période et ses successeurs scandinaves du début des années 90, et l’accueil enflammé de ses fidèles adorateurs est sans doute le signe le plus fort de la puissance profonde et irrémédiable de ce mouvement, qui va exploser en Scandinavie quatre ans plus tard.
Pour Bathory, le zénith n’est pas encore atteint, mais ici s’achève sa période black metal pure. La suite de l’histoire de Bathory sera publiée à une autre occasion. À suivre…

Avant toute chose, je vous propose un petit voyage à bord de la célèbre machine à remonter le temps. Nous, qui sommes aujourd’hui au 21ème siècle, des années après l’émergence du black metal, nous allons dès maintenant replonger une bonne fois au sein de la première vague du genre et en explorer l’une des toutes premières charpentes, celle qui, au fil du temps, dressera le monument de l’art noir, mais aussi celle du metal extrême au sens large.
Celle qui nous intéresse fut érigée en Suisse dès 1982 par un jeune metalhead dont l’ambition fut telle qu’elle inspirera plus tard parmi les formations les plus réputées des années 80 et 90. Ce jeune homme porte le nom respectif de Thomas Gabriel Fischer (nom qu’il changera en Tom Warrior en tant que leader de son groupe), j’ai nommé Hellhammer. Positionné au poste de chanteur/guitariste, accompagné de Martin Eric Aim à la basse et Bruce Day aux fûts, Hellhammer, après avoir pondu deux démos, "Death Fiend" et "Triumph of Death", sort son premier aboutissement en décembre 1983, intitulé "Satanic Rites", bien qu’encore officiellement considéré comme une démo.

À son écoute, on a tout d’abord affaire à un thrash simpliste et très crasseux. Mais si la forme de cette première approche paraît dénuée d’intérêt, le fond, quant à lui, définit à lui seul toute la future scène qu’il engendrera : une expression musicale dépourvue d’humanité et de pouvoir de séduction, une approche sulfureuse et bestiale concentrée en ce rendu homogène, semblant traduire une haine inexorable jouant bien plus sur la sincérité la plus brute qui soit que sur un folklore déjà bien exploité par pas mal de protagonistes du thrash de l’époque.
Cela dit, ce côté très direct et rentre-dedans n’en est pas pour autant dépourvu de recherche. En effet, l’art du riff efficace de la NWOBHM y est malicieusement exercé, conciliant l’énergie à headbang au frisson de jouissance, un savoir-faire classique mais qui fait mouche.

Peu après, le premier EP signé chez Noise Record, "Apocalyptic Raids", sort en 1984 et s’avère être poussé davantage dans son hermétisme obscur. C’est cette même année que la métamorphose du groupe s’opère en douceur et que Celtic Frost, second projet de Warrior et Aim, voit le jour.
"Morbid Tales" sort la même année sur le même label que "Apocalyptic Raids". C’est sur ce début que Bruce Day lève les voiles et se voit remplacé par Stephen Priestly. Celtic Frost est né et, si sa première œuvre ne diverge encore que fort peu de Hellhammer, si ce n’est son ton légèrement adouci, élaborant plus une teinte grisâtre qu’un rendu très caverneux, la suite du groupe sera parsemée de produits insolites plus alambiqués.
Aussi, après avoir sorti un split-LP en double volume du nom de "Death Metal" (split qui réunissait Running Wild, Dark Avenger et Helloween à Hellhammer), Tom Warrior met un terme à son premier groupe fin 1984, pour se concentrer à temps plein sur Celtic Frost, ayant probablement l’âge et la maturité associés à la tâche ardue de gérer plusieurs projets.

Aussitôt, Celtic Frost se montre très ponctuel. Peu après la sortie de l’EP "Emperor’s Return" en 1985, qui marqua également un nouveau changement de cogneur par l’arrivée de Reed St Mark, le groupe sort "To Mega Therion", un monument qui prouve encore aujourd’hui la volonté d’innovation du grand Warrior. Ce chef-d’œuvre, bourré de morceaux plus cultes les uns que les autres (tels son intro glauquissime, ou le légendaire “Circle of the Tyrants“…) est un assemblage de progressions étranges, de structures pachydermiques, d’un abécédaire du metal parfaitement homogène lui conférant un uniforme particulier dont beaucoup de groupe reprendront la couture à leurs sauces dans l’avenir.
C’est en 1987 que "Into the Pandemonium" voit le jour, une œuvre qui suscita pas mal de critiques en conséquence de son melting-pot expérimental totalement hybride et hors du monde. Entre une reprise punkisante de "Wall of Voodoo", morceau atmosphérique et lyrique, un égarement quasi funk, de l’avant-gardisme, de l’opérette. Si la cohérence ne fut pas de mise, il reste un fameux trésor d’imagination et de créativité.

Si Celtic Frost jouissait non seulement d’un statut déjà culte mais d’une qualité incontestable, l’apparition de "Cold Lake" en 1988 a dû en faire pleurer plus d’un. Si le retour de Priestly, la venue de Oliver Amberg de Coroner et de Curt Bryant aux guitares présageaient un pavé dans la marre, "Cold Lake" est un album de hard glam dont la patte frostienne semble avoir presque entièrement disparue. Cette erreur poussa même Tom Warrior à en stopper l’édition, d’autant plus qu’il fut le résultat de nombreuses tribulations au sein du groupe (l’explication potentielle à cette chute).
Conscient de son dérapage, la sortie de "Vanity – Nemesis" en 1990 sera une réconciliation avec son art noir d’antan, sans évidemment provoquer l’engouement d’un "To Mega Therion". C’est aussi en cette année que le groupe se décide à rééditer "Apocalyptic Raids" de Hellhammer, en y incorporant deux titres de ses premières fresques.
Et à partir de là, tout s’arrête. Une dernière compilation voit le jour chez Celtic Frost en 1992, du nom de "Parched with Thirst Am I and Dying", le groupe ayant splitté prématurément.

Il faudra attendre 2000 pour entendre à nouveau parler d’eux, le projet d’un nouvel album entre les mains. Si un tribute album et une nouvelle compilation sortent en 2003, ce ne sera qu’en 2006 que "Monotheist" explosera sous un line-up légèrement modifié après l’adhésion de Franco Sesa à la batterie, mais encore et toujours dirigé par Warrior et Aim. Un disque sur lequel le groupe se recycle entièrement, et ces actions se ressentent très fort sur une musique nouvelle et originale, la création d’un mariage entre les longueurs atmosphériques et lourdeurs doom, et un côté indus imparable dont les expérimentations insolites refont leur apparition sous un nouveau jour. Acclamé à sa sortie, il marque le retour d’un groupe mythique, d’un grand paternel du black metal.
Et c’est enfin en 2008 que Hellhammer fait à nouveau parler de lui, Tom G. Warrior réunit une bonne fois toute les premières démos de son défunt projet pour les assembler en une compilation qui aura donné beaucoup de plaisir aux fans confrontés à la difficulté de trouver les objets originaux aussi cultes que rarissimes.

Sodom est l’un des fleurons de l’industrie thrash teuton, au côté de ses camarades de chambrées que sont les Kreator et Destruction, bien que ces derniers aient déjà plus de similitudes avec le death metal. La particularité du thrash allemand, par rapport à son confrère de la Bay Area, vient surtout de sa sauvagerie beaucoup plus prononcée, et de son côté moins produit, plus brut de décoffrage. La brutalité et une agressivité certaine y ont leur place, avant une technicité ici mise au second plan, mais pas du tout reniée pour autant. Et c’est bien ce qui caractérise en fait cette scène black émergente, très proche du thrash teuton, bien plus que de son cousin américain de la Bay Area.
Le black de l’époque, particulièrement primitif, et pas complètement défini tel qu’on le connaît actuellement, émergea de façon simultanée et quasi indépendante de par le monde, et plusieurs points communs se retrouvent dans tous ces groupes. A savoir un savant mélange entre du punk et du hardcore, du heavy metal speedé tel que le jouaient les toujours vaillants Motörhead, tout cela accouplé avec des ambiances morbides.
Mais Sodom, en plus de cela, est certainement un des groupes qui avaient déjà un esprit très black metal avec un mini-album, le bien nommé "In the Sign of Evil". Les germains, mine de rien, ont fait partie de ces précurseurs, au niveau des paroles, de ce qu’allait être les blasphèmes textuels typiques, intrinsèquement liés au black metal. L’inceste, la guerre et le satanisme, tant de sujets à l’époque relativement tabous, qui suscitent le dégoût et le mépris de la masse. Des paroles qui choquent, dans un but peut-être finalement bien calculé par le trio allemand, afin de faire parler un petit peu de soi pour faire connaître son art primitif.

Ce disque, contemporain de l’éponyme de Bathory (1984 donc), possède cette même conception, cette même vision. Bien que primitivement black comme les brésiliens de Vulcano et Sarcofago, ou les Suisses de Hellhammer, la musique comporte des influences thrash très marquées, très speed, violentes mais qui montrent bien ce que le black à son origine était : quelque chose d’encore très punk, le tout couplé avec l’apparition des tous premiers blasts, pas encore tout à fait définis comme tels, ou quelques trémolos par ci, par là, qui sont d’ailleurs aujourd’hui particulièrement affectionnés par la scène black metal. Seuls les vocaux, bien qu’encore relativement graves, donnent le germe de ce qu’allait devenir ces fameux chant de corbeau connu actuellement. Et autant on considèrera à l’époque Bathory comme "un ersatz de Venom" (ce qui est injustifié d’ailleurs), autant Sodom marque sa différence plus nettement. "In the Sign of Evil" est sans conteste un des disques les plus extrêmes de l’époque.

Pas foncièrement différent dans son approche, "Obsessed by Cruelty" reprend les choses là où elles furent laissées, à quelques différences près : encore plus vite, et une voix bien moins gutturale, moins rauque. Le vice est poussé à son maximum, même au niveau des guitares. Les riffs s’enchaînent à une vitesse hallucinante, et la batterie, quant à elle, ne connaît que rarement de temps morts dans ces morceaux qui ne font que rarement plus de trois minutes. Toujours autant cet aspect punk, de par ce côté primaire, le format réduit, et le peu de changement au sein même d’une musique.

Peu de temps après, Sodom récidiva avec "Persecution Mania". Et là, plus d’un fût surpris, au niveau des oreilles. Le terrain était pourtant connu, balisé par un précédent opus, mais tout à été poussé à fond. Les allemands sont devenus plus basiques, plus primaires. La diversité a été bannie ici, la musique se fait déjà plus linéaire, limite même assommante pour certains. Sodom revient clairement dans la droite lignée du thrash germanique, les éléments black commencent à être moins présents sur cette masterpiece, le style s’affine, en abandonnant par exemple le blast, mais sans pourtant ralentir ou devenir mou. Beaucoup plus carré, bourré de riffs catchy, de soli dantesques de guitares, le tout étant carrément monolithique. Le groupe rentre dans le lard, de façon frontale, sans compromis, des paroles toujours plus crues, très fortement engagées contre la guerre, montrent bien la niaque du groupe et leur volonté d’être les plus violents possibles sur tous les tableaux. Pourtant, paradoxalement, le groupe s’essaya à un format un format plus rock sur un titre, "Bombenhagel", qu’il ne réalisa qu’une seule fois durant cette époque, avant de retourner faire ce qu’il connaît le mieux : jouer du Sodom.

Les teutons marquèrent une énième fois le coup avec "Agent Orange", mais cette fois, pour de bon, posèrent définitivement les bases de ce qu’allait leur style à eux. Les éléments du black primitif d’antan sont toujours là, mais sans avoir déserté, sont certes beaucoup moins audibles, bien que parcimonieusement distillés dans les compositions. Le groupe, bien que toujours nanti du chant black de Tom Angelripper, est désormais résolument thrash. Mais pas n’importe quel thrash, celui qui définit clairement la scène teutonne. Déjà beaucoup moins linéaire, plus varié, Sodom atteint une deuxième fois le sommet de son art, en mettant les petits plats dans les grands, en osant varier leurs morceaux. Davantage de breaks, intrusions de passages acoustiques pas piqués des hannetons. Avec ses riffs incisifs et son ambiance pesante, "Agent Orange" semble beaucoup plus calme à cause des moments lancinants sur l’album, bien que le groupe n’oublie pas ses principales influences, le punk et Motörhead, en reprenant un "Ausgebombt" pour un mini (l’exercice ayant été déjà réalisé sur le précédent, avec la reprise de "Iron Fist" des Motörhead).
Sodom deviendra la troisième locomotive du thrash à l’allemande, aux côtés des Kreator et Destruction. Dans les 1990, le groupe sortira malheureusement des disques plus mitigés, mais un sursaut avec leur "M-16" relança cette fabuleuse machine de guerre, ne semblant pas avoir encore dit son dernier mot musicalement, puisque que la virulence est toujours de mise. Les papys font de la résistance !

Il y a des groupes qui, malgré leur talent et leur contribution à la scène metal, sont trop peu connus. Et c’est bien le cas de Vulcano. Pourtant, quel groupe culte !
Formé en 1981 à Santos au Brésil, dans la région de São Paulo, Vulcano est, pour ainsi dire, le premier groupe de metal extrême du Brésil, et sûrement de l’Amérique du Sud entière. Et extrême est bien le mot. Le groupe nous joue un metal hybride thrash / death / black du plus grand effet. La violence est, pour cette époque, poussée à son paroxysme : batterie qui blaste avec une intensité redoutable, riffs assassins joués très vite pour les parties les plus violentes, alors que le tempo ralentit considérablement pour les parties plombées où l’ambiance dégagée pue la mort à des kilomètres. Pour finir par une voix d’écorché vif qui prône ouvertement les tendances à l’occulte du groupe. En fait, pour être plus proche de la réalité encore, on peut parler de thrash metal poussé à l’extrême, faisant passer Slayer pour des enfants de chœur.

C’est donc en 1981 que Genne (au chant), Zhema Rodero (à la basse), Paulo Magrado et Marcelo (aux guitares) ainsi que José Piloni (à la batterie) ont créé Vulcano. Sous ce line-up, le groupe n’a sorti qu’un single de 4 titres nommé "Om Pushne Namah", en 1983. À cette époque, il était bien entendu question d’autoproduction. Après ce single, le groupe subit un gros changement de line-up, avec, entre autres, l’arrivée d’un nouveau chanteur connu sous le pseudonyme de Angel, mais aussi de celles d’un nouveau guitariste, Hensen, et d’un nouveau batteur, Renato Pelado. Ensemble, ils sortiront une démo, "Devil on my Roof", en 1984. Démo qui a été partiellement réenregistrée sur la réédition de "Anthropophagy" en 2005. Le groupe a vu le passage de bons nombres de musiciens en 27 ans de carrière. On pourrait citer Vortex666, du groupe de black metal Carpatus, ainsi qu’André Martins, du groupe de death Chemical Disaster.

Venons-en maintenant à l’essentiel. En cette année 1986, trois nouveaux membres ont rejoint le groupe. Sato Jr et Flavio aux guitares, et Loudir Piloni aux fûts. Cette année, outre ce changement de line-up, marqua la sortie du premier album du groupe. Et quel album ! Il s’agit de "Bloody Vengeance", sorti sur le label Cogumelo Records (label sur lequel sortira un an plus tard le premier album de Sarcofago). La particularité de cet album est qu’il fut enregistré et mixé en 24 heures seulement, pour avoir un rendu brut de décoffrage. Et l’effet souhaité est bien présent. Nous avons là un album d’une rare violence, brut, bestial et primitif. Aucune concession n’est faite, et ceux qui s’attendent à trouver là de jolies mélodies se fourrent le doigt dans l’œil. Les titres sont courts et rapides, la structure est thrash mais la vitesse d’exécution est plus rapide et le son plus raw. La voix est arrachée et les paroles blasphématoires. Pour être clair, les morceaux partent dans tous les sens tant au niveau de la batterie (comparable à un panzer écrasant tout sur son passage) qu’à celui des guitares (riffs basiques mais efficaces et soli à la limite de la rupture). Bref, un album qui renifle la haine et ne peut laisser l’auditeur indifférent. On est déjà bien loin des belles productions thrash de Slayer, Metallica et consorts. Une pierre essentielle de plus à la construction du black metal.

Un an s’écoule et, en 1987, le groupe subit encore un changement de line-up. Zhema se charge de la gratte et engage un nouveau bassiste nommé Fernendo Levine. Loudir Piloni, lui, est remplacé par Arthur Justo à la batterie. Une fois ce nouveau line-up établi, la tête pensante et seul membre fondateur du groupe se charge de composer un nouvel album. "Anthropophagy" sera écrit et enregistré cette même année. Zhema décide de changer de label et signe chez Rock Brigade Records, ayant eu quelques différents avec Cogumelo Records. À l’écoute de cet album, la première chose qui vient à l’esprit est : "ils ont fait pire !". "Anthropophagy" pousse encore plus loin la notion d’extrême. Se détachant encore un peu plus de ses racines thrash, il prend même une tournure death metal par moments, comme sur le titre "Fuck the War". Un album encore plus violent, encore plus malsain, qui ancre un peu plus le groupe dans ce qui sera plus tard appelé black metal.
Outre le fait que Vulcano est le premier groupe à avoir joué du metal extrême en Amérique du Sud, c’est aussi l’un des premiers groupes à avoir joué ce que l’on peut appeler aujourd’hui du black metal. Une musique sans concession, directe et qui ne laisse aucun répit à l’auditeur. Il est aussi important de signaler que le groupe est toujours en activité, et qu’il a sorti un split en 2006 avec Nifelheim. Le maître à penser du groupe continue de cracher sa haine après 27 ans de carrière malgré tout. Peu de groupes peuvent se vanter d’avoir contribué de telle façon au monde du metal.

A l’exception du fantasque Bathory qui trace sa voie en s’écartant un peu plus du thrash metal, la première vague du black metal semble toutefois devoir se contenter de l’ombre, tandis que le thrash au firmament et le death naissant s’accapare les lumières.
Celtic Frost s’éloigne pour de bon de la sphère black, Sodom rejoint les rangs du puissant mouvement thrash allemand, et il faut désormais compter sur une seconde génération de groupes, qui s’inspirent directement de leurs aînés. Si les californiens de Possessed, qui bouleversent la scène thrash de San Fransisco avec le fondateur "Seven Churches", ne jouent pas à proprement parler du black, ils assurent néanmoins une certaine continuité dans le satanisme blasphématoire de Venom et Slayer.
Déjà plus intimement liés à la scène black, résolument plus undergound, on voit surgir des groupes dont la martialité et la brutalité vont jouer un rôle fondamental dans l’évolution du black metal, proposant une alternative plus radicale et plus primaire à la future scène norvégienne comme les brésiliens de Sarcofago ou leur collègues de Holocausto. Possessed et Sarcofago sont d’ailleurs les deux influences principales des fameux canadiens de Blasphemy, qui à la fin de la décennie repoussent un peu plus loin les limites du black metal, dans sa version la plus brutale et la plus crue.

La naissance de Possessed rappelle celles d’autres groupes de thrash de la côte Ouest américaine : une bande d’adolescents qui forme un groupe de metal jouant au fond d’un garage de San Fransisco, un jour de 1983. La base du line-up original, le batteur Mike Sus et les guitaristes Mike Torrao et Brian Montana, se complète de manière stable avec l’arrivée du chanteur/bassiste Jeff Becerra, suite au suicide du chanteur précédant.
Fortement influencé par Slayer, le groupe se produit dans divers bars de la ville et se fait vite remarquer par les membres d’Exodus, véritables stars locales, avec lesquels se nouent des liens d’amitié. Jouant ainsi en ouverture du groupe phare de la scène de la Bay-Area, Possessed enfonce le clou en sortant une démo de 4 titres appelée…"Death Metal". Très fortement influencés par Slayer et son "Show No Mercy", les californiens affichent toutefois une différence fondamentale au travers des vocaux gutturaux de Becerra, qui vont faire jurisprudence, ne manquant pas d’inspirer un certain Chuck Schuldiner. Là encore, le parcours fait dans le classicisme.
La démo leur permet de paraître dans l’incontournable Metal Massacre, dans sa sixième édition, la compilation de Brian Slagel faisant plus que jamais référence au sein de la scène metal californienne. Le groupe se sépare alors de Brian Montana, celui-ci n’adhérant définitivement pas à la forte image satanique affichée par le groupe. Il est vrai que Possessed, dans la droite lignée des Venom et Slayer, pousse le concept à fond, affichant une grande croix renversée sur scène, et teintant ses textes de connotations blasphématoires. Il est remplacé par Larry Lalonde, âgé de 17 ans. Le line-up légendaire est désormais formé. La signature chez Combat Records leur permet enfin d’enregistrer leur premier album sous la houlette de Randy Burns.

"Seven Churches" fait l’effet d’une bombe déflagrante lors de sa sortie à l’automne 1985. Outre le chant terrifiant de Becerra, le thrash de Possessed, à la fois technique et très brutal, révèle une atmosphère impressionnante. L’album, auquel on attribue généralement la principale origine du death metal, ouvre indiscutablement la voie vers de nouvelles sphères musicales. Il devient dès lors un des disques les plus cultes du metal extrême.
Un an après, suite à une longue tournée qui les voit jouer aux côtés de Venom et Slayer (toujours eux), le groupe récidive dans cette veine avec son second album "Beyond the Gates", qui enfonce le clou et peaufine un peu plus les contours du thrash/death démoniaque de Possessed.
Le groupe termine hélas sa courte mais prodigieuse carrière à la suite des départs de Lalonde et Becerra, suite à un pourtant excellent "The Eyes of Horror". Le groupe ne splitte pas officiellement mais n’a plus rien fait de notable depuis, sa légende restant elle intacte et toujours incandescente.

On peut légitimement se demander la raison de la présence de Possessed dans une sélection black metal. Le débat habituel autour des Californiens est plutôt axé autour de la naissance du death metal, et Possessed n’est définitivement pas un groupe de black metal. Pour autant, même si ici il ne s’agit pas d’une filiation directe, nier l’influence de "Seven Churches" sur la scène black serait une erreur.
Remettons nous dans ce fameux contexte des années 82-85, où les contours stylistiques restent encore mouvants au sein de ce mouvement extrême global qui révolutionne le heavy metal. Possessed est pour ainsi dire un groupe de la deuxième génération, c’est-à-dire qu’il puise directement son inspiration chez Venom et Slayer. Et au-delà de l’aspect musical, Possessed pousse le concept satanique de ces groupes à son paroxysme. Suffisamment loin pour que l’un de ses membres jette l’éponge d’ailleurs. Et tandis que Slayer abandonne progressivement cette thématique, Possessed devient le groupe de metal extrême le plus sulfureux outre-Atlantique. "Seven Churches" vient enfoncer le clou musicalement. Son proto-death, dont la trame reste évidemment constituée de ce thrash metal première période, est incroyablement imprégné d’une aura maléfique qui le rend définitivement impressionnant, au delà de sa brutalité.
On sait aujourd’hui, et ses membres ne s’en cachent pas, que le satanisme de Possessed n’était avant tout que de façade, et certainement pas de conviction. Pourtant, ce cocktail explosif ne va pas seulement faire office de référence suprême pour le death metal blasphématoire des Deicide et compagnie. Plusieurs groupes de black metal se sont ainsi inspirés, pour certains de manière forte, du référent Possessed. Darkthrone a ainsi commencé en jouant un proto-death très proche des américains, les norvégiens ne quittant les sphères death metal que bien plus tard. On retrouve surtout des exemples plus marqués sur le continent américain. On peut ainsi citer les canadiens de Blasphemy, qui font figure d’icône du black old-school de la fin des années 80, et qui admettent avoir largement puisé leur inspiration dans le "Seven Churches", ce que l’on peut percevoir par des touches death marquées transpirant de leur black metal martial et très cru. Les américains de Absu vont jusqu’à reprendre le riff de "The Exorcist", exemple parmi d’autres d’une filiation assez marquée, le groupe s’orientant vers un mélange de black et death.
Possessed, comme tout le mouvement proto-death antérieur aux années 90, reste ainsi un élément influent non négligeable dans la maturation de la seconde génération du black metal, témoignage des multiples inspirations réciproques de ces scènes, malgré les idées reçues. Cela ne remet pas en cause l’appartenance incontestable de Possessed aux panthéons conjoints du thrash et du death metal, avant toute chose.

En cette année 1984, la scène metal voit la naissance d’un groupe plutôt atypique. Un groupe dont les thématiques principales ne sont autres que la guerre et la mort. Un groupe ne faisant pas dans la dentelle et dont la première préoccupation est l’efficacité. On peut dire que les membres n’ont pas vraiment un look d’enfants de cœurs non plus. Exit jean’s troués et chaussures Nike, là il est question de pantalons en cuir, perfectos, sweets à capuche, cartouchière de M60, chaînes, rangers, et surtout masques à gaz et lunettes de soleil sur corpsepaints. Look qui va inspirer bon nombre de groupes de la filière la plus extrême du black metal comme par exemple Black Witchery. Ce groupe de nationalité canadienne a pour nom Blasphemy.
A l’origine de cette machine de guerre, un dénommé Nocturnal Grave Desecrator And Black Winds, qui s’occupe de la basse, des vocaux ainsi que des samples. Les deux autres membres fondateurs du groupe, Caller Of The Storms à la gratte, ainsi que Tree Black Hearts Of Damnation And Impurity à la batterie. Il faut savoir que le groupe est encore actif aujourd’hui et que le line-up n’a presque pas bougé en 24 ans de carrière. A noter que leur dernière sortie en date remonte à 2002, il s’agit de l’album live, "Live Ritual: Friday the 13th", sorti chez Nuclear War Now. Le 4ème et dernier membre à l’origine du groupe, Marco Banco, mieux connu sous le pseudonyme de The Traditional Sodomizer Of The Goddess Of Perversity, s’occupait de la guitare et des vocaux. Il quitta le groupe après la sortie de l’album "Fallen Angel of Doom" en 1990 pour des raisons obscures. Après le départ de Banco, le groupe a vu le passage de Ace Gestapo Necrosleezer And Vaginal Commands à la basse pour l’album "God of War" sorti en 1993 chez Osmose Production.
A l’heure actuelle, le groupe est composé de 5 membres. En plus des 3 membres fondateurs cités plus haut, Blasphemy comporte dans ces rangs le dénommé Bestial Saviour Of The Undead Legions, qui est aussi bassiste de Necro Holocaust, groupe de black metal primitif formé en 2003. Enfin, le dernier membre à compléter ce monument n’est autre que Deathlord Of Abomination And War Apocalypse, aussi connu sous le nom de R. Förster dans la formation Conqueror. C’est un membre avec un lourd passé au sein de la scène la plus extrême, puisque, outre le fait qu’il soit guitariste de Conqueror, il est aussi membre de session de la formation Revenge. Vous l’aurez compris, c’est loin d’être un rigolo en la matière.

Les présentations étant faites, nous pouvons en venir à l’essentiel. Les canadiens ont sorti leur premier méfait en 1989. Il est question de la démo "Blood upon the Altar" sorti sous le format tape. A l’écoute de ce petit bijou de 9 titres, nous pouvons nous rendre compte qu’a cette époque, aucun autre groupe n’était allé aussi loin dans cette voie. Cette démo est un concentré de haine et de bestialité. S’inspirant de Sarcofago, Sodom ou encore Hellhammer et Possessed, le groupe pousse la violence à son paroxysme en enlevant toute forme de mélodie et de technique. La formule 3 riffs par morceau et 3 accords par riff est de mise. Le plus étonnant reste le rendu. Le son n’est pas trop raw, on est bien loin de ce que produiront plus tard les groupes des Legions Noires par exemple. Comme quoi il n’est pas indispensable de se limiter à un son pourri et à la limite de l’inécoutable pour jouer du black metal. Il est important de signaler que cette démo sera intégrée à l’album "God Of War" sorti en 1993, car ce dernier était trop court.

Après cette sortie, le groupe signe chez Wild Rags Records et nous livre son premier album en 1990. Et quel album. En effet il s’agit peut être bien de l’album le plus haineux, primitif et bestial sorti à ce jour. Une avalanche de violence d’un peu plus de 30 minutes. Des morceaux courts ne dépassant pas 4 minutes 30, des riffs simples joués à des vitesses vertigineuses. Une batterie qui blaste non-stop…ne cherchez pas de break, il n’y en a pas. Rajoutez à cela des grognements inhumains qui crachent des paroles blasphématoires et vous obtenez le contenu de "Fallen Angel of Doom". Mais le plus angoissant de cet album est sans doute l’intro. J’ai rarement entendu quelque chose d’aussi malsain, un air connu joué à je ne sais quel instrument, peut être est-ce du piano ou de la trompette, je ne saurais dire tant le son est complètement distordu et noyé dans un souffle rappelant celui de la mort. Je vous prie de croire que cette intro vous met en jambe pour la suite.
Il est important de parler aussi de mon titre coup de cœur. On va dire le coup de cœur d’un album coup de cœur : "Ritual". Le morceau démarre de façon atypique pour l’album. Pour la première fois depuis le début de la galette, on discerne parfaitement la batterie, qui donne le ton sur un roulement de double bombe, que l’on pourrait qualifier de mid-tempo, avant que la guitare fasse son entrée. Jusque là, le titre est plutôt progressif mais attention ce n’est pas du Opeth non plus. Le riff est vraiment bon, toujours très simple mais il fait son effet. Et là vers 20 secondes, la voix fait son apparition sous forme d’un grognement de rage. Le calme aura était de courte durée puisque à partir de là, on prend les mêmes et on recommence. Bref un album culte, qui pousse à son apogée le black metal première période, se détachant définitivement de ses racines thrash pour nous envoyer en pleine face une violence et une intensité jamais entendues. Un album que seul les bons metalheads pourront apprécier à sa juste valeur.
Blasphemy a apporté sa pierre à l’édifice du black metal, ponctuant dignement la première vague avec un album qui ne sera jamais égalé. L’apogée de l’extrême, évolution logique depuis Hellhammer et Sarcofago qui se verrait amputer de ses racines thrash, Blasphemy a fait naître une nouvelle forme de metal, plus violent que le black metal connu de la masse, le war metal, influençant des groupes comme Black Witchery, Morbosidad ou encore Sadomator. Amateur de black ambiant aux mélodies gentillettes et aux claviers Bontempi, passez votre chemin, ce groupe n’est pas fait pour vous.

Sarcofago est un groupe majeur de la première vague du Black Metal. Il s’est formé en 1985 à Belo Horizonte, au Brésil. Musicalement parlant, on ressent encore légèrement l’influence thrash qui, à cette époque, était présente dans tous les groupes de metal extrême émergents. Dans le cas de Sarcofago, nous pouvons parler de death metal aux accents black très prononcés. Le son du groupe est relativement raw et plutôt bestial : nous sommes bien loin de certaines productions thrash de l’époque. Les thèmes des chansons sont quant à eux plutôt révélateurs, et posent un peu plus les bases de la forme définitive du black metal. Ici, il est question de satanisme, de mort, d’anti-christianisme, et même d’alcool et de perversion. Des titres comme "Satanic Lust", "Desecration of Virgin" ou même "Christ’s Death" en témoignent.
À présent, parlons un peu du line-up. Le membre ayant formé le groupe n’est autre que Wagner Lamounier, le premier chanteur de Sepultura. Pour Sarcofago, il prendra le pseudonyme de Antichrist. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, c’est un individu tout à fait respectable qui enseigne les sciences économiques dans une université au Brésil. Au sein de Sarcofago, il s’occupe de la composition des morceaux, du chant et de la guitare. Dès 86, il fut rejoint par Gerald Minelli qui, lui, prit le pseudonyme de Incubus et fit profiter le groupe de ses talents de bassiste. Mais le line-up n’était pas très stable, et Sarcofago a vu, entre autres, le passage d’une multitude de batteurs et de guitaristes, tel Butcher (guitare) présent dès 85, mais qui quitta le groupe dès 87. Le groupe a aussi collaboré avec quelques formations plutôt influentes elles aussi sur la scène black metal comme Holocausto, Sextrash, ou encore Mutilator. Le dernier line-up connu du groupe, ayant aujourd’hui splitté, mentionne un membre de session nommé Eugenio, qui s’occupait de la programmation de la boîte à rythmes et du clavier.

Parlons maintenant des sorties du groupe. On peut dire qu’ils n’ont pas perdu de temps car, un an à peine après la formation, le groupe autoproduit 2 démos coup sur coup, "Satanic Lust" (Février 86) et "The Black Vomit" (Juin 86). On retrouve, sur ces 2 démos, la base de ce que va être le premier album de Sarcofago. L’année suivante marque la sortie de ce premier album, mais pas seulement. En effet, avant sa parution, le groupe avait enregistré encore 2 démos (versions retravaillées et presque définitives de "Nightmare" et "Satanas") : "Sepultado" et "Christ’s Death" en Mars, qui vient ajouter les pièces manquantes à l’album ("Christ’s Death" et "Desecration of Mary" avec, en plus, une version retravaillée de "Satanic Lust").
Venons-en maintenant à l’essentiel, j’ai bien sûr nommé "I.N.R.I" ! Enregistré en Août 87 sur cassette, l’album a été réenregistré et sorti sur le label Cogumelo Produções avec 3 pochettes différentes : une orange (la plus connue), une bleue et une marron. Le CD a été réenregistré en 2002, avec 6 nouveaux titres tirés de lives et de démos. Un EP comportant des bonus (interviews, photos, posters…) a été sorti par Nuclear War Now Production. Cet album marque un tournant pour la scène metal. De nombreux groupes se sont en effet inspirés de Sarcofago, comme Blasphemy, Beherit, ou encore Mayhem. Euronymous disait lui-même être un fan de la formation brésilienne.
Je vais m’arrêter là, tout simplement parce que le travail effectué par le groupe après la sortie de "I.N.R.I" n’a pas marqué la scène black metal d’une façon aussi importante. Sarcofago est considéré par beaucoup comme la formation ayant déclenchée cette déferlante de groupes plus bestiaux les uns que les autres, et "I.N.R.I" est reconnu comme l’un des albums les plus influents sur la scène black metal.

Tandis que la scène nord-américaine n’a d’yeux que pour son thrash et son death qui prennent une ampleur considérable, la scène européenne de cette fin des eighties est plus plurielle et plus partagée. Tandis que Bathory et Celtic Frost tournent la page black metal, ils ont laissé un héritage suffisant pour que l’underground local, en toute discrétion, entretienne la flamme du feu sacré du black metal. Et dans l’ombre, les norvégiens de Mayhem ou les suisses de Samael vont non seulement transmettre le flambeau mais aussi radicaliser un peu plus le black metal qui, peu à peu, trouve une de ses formes définitives que l’on retrouvera principalement au sein de la scène scandinave.

Formation norvégienne fondée en 1984 à Oslo par le chanteur-guitariste Euronymous (Øystein Aarseth, qui agissait sous le pseudonyme de Destructor pendant les tous premiers mois d’existence du groupe), le bassiste Necrobutcher (Jørn Stubberud, qui reste actuellement le dernier représentant du line-up originel) et le batteur Kjetil Manheim (qui agissait sous son véritable nom), Mayhem puisa son inspiration de certains des éléments mis en place par les principaux acteurs de la première vague du black metal, qu’ils soient purement musicaux (tempos rapides, chant extrême, production limitée) ou extra-musicaux (pseudonymes, corpsepaints, imagerie occulte), et les amplifia de manière à repousser les limites de la musique extrême, l’objectif initial du groupe étant de créer la musique la plus violente et la plus chaotique possible.
Mayhem peut être considéré comme le précurseur de la seconde vague du black metal, qui sera essentiellement ancrée en Norvège, et son influence s’est rapidement traduite au travers de quelques évènements-clés se situant principalement à la fin des années 80.

1986 : publication de la démo "Pure Fucking Armageddon", premier enregistrement officiel du groupe (avec Messiah – Eirik Nordheim – au chant), qui marque le franchissement d’un nouveau cap dans la musique extrême avec ses riffs ultra-rapides, ses tempos effrénés, sa production crasseuse et ses vocaux innommables à la limite de l’audible. La sortie de cette démo coïncide avec la création du label Posercorpse Music par Euronymous, lequel ne publiera qu’une petite poignée d’enregistrements, mais dont l’influence se fera autrement plus importante lorsqu’il deviendra Deathlike Silence Productions.
1987 : un pas de plus est réalisé dans l’extrême avec la publication du cultissime et très controversé Deathcrush (toujours sur le label Posercorpse Music), avec l’intronisation de Maniac (Sven Erik Kristiansen) au chant, en remplacement de Messiah, et dont les hurlements atroces repoussent les limites, déjà innommables, atteintes par son prédécesseur.

1988 : le chanteur Maniac est remplacé par un certain Dead (Per Yngve Ohlin, officiant précédemment au sein de Morbid) qui, comme son pseudonyme le suggère, était obsédé par la mort sous toutes ses formes. Si son arrivée n’a eue que très peu d’influence au niveau strictement musical (il n’apparaît en tout et pour tout que sur deux enregistrements de Mayhem : "Live in Leipzig" et le split-bootleg "Tribute to the Black Emperors", partagé par Mayhem et Morbid), son impact au niveau de l’aura sulfureuse dégagée par la formation norvégienne (et, par extension, le black metal en général) a été en revanche majeur. C’est à partir de son entrée en scène que les paroles écrites par Mayhem ont pris une toute autre dimension, poussant plus en profondeur les concepts satanistes et occultes initiés par Euronymous, tout en introduisant des thèmes plus introspectifs tels que la dépression et le mal-être. Autant d’éléments, associés à des prestations scéniques devenues décadentes et d’une extrême violence (lacérations, décors macabres…), qui ont grandement contribué à faire du black metal bien plus qu’un simple style musical : une manière d'être, un mode de vie, un mode de pensée.
La même année, peu de temps après l’arrivée de Dead, Mayhem accueille dans ses rangs un nouveau batteur en la personne de Jan Axel Blomberg (alias Hellhammer), en remplacement du batteur originel Manheim. Batteur hors normes, qui jouait précédemment dans le groupe de metal progressif Tritonus, et qui avait crée l’année précédente l’entité Mortem (qui deviendra plus tard Arcturus…), Hellhammer a apporté toute sa rapidité, sa technique et sa précision d’exécution à un style qui était jusqu’alors caractérisé par des qualités d’enregistrements approximatives.

1990 : le label Posercorpse Music change de nom et devient Deathlike Silence Productions, qui publia notamment les premiers enregistrements de Burzum ("Burzum", "Aske") et Enslaved ("Vikingr Veldi"), deux des principaux protagonistes de la scène norvégienne qui constitua la base de la seconde vague du black metal, et qui contribua ainsi au développement de ce mouvement. Sans oublier la publication des deux premiers albums du duo suédois Abruptum ("Obscuritatem Advoco Amplectere Me" et "In Umbra Malitiae Ambulabo In Aeternum In Triumpho"), mélange de black metal pesant et de sonorités dark ambiant, précurseur de ce que l’on appelle actuellement le black ambiant.

Pour celui qui ne connaîtrait que le Samael moderne, au travers de ses disques les plus récents, la présence du groupe suisse dans cette sélection pourrait légitimement interpeler. Et pourtant…Samael fait partie de ces quelques groupes absolument essentiels pour le black metal, et sans lesquels ce mouvement ne serait pas aujourd’hui ce qu’il est. Pourquoi ? Tout simplement parce que comme d’autres, Samael a fait figure de porteur de flamme. Je ne parle pas d’olympisme bien sûr, mais du feu sacré du black metal, de son essence profonde et de sa pureté originelle. Ce feu sacré, qui a réussi à traverser les années 80 en toute discrétion, dans l’obscurantisme discret d’un underground dévoué, venant relayer l’héritage des maîtres du black primitif, les Venom, Hellhammer et Bathory.
Nous sommes en 1987 quand Bathory accouche de son sommet black metal, "Under the Sign of the Black Mark". Dernier coup d’éclat retentissant du black metal primitif, qui va désormais se plonger dans une apparente hibernation, le faisant presque oublier aux yeux d’un peuple du metal extrême désormais obnubilé par le thrash metal et le death naissant. Voilà l’image populaire et la légende. La vérité est autre. C’est justement en cette année 1987 que se forme Samael. La flamme vacille mais ne s’éteindra pas.

Le groupe se forme en Avril 1987 autour de son fondateur qui est l’âme de Samael : Vorphalack (dit Vorph), guitariste et chanteur. Après une première démo, "Into the Infernal Storm of Evil", le groupe récidive en mars 88 avec "Macabre Operetta", d’ores et déjà caractéristique du black metal pur et oppressant des helvètes. Xy rejoint bientôt le groupe, devenant la deuxième tête pensante de Samael. A la fin de l’année, Samael enregistre et produit lui-même son premier EP, "Medieval Prophecy", uniquement disponible via le trading underground. Le groupe se fait ainsi connaître dans ce milieu très fermé, ne jouant par ailleurs que dans des festivals underground durant l’année 1989. Grâce à une cassette deux titres destinée aux labels, "From Dark to Black", Samael se fait signer par Osmose Productions.

Le groupe, dont le line-up s’est stabilisé, se voit offrir l’opportunité d’enregistrer un premier album. L’enregistrement se déroule en mars 1990 aux studios Taurus à Genève, mais "Worship Him" ne sort qu’un an plus tard. Magnifique témoignage d’un black metal très oppressant, profond et dépouillé, l’album ne quitte pas la sphère underground malgré tout. C’est que l’heure de la renaissance du black n’est pas encore arrivée, et la production brumeuse du disque ne l’aide pas à convertir les non-initiés, pas plus que sa relative lenteur, qui révèle au passage le complet détachement de Samael pour les racines thrash dont on affuble souvent le black old-school. Tout au plus peut-on y déceler une teinte doom/death qui vient renforcer l’aspect monolithique du disque. Les suisses se trouvent néanmoins dans une position privilégiée, en tant que véritables héritiers de Celtic Frost, lorsque l’explosion scandinave de la seconde vague se produit. En témoigne ainsi la réédition de "Medieval Prophecy" sous forme de split avec Beherit, et l’accueil enfin mérité que reçoit "Blood Ritual" en 1992. Mais ceci est déjà une autre histoire.
Celle qui nous intéresse est celle, plus obscure, de ces années 87-91, où Samael a contribué à transmettre l’héritage le plus profond du black metal. Ce trait d’union fragile et souvent mal connu, par le biais d’une poignée de groupes qui ont entretenu le feu sacré dans les soubassements les plus obscurs du metal underground, contribue à la fois à fonder l’essence même du black metal et des valeurs qui lui sont associées, et à en assurer la survie pour mieux renaître à la face du monde du metal extrême. Vu sous cet angle, on comprend que Samael n’est pas seulement le groupe atypique que l’on connaît aujourd’hui, mais bien un groupe qui impose le respect pour les vrais fans de black, qui resteront éternellement reconnaissants envers les suisses pour cette période.

Cette fin des années 80, que l’on perçoit souvent comme une période morte entre la première vague du black et sa renaissance norvégienne aux débuts des années 90, se révèle en fait incroyablement riche. On constate en fait que le black metal, faux jumeau du thrash à sa naissance, a poursuivi son adolescence tout au long de ces années. Certes, tout cela se fit dans un relatif anonymat, a contrario du thrash metal d’ailleurs, mais pour autant de nombreuses petites scènes très vivaces ont assuré la pérennité du black metal.
Au-delà des quelques icônes citées, on peut également saluer les hongrois de Tormentor, auteurs du redoutable "Anno Domini" en 1988, ou encore de la scène grecque lancée par le désormais célèbre Rotting Christ, qui fût en son temps une référence de l’underground black européen.

Nous voilà vers la fin des grandes années de la première vague du black metal. Alors que Hellhammer, Bathory, Sarcofago et toute la clique posèrent probablement sans s’en rendre compte les premières colonnes de l’art noir, il apparu. Qui ? Rotting Christ de son nom. Où ? En Grèce, à Athènes. Quand ? Début 1989. Comment ? Grâce à une scène extrême de plus en plus prolifique qui atteignit les frontières sud-européennes. Pourquoi ? Euh… On ne sait pas de trop.
Tout ce qu’on peut affirmer de "Satanas Tedeum", c’est qu’il est parmi ces galettes restées longtemps dans l’ombre, ce malgré un statut culte bien mérité. Mérité oui, car avec ce premier album, Rotting Christ construisit à lui tout seul le terrain de jeu de la scène hellène. Rotting Christ est donc l’instaurateur du metal extrême grec et l’une des grandes figures de la première vague du black metal. Car à l’écoute de "Satanas Tedeum", on ne peut pas se tromper.

Non, ce n’est pas le BM grésillant produit dans le but de vous faire imaginer un décor enneigé, le disque semble être bien plus proche d’un Blasphemy que d’un Darkthrone : un côté ultra-caverneux mis indubitablement en avant, un riffing écrasant, qui à la première oreille paraît presque inerte, dont le grain de guitare se voit saturé à la mord moi le nœud, une batterie peu aventureuse qui choisit sa stratégie entre mid-tempos et blast-beats. On notera aussi une ou deux petites touches de claviers par-ci par là, ceux-ci utilisent une gamme sonore semblable à une chorale religieuse. Et c’est tout, oui. Puis à quoi bon avoir besoin de plus ? "Satanas Tedeum" est un bijou pour n’importe quel individu capable de tripper comme un mort sur le hurlement orgasmique d’un bouc en sueur.
"Satanas Tedeum" est une œuvre complètement cradingue, dépourvue de toute finesse et subtilité. "Satanas Tedeum" est tout simplement génial, tout s’y tient parfaitement et il retranscrit à merveille une atmosphère complètement cradingue et sanglante qui donnera forcément envie de monter le volume et de headbanger sur cette cacophonie. Il faut un début à tout, certes. Et Rotting Christ fait partie de ces rares groupes à commencer sur une pure tuerie.
Il ne faudra ensuite que 4 ans au groupe pour nous sortir un chef d’œuvre, j’ai nommé "Thy Mighty Contract". La scène grecque est ainsi fondée, et quelle belle manière de couper le ruban par ce superbe disque. Bien que les œuvres récentes du groupe se soient petit à petit éloignées du black metal, le titre de grand paternel de la scène grecque leur revient de droit.

Formé en 1985, Holocausto est très certainement le groupe qui sera le moins connu de tous dans cette liste. Originaire du Brésil, tout comme leurs compatriotes de Sarcofago, le trio composant les Holocausto usina, dans un premier temps d’existence du groupe, dans un thrash metal assez speedé, et finalement pas si éloigné que ça d’un black metal naissant, bien que leur musique lorgne encore pas mal sur le death. Le groupe a tout autant sa place auprès des autres de la dite première vague, tel que Bathory, Sodom ou Hellhammer, avec des musiques appelant très fréquemment le blast.

Jouant sur une attitude volontiers punk, et utilisant l’imagerie provocatrice du IIIème Reich, bien qu’étant pas du tout nazi, avec le "Campo de Extermino" sorti en 1987, est pourtant très socialement et politiquement engagé. Le groupe tomba plus ou moins dans l’oubli, après avoir sorti encore quatre full-lenghts, et en changeant de style à chaque. Il leur aura fallu attendre, pour que le dernier disque soit réalisé, quelques douze années, et de retour dans un registre qui leur allait si bien : le vieux black/thrash d’antan, avec le line-up de l’époque de "Campo de Extermino".

Pour beaucoup, "Elisabeth Bathory" est une musique de Dissection sur leur mini-cd "Where Dead Angels Lies", et Attila Csihar le chanteur des cultissimes Mayhem.
Nous commencerons alors par deux corrections : non, "Elisabeth Bathory" est avant tout une musique composée pour le "Anno Domini" des Hongrois de Tormentor, et non, Attila Csihar ne fut pas que chanteur de Mayhem puisque ses premiers faits d’armes étaient avant tout dans ce groupe-là.

"Anno Domini" est le premier vrai opus du groupe, après une relative imbuvable première démo, et confirme la présence du groupe dans la première vague du black metal. Assez raw dans son ensemble avec son ultra compact, le groupe envoie des morceaux ayant encore pas mal de relents heavy et thrash, mais avec des riffs beaucoup plus simples. On sent pour une bonne part l’influence d’un Bathory, ou d’un thrash allemand naissant.
Et ne vous attendez pas non plus à avoir un Attila, tenant ici aussi la guitare, ayant les mêmes gimmicks vocaux faisant la particularité du "De Mysteriis Dom Sathanas", avec ces éternels changements de ton, puisque là il se contente juste de gueuler, avec une voix rappelant pas mal les débuts de Sodom ou celle de Quorthon.

En conclusion, histoire d’enfoncer le clou, il est plus que jamais nécessaire de préciser que si la scène scandinave fût celle du renouveau, les foyers américains ne se sont jamais éteints et ont perduré toutes ces années, certes de manière plus discrète, mais sans perdre de sa force ni de sa personnalité atypique, prouvant définitivement la richesse et la pluralité du black metal.

Et pour finir en beauté, notre sélection associée…

VENOM - Black Metal (1982)

Personne ne sera surpris de la présence de cet album ici. Essentiel pour son extraordinaire influence, plus que pour son impact musical proprement dit.

HELLHAMMER - Satanic Rites (1983)

Sans doute la première incarnation d’une forme musicale brute aussi noire et primaire. Un ancrage essentiel du black metal, tant dans la forme que dans le fond. L’un des actes fondateurs les plus influents.

MERCYFUL FATE - Don’t Break the Oath (1984)

Musicalement, il s’agit avant tout d’un magnifique album de heavy metal, mais la thématique lourde et occulte qui en émane contribue indirectement à la construction d’une certaine imagerie.

BATHORY - Bathory (1984)

Le premier coup d’éclat de Bathory n’est pas le disque le plus black de Quorthon. Néanmoins, il y pose les premiers jalons, avec notamment un chant atypique, et ce sans avoir subi les influences de Venom ou Hellhammer.

POSSESSED - Seven Churches (1985)

Acte de naissance du death metal, cultissime pour cela et pour la virulence qui s’en dégage, "Seven Churches" n’en constitue pas moins une source d’inspiration essentielle des scènes black américaines.

CELTIC FROST - To Mega Therion (1985)

Le mythe de Celtic Frost. Une forme de démesure qui dépasse toutes les frontières stylistiques. L’aura démoniaque de ce disque, la force de son apparent dépouillement constituent un temps fort de l’histoire du métal sombre.

VULCANO - Bloody Vengeance (1986)

LE pionnier du metal extrême sud-américain. Contemporain des Hellhammer et Bathory, Vulcano n’eût besoin de personne pour pondre un thrash direct et crû avec un chant écorché très virulent. "Bloody Vengeance" pose un peu plus les bases d’un groupe qui devient l’influence majeure death et black de la scène brésilienne.

SODOM - Obsessed by Cruelty (1986)

Moins connu que ses successeurs plus orientés thrash metal, "ObsessedbBy Cruelty" recèle quelques morceaux mythiques de Sodom à l’ambiance sulfureuse et aux textes blasphématoires. Très cru, empreint de thrash teuton très direct, ce Sodom-là est à découvrir pour ceux qui ne connaissent que "Agent Orange".

SARCOFAGO - I.N.R.I (1987)

L’album culte et référent de toute une génération de groupes de la seconde vague. Une des pièces les plus essentielles du mouvement, notamment pour sa frange la plus brutale.

HOLOCAUSTO - Campo de Extermino (1987)

Le thrash death virulent de Holocausto incarne parfaitement l’héritage d’une scène sud américaine très bestiale et primitive, et "Campo de Extermino" reflète parfaitement cet esprit.

MAYHEM - Deathcrush (1987)

Controversé, d’une qualité musicale discutable, "Deathcrush" vaut avant tout pour son témoignage d’une dévotion incroyable pour un mouvement qui semblait alors en sommeil. L’implication de Mayhem dans une existence toute vouée au black metal a assuré la survie d’une scène locale qui allait devenir célèbre. Culte, d’abord pour cela.

TORMENTOR - Anno Dommini (1988)

"Anno Domini", exemple parmi d’autres de ces quelques groupes obscurs qui contre vents et marées ont poursuivi l’aventure du black metal dans un quasi-anonymat. Contraint à l’underground à cause de sa nationalité, "Anno Domini" figure parmi les albums les plus fondamentaux de la scène européenne, ce qui fit d’ailleurs la renommée du fameux Attila au chant.

ROTTING CHRIST - Satanas Tedeum (1989)

Le pionnier d’une scène grecque très active au début des années 90. Et le "Satanas Tedeum" en est le socle fondateur. Très primitif, obscur et sombre, il représente une forme encore différente du black de la première vague, plus solennel et monolithique que ses confrères.

BLASPHEMY - Fallen Angel of Doom (1990)

Une tempête de bestialité, très éloignée des standards européens du black. Son metal très martial, très cru, est considéré comme le fondateur du war metal. Une des formes les plus brutales du metal extrême, et définitivement l’icône d’un certain black metal.

SAMAEL - Worship Him (1991)

Héritiers directs de Celtic Frost, les Suisses à la musique atypique ont longtemps œuvré pour le black metal, en privilégiant un black lourd teinté de doom et de death, qui débouche sur ce fameux Worship Him, d’une grande pureté et pourtant peu accessible. Un des disques essentiels précédant la seconde vague.

Article réalisé par ArchEvil, Eulmatt, Ihopeyoudie, Mamafucker et Vinterdrøm (initialement publié le 2 Mai 2008)