L'HISTOIRE DU GOTHIC METAL - PART 3 : LA MAFIA NAPALM RECORDS ET L'OFENSIVE GOTHIC METAL SCANDINAVE


1996 … Le metal gothique dans sa forme "la Belle et la Bête" explose au grand jour avec la sortie de la bombe "Velvet Darkness They Fear" qui va immédiatement balayer de son souffle le sud-ouest norvégien.
La Norvège, nation d'ordinaire si paisible et discrète, va ainsi être le Théâtre d'une nouvelle révolution artistique, peu de temps après avoir connu celle de la seconde vague du black metal principalement menée par les membres de l'Inner Circle, sans pour autant que celle du metal goth ne se finisse en Tragédie, comprenez par là : sans pour autant squatter la sinistre rubrique faits divers des canards locaux.
Les responsables : Theatre Of Tragedy, résidants du comté de Rogaland, qui vont rallier à leur cause bon nombre de musiciens issus des environs. Voyez plutôt : The Sins Of Thy Beloved (initialement Purgatory) se forme en 1996, Tristania en 1997, et Trail Of Tears (originellement Natt), confiné dans les tréfonds de l'underground depuis 1994, prend son nom définitif en 1997 et apparaît au grand jour par la même occasion.
Il est curieux de remarquer que chaque formation de cette triplette d'émules commence par la même lettre que le mentor, l'une d'elle en ayant même repris l'acronyme. Trop gros pour n'être que le fruit du hasard, c'est certain, d'autant que deux des trois groupes en question ont changé de nom en cours de route. En tous cas, on sait précisément dans quel bac aller chercher leurs œuvres chez notre disquaire préféré.
Toujours à l'affut des bons coups, le label autrichien Napalm Records, fondé en 1994 et qui s'est signalé, au cours de ses deux premières années d'existence, par des productions placées sous le signe du metal extrême (les albums de Abigor, Suffer, Visceral Evisceration, auxquels on peut rattacher le premier Summoning), ne va pas tarder à débaucher les jeunes pousses du metal goth issues du grand Nord, en leur faisant une proposition qu'elles ne pourront pas refuser, The Sins Of Thy Beloved et Tristania donnant immédiatement leur accord, tandis que Trail Of Tears n'y résistera que le temps d'un album : base logistique et promotionnelle solide, distribution étendue, stratégie publicitaire agressive (allant même jusqu'à payer des encarts promos dans certains magazines X d'Outre-Atlantique, les plus vendus de préférence), présence d'une succursale aux States, possibilité de tourner hors Europe, … Le tout avec une politique essentiellement menée dans un but lucratif, cela dit parfaitement assumée par son responsable Markus Riedler, qui ne s'en cache absolument pas.
Ajouté à cela le partenariat avec le Soundsuite Studio situé à Sandnes, soit à trois pâtés de maison des groupes locaux, qui plus est garant d'un son de qualité, et vous comprendrez pourquoi le coup était (presque) parfait. Une aubaine pour les groupes, le label, ainsi que pour ce vieux bougre de Terje Refsnes, propriétaire du Soundsuite, qui pourra ensuite s'offrir sa place au soleil, quittant en 2001 le Sørlandet pour le Syden, un Sud pour un autre, en l'occurrence la Côte d'Azur et Pennes-Mirabeau, emménageant son bien en studio-chambre d'hôte tout confort, piscine comprise.
Napalm Records va ainsi, à la fin des années 90, inonder le marché de productions metal goth "made in Sørlandet" à grands coups de covers racoleuses à souhait, au beau milieu desquelles vont se perdre d'autres productions du même genre, en provenance d'autres contrées, quelque peu éclipsées par l'omniprésente Norvège (on peut citer les teutons de Lacrimas Profundere ou encore les autrichiens de Darkwell), jusqu'à biaiser la réalité, dans le sens où beaucoup vont croire que le metal dit "gothique" doit forcément, pour être qualifié en tant que tel, inclure du chant féminin.
Abondance de biens nuisant, cette surenchère va tout naturellement finir par lasser et découler sur une indigestion chronique chez le public. Du côté des artistes, les piliers du genre disparaitront, se verront en proie à des querelles internes ou iront explorer d'autres territoires musicaux, mais Napalm, sûr de son coup, va continuer au cours des années 2000 dans son trip metal goth essentiellement scandinave, en signant les norvégiens de Sirenia (dirigé par Morten Veland, transfuge de Tristania) et par extension Leave's Eyes et Midnattsol, deux formations au statut particulier car à dominante germanique mais aux figures de proue d'origine norvégienne (les sœurs Espenæs, Liv Kristine pour l'une et Carmen Elise pour l'autre), tout en élargissant son panel à la Suède, en récupérant sous son aile des formations qui trainaient leurs guêtres depuis un bon moment dans le milieu (Draconian, Beseech).
Enfin, même si l'opération a toujours revêtu un caractère principalement mercantile dans l'esprit de Napalm, il n'empêche qu'elle a permis à quelques belles petites perles de voir le jour. En voici un échantillon rien que pour vous, présenté en écrin de velours, s'il vous plait. Alors, comme on dit là-bas : vær så god !

TRISTANIA - Widow's Weeds (1998)

Premier véritable album de la formation norvégienne, "Widow's Weeds" confirme le talent que l'on devinait déjà sur l'EP éponyme 4 titres sorti l'année d'avant, en 1997. Des guitares puissantes jusqu'aux chants grandiloquents, ce premier enregistrement témoigne d'une bonne maîtrise du style, si l'on ajoute à cela leurs capacités à créer des ambiances envoûtantes ("Midwintertears", "Cease to Exist").
"Widow's Weeds" reprend 2 titres de cet EP, qui au milieu de leurs frères et sœurs, s'entendent très bien pour nous transporter dans des états majestueux où la grâce côtoie les vicissitudes de la vie.
Dans le même ordre de ressenti, la pochette, représentant une maison où semble régner désolation et solitude, colle bien à la musique, lui ajoutant une dimension quelque peu mystérieuse.
L'album reprend les formules magiques du gothic metal à la Theatre Of Tragedy avec l'incorporation d'un violon, la dualité masculine/féminine dans l'utilisation des voix et autres orchestrations apportant la fameuse mélancolie propre au style, en évitant au passage la pâle copie.
Morten Veland, le chanteur/guitariste, Einar Moen aux claviers et Anders H. Hidle, l'autre guitariste, ont composé un énorme album débordant d'intros angéliques, de breaks saisissants, très peu d'accélérations mais plutôt des montées en puissance parfois très directes. Le contraste est réussi, nous avons les beaux passages calmes et les embardées sulfureuses qui souvent se mélangent au lieu de simplement s'enchainer.
Vibeke Stene joue un rôle important dans la beauté des accalmies, la grâce incarnée ! Ses interventions au chant nous feraient presque ressentir l'ivresse d'une étreinte amoureuse.
En bref, vous n'aurez pas fini de vous extasier tout au long de ce monument du gothic metal à chanteuse variant fort bien les ambiances, ambitieux sans être dans l'étalage aveugle de technique, d'effets, etc...
Tristania ne s'arrête pas là et sort son 2ème opus, "Beyond the Veil" en 1999, qui va les assoir proche du sommet des grands du genre, délivrant toujours des ambiances magiques, dépassant par moment l'intensité de "Widow's Weeds". Jusque là, c'est un parcours sans fautes...
Puis Veland quitte le groupe pour aller fonder Sirenia et la musique du groupe perd une part de sa personnalité. En effet, l'album "World of Glass" de 2001 a laissé de glace votre humble serviteur : malgré la présence de Vibeke, je n'ai pas accroché aux compositions manquant de cœur et de tripes, pourtant, tout n'est pas mauvais. Les albums suivants ne parviendront pas à redorer leur blason, sachant que je me base sur le manque d'enthousiasme qui ont entouré leurs sorties puisque je ne les ai jamais encore écouté, chose que je ferai tôt ou tard, histoire de redonner une chance à ces musiciens talentueux que j'ai peut être trop vite mis de côté. Encore un changement dans le line up: Mariangela "Mary" Demurtas a remplacé ma chère Vibeke Stene...Snifsnifsneu...
Pour finir, si vous souhaitez connaître Tristania, c'est donc avec "Widow's Weeds" ou "Beyond the Veil" que vous devriez commencer.

THE SINS OF THY BELOVED - Lake of Sorrow (1998)

Un cloître froid et abandonné. Une défunte aux charmes à peine voilés par le linceul recouvrant son corps dénudé. Penchée sur elle, une femme à la chevelure blond platine, dont l'éclat contraste avec la noirceur de ses vêtements de deuil, posant lascivement une dague sur l'entresein de la défunte… Voici l'une des pochettes de disque les plus sensuelles jamais proposée, celle du premier album des norvégiens de The Sins Of Thy Beloved (TSOTB), "Lake of Sorrow" (1998), mettant en scène les deux nymphes Anita Auglend et Ingfrid Stensland, occupant respectivement les postes de chanteuse et claviériste du groupe. Une illustration parfaitement réussie cela dit, séduisante et mystérieuse juste ce qu'il faut, rayonnant d'un charme mortuaire qui n'a d'égal que le regard énigmatique de la fille en vêtements de deuil, sorte de Joconde version gothique dont on ne peut précisément décrypter l'expression du regard, et que l'on peut également voir comme une version de la Belle au Bois Dormant à la sauce erotic-lesbian-goth, chacun l'interprétera à sa manière. Une chose est certaine, cet objet marque le début de la politique "pochettes affriolantes" de Napalm Records, dont les futurs "Beyond the Veil" de Tristania (1999) et "Profoundemonium" de Trail Of Tears (2000) constitueront de nouvelles figures de proue. "Lake of Sorrow", une pochette qui attire l'attention et affole les hormones, certes, mais quid du contenu musical ? … Et bien, celui-ci est d'une excellence rare, sans exagération. Le genre d'album mythique que l'on écoute encore très régulièrement après dix années et des millions de tours opérés sur la platine. Garanti inusable !
Souvent mis (à tort) dans le même panier que ses compatriotes, TSOTB dévoile sur "Lake of Sorrow" une sensibilité beaucoup plus doom, plus proche des racines du metal goth, au travers de riffs lourds et traînants, et d'une batterie invariablement calée sur un low-tempo hypnotique (à l'esception de "Silent Pain", le dernier titre de l'album, où le rythme se fait un poil plus vivace). Mais s'il y a bien un élément qui distingue la formation de Bryne de ses voisins, c'est sa nette prédominance atmosphérique, à un point où l'aspect metal s'en retrouve souvent éclipsé. Certes, cette orientation, telle qu'exposée ainsi, ramène directement à The 3rd And The Mortal, mais là où ce dernier joue dans un registre ambiant minimaliste, TSOTB joue l'opulence, fort de ses deux claviéristes délivrant de riches orchestrations néoclassiques se déclinant en diverses sonorités de piano, clavecin et autres chœurs grandioses, agrémentées de sons de cloches ou encore de nappes vaporeuses, se profilant en mille et un arrangements qui sont tout autant de merveilles.
Et comment ne pas parler du violon, omniprésent, l'incontestable star de cet album, mené par un Pete Johansen qui s'était déjà fait remarquer en tant que guest sur le "Widow's Weeds" de Tristania sorti la même année. Sur "Lake of Sorrow", l'homme qui est effectivement le huitième membre du groupe (seulement crédité en tant que guest pour d'obscures histoires contractuelles lui interdisant d'apparaître sur les photos promos utilisées pour l'artwork des albums), dispose de toute la latitude nécessaire pour placer d'innombrables harmonies somptueuses, déchirantes, où l'archer semble à chaque note arracher aux cordes une larme de sang. Une prestation éblouissante de la part du maestro, surtout lorsque son jeu se combine à des lignes de piano mélancoliques, comme sur le pont instrumental de "Until the Dark", l'un des instants musicaux les plus purs et mirifiques qu'il m'ait été donné d'entendre. On notera également un brillant solo de 3 minutes sur l'extra-large intro de "Worthy of You".
Question chant, on a bien entendu droit à la dualité vocale death/soprano, qui atteint avec TSOTB un niveau d'antagonisme rarement si ce n'est jamais égalé, le growl abyssal et primitif de l'imposant Glenn Morten Nordbø offrant un contraste saisissant avec la voix très haut perchée et éthérée, presque irréelle, de Anita Auglend, éclatante et fragile comme le cristal, quelque part entre Liv Kristine et Mylène Farmer. Un duo qui agit essentiellement par longues plages solo interposées ("Until the Dark" se déroule même sans aucun chant extrême), se réservant parfois quelques répliques dans la veine d'un old-Theatre Of Tragedy (le final de "All Alone"), et qui se retrouve occasionnellement accompagné par quelques râles black assez discrets et souvent placés en doublure du growl ("The Kiss", "Lake of Sorrow").
Autant d'éléments qui font de ce "Lake of Sorrow" une grande réussite, parfaitement mise en valeur par la production made in Soundsuite, claire comme l'eau de source et dense comme le roc, une habitude avec Terje Refsnes aux manettes qui, bien loin de se baser sur des habitudes préétablies, parvient toujours à s'adapter à la personnalité des différents groupes passés en son studio, conférant à chacun la prod' qui lui convient.
TSOTB revient deux ans plus tard avec le même line-up et un "Perpetual Desolation" (2000) révélant un nouveau visage, montrant davantage de diversité au niveau de la section rythmique, avec l'usage de moult tempi enlevés et des guitares débarrassées de leur architecture monolithique et se retrouvant mixées plus en avant. Les morceaux, bien plus complexes, revêtent également un habillage plus moderne, au niveau des toujours très présents claviers, dotés d'un son très synthétique quand ils ne débordent pas occasionnellement dans l'electro, et du chant black mis cette fois-ci au premier plan et souvent couvert d'effets lui donnant une texture "cyber". De son côté, Anita Auglend nous surprend en adoptant un caractère d'ingénue effrontée, signant une prestation plus délurée, lâchant spoken words faussement naïfs, rires de démente et orgasmes enflammés sans complexe aucun, tandis que Pete Johansen fait virevolter son violon comme jamais, avec des lignes spectaculaires, acérées et parfois horrifiques (certainement quelques résidus de son expérience Morgul aux côtés de l'excentrique Jack D. Ripper), pour un résultat bien moins envoûtant que "Lake of Sorrow", le froid polaire ayant laissé la place à un froid clinique, mais tout aussi convaincant et réussi, TSOTB s'étant surtout appliqué à ne pas se répéter. Bonne initiative.
Mais peu de temps après la sortie de ce second album, c'est la débandade. A la croisée des chemins entre obligations collectives de plus en plus pressantes (répétitions, tournées) et impératifs personnels (études, vie privée), le groupe se retrouve coupé en deux, la section metal poursuivant son chemin, le reste quittant le navire. Le "Perpetual Desolation Live" sorti en 2001 est le dernier témoignage concret, support à l'appui, de l'existence du groupe, qui n'a néanmoins pas abandonné la partie, apparaissant de temps à autre à l'affiche de certains festivals, réalisant quelques gigs ici et là, changeant un coup de claviériste, un coup de chanteuse, avec des rumeurs d'un hypothétique troisième album faisant surface de temps à autre (fin 2004, mi-2007, soit tous les trois ans environ) et retombant aussitôt dans l'oubli. Mais qui sait, maintenant que son emblématique Anita Auglend est de retour, on peut espérer que tout reste possible, même l'impossible, même après de nombreuses années de quasi-mutisme. Qui vivra verra …

TRAIL OF TEARS - Disclosure in Red (1998)

Dans la déferlante gothic metal de la fin des années 90 et débuts 2000, Trail Of Tears se distingue avec son goût pour les mélanges, cela même si leur sauce est une recette connue, elle n’en reste pas moins succulente.
Hautement mélodique, fougueux, aventureux, "Disclosure in Red" offre un mix intéressant entre musique extrême et douceur atmosphérique avec une voix féminine caractéristique répondant aux grunts familiers des deatheux.
Outre les grosses guitares et la batterie bien solide, la basse se fait bien entendre sur une majorité de titres avec un effet de surprise jouissif. Les claviers soulignent goulument les diverses rythmiques et habille justement les passages calmes. Quelques parties jouées en acoustique ajoutent encore à l’ambiance que magnifie le chant d’Helena Iren Michaelson : tout simplement irrésistible !
On arrive vite à la moitié de l’album sans ennui notable et la sixième piste nous plonge dans une sorte d’allégresse totale ! De courte durée, "Illusion?" semble pourtant déteindre légèrement sur le reste de l’œuvre telle une touche de peinture faisant ressortir l’âme d’un tableau, lui donnant soudain un sens.
Comme tout bon groupe gothic metal qui se respecte, les norvégiens affectionnent le sombre romantisme, les mystères, la tragédie, la démesure, l’évocation sacrée, l’imaginaire et parviennent à nous transmettre tout cela avec peut-être l’aide du visuel, mais surtout avec leurs simples instruments.
On trouve aussi sur cette galette quelques passages stylés death mélodique se mariant fort bien avec le reste. Leur démarche n’est d’ailleurs pas très éloignée d’un Dismal Euphony pour ceux qui connaissent ce groupe talentueux jouant également sur plusieurs registres.
Le vocaliste Ronny Thorsen est actuellement le seul rescapé de la formation originale, le line-up ayant connu moult changements de musiciens, il a su à travers ces dix dernières années faire évoluer sa musique vers plus d’intensité tout en gardant une sensibilité atmosphérique/mélodique et "Bloodstained Endurance" (2009) le prouve aujourd’hui.
Je vois d’ici ceux qui comme moi ne jurent que par la mélodie et d’autres part, ceux qui vibrent aux assauts des grunts et rythmes effrénés, je tiens à vous rassurer : il y en aura pour tout le monde … à condition d’aimer les contrastes.
Bonne écoute à vous, bande de passionnés!

SIRENIA - At Sixes and Sevens (2002)

Le public metal à tendance gothic avait de quoi se demander comment allait faire Tristania, tiraillé en interne par des sempiternelles histoires de divergence musicale (l'affaire étant allée jusqu'aux tribunaux), pour rebondir suite au départ de Morten Veland, soit l'un de ses principaux compositeurs ? … En effet, lorsque l'auditeur est habitué à une "marque de fabrique", il faut souvent réapprendre, assimiler la nouvelle façon de composer.
Donc, si appréhension il y a, c'est bien au moment de découvrir les deux albums respectifs de Tristania ("World of Glass") et de Sirenia ("At Sixes and Sevens"), le nouveau groupe du père Veland, tous deux sortis à peu près simultanément. Le premier, ayant l'avantage d'être déjà connu, est  tout de même forcé de réadapter sa musique devant l'absence de son mentor qui lui-même aura le choix de proposer soit quelque chose de radicalement différent, soit tenter de garder ce style développé dans le passé tout en prenant garde à ne pas se répéter.
A l'écoute de "At Sixes and Sevens", premier album de Sirenia, nous sommes tentés de chercher quelles sont exactement les influences artistiques de sieur Morten Veland ? D'ou vient ce mélange des genres atmo/sympho, metal et gothic, ce dernier terme est à prendre dans le sens du rock gothic à la Sisters Of Mercy, que Tristania n'avait pas encore franchement abordé, restant pour sa part, très ancré dans le metal.
En considérant le passé artistique du gaillard, on peut dire qu'une mutation a donc eu lieu et ce premier album distille moins d'ambiances trippantes qu'auparavant, même si ce n'est pas ici le désert sentimental. Tout est enveloppé dans un cocktail d'énergies demandant un temps d'acceptation envers le lyrisme naturel d'un Tristania au tempo plus lourd.
Le titre qui illustre au mieux l'évolution par rapport aux anciens travaux de Veland est "In A Manica" : sa mélodie rapide au clavier est presque dansante, très accrocheuse, elle contraste avec le climat traditionnellement froid de Tristania. Les vocaux s'équilibrent autours d'un joli chant féminin auquel répondent une voix caverneuse, de nombreux chœurs ainsi qu'un chant clair masculin et un autre d'influence black metal. Le rendu de tout ce mélange, aussi bien instrumental que vocal, donne au disque une certaine personnalité pouvant parfois paraître timide, mais le plus souvent exubérante. Un violon apparait par petites touches mais c'est bien le son massif des guitares qui prédomine tout en laissant respirer l'ensemble ponctuellement.
Un peu comme un Cradle Of Filth et son Dusk and Her Embrace, on nage entre sombre romantisme et sauvagerie douce, toutes proportions gardées bien entendu.
Dès lors, Sirenia n'aura de cesse de nous proposer des albums de qualité, bien qu'avec des orientations un peu différentes (notamment sur "Nine Destinies and a Downfall" et "The 13th Floor" aux accents plus pop), s'imposant ainsi comme une des valeurs sûres du metal goth. Morten Veland a réussi son pari qui n'était pourtant pas gagné d'avance : nous faire aimer Sirenia.

BESEECH - Souls Highway (2002)

Beseech est l'une des plus anciennes formations de metal gothique. Fondée à Borås (Suède) en 1992 et donc présente sur la scène depuis l'époque de pionniers, elle ne parvint cependant pas à acquérir la même reconnaissance que ses illustres contemporains, se retrouvant même éclipsée par ses voisins norvégiens lors de la "Sørlandet bølget" (la vague du Sørlandet) de la seconde moitié des années 90, la faute à des problèmes récurrents de stabilisation de line-up et surtout une extrême difficulté à trouver un label pour sortir son premier album "From a Bleeding Heart". Enregistré en 1995, cet ensemble de dix compositions ne fût commercialisé qu'en 1998 après un deal signé avec Metal Blade. Se situant dans la plus pure lignée des old-Theatre Of Tragedy / The Gathering avec l'incontournable duo chant guttural / soprano, l'album sonne terriblement daté à l'heure où débarquent des formations telles que Tristania ou The Sins Of Thy Beloved qui ont habilement su injecter du sang neuf au genre metal goth (dans un élan spectaculaire et bombastique pour l'un, avec une aura éminemment atmosphérique et mélancolique pour l'autre), et Beseech y apparaît, bien malgré lui, comme un petit soldat certes courageux et valeureux, mais malheureusement arrivé après la bataille, alors que ses compagnons d'armes se sont déjà très largement taillés le bout de gras.
Deux ans et un changement d'écurie plus tard sort le second album "Black Emotions" (Pavement Music, 2002) qui marque l'arrivée de celle qui deviendra la chanteuse emblématique de Beseech : Lotta Höglin, en même temps qu'un virage musical important, prédisposant la suite de la carrière du groupe suédois, ses compositions s'imprégnant d'influences goth-rock, allégeant l'aspect metal tout en se délestant du chant guttural.
Gardant toujours un œil attentif sur ce qui se passe du côté de la Scandinavie en matière de metal goth, Napalm Records n'a pas tardé à mettre le grappin sur la formation suédoise et ainsi étoffer son catalogue, déjà bien fourni en productions de chez les voisins norvégiens.
Un contrat scellé par la sortie de "Souls Highway" en 2002 où Beseech poursuit sa métamorphose initiée sur "Black Emotions" en continuant à simplifier et alléger son propos, mettant définitivement au placard la "romantic touch" pour adopter un habillage moderne. Sur "Souls Highway", l'objectif est parfaitement clair : composer des tubes en puissance. Et effectivement, tous les éléments répondent présent : mixage privilégiant la section vocale et la rythmique d'une batterie calée sur un mid-tempo propre à faire taper du pied au détriment des guitares électriques reléguées en arrière-plan, claviers délivrant des mélodies à 3-4 notes sur fond de légers voiles vaporeux et quelques effets electro tout ce qu'il y a de plus banal et simpliste. Tout autant d'éléments agencés sans trop cumuler ni compresser les pistes, de manière à ce que l'ensemble soit parfaitement digeste et immédiatement mémorisable, et vous obtenez du 100 % calibré pour les ondes radios, d'autant que les schémas intro / couplet / refrain / couplet / refrain / pont / refrain tombent à profusion.
Du 100 % calibré comme les lignes de chant de Lotta Höglin. Plus en verve que sur "Black Emotions", elle n'en demeure pas moins une chanteuse de classe FM, dont l'inconsistante platitude du timbre vocal n'a d'égal que l'émoustillant relief de sa sculpturale plastique.
Quant à son pendant masculin Erik Molarin, fraîchement enrôlé pour l'enregistrement de "Souls Highway", le moins que l'on puisse dire est que sa prestation ne brille pas par son originalité, même si incontestablement plus solide et convaincante que celle de son prédécesseur Jörgen Sjöberg. Sorte de croisement entre Peter Steele (Type O Negative), Nick Holmes (Paradise Lost) et Carl McCoy (Fields Of The Nephilim), alternant timbre grave, tout à tour plus clair ou plus rauque, et psalmodies rêveuses et introspectives, le grand brun joue sa partition de manière très pro et foncièrement irréprochable, appliquant sans vergogne les gimmicks présentés dans le guide du petit rock-metal-gotheux illustré qu'il connaît par cœur, allant même jusqu'au plagiat (l'air du refrain du morceau-titre outrageusement pompé sur celui de "The Last Time" de Paradise Lost). Plutôt plaisant, mais on attend désespérément la petite étincelle de génie qui nous fera vibrer, chavirer …
… Un constat en totale adéquation avec le ressenti général de "Souls Highway", réalisé sans véritable vista et faisant très souvent venir à l'esprit les peu reluisantes qualifications de "soupe" et de "musique de supermarché". Du dérivé monométallisé de pop, pas original pour une krona, mais qu'il serait gratuit et injuste d'assassiner sans sommation, car tout de même capable de réserver quelques bons moments, surtout dans sa seconde moitié avec la frissonnante ballade "Sunset 28" égrenant ses notes acoustiques de manière hypnotique, mêlant tristesse et espoir, toute en émotions à fleur de peau. On notera aussi les nombreux breaks aux enchanteresses notes cristallines de "A Season in Green", les chœurs célestes et les subtiles orchestrations de l'instrumental "Beyond the Skies", et enfin l'étonnante reprise du tube planétaire "Gimme Gimme Gimme" de leurs compatriotes de ABBA, parfaitement reconnaissable et qui, à grand renfort de rythmique pachydermique et de voix masculine estampillé "Géant Vert", constitue étonnamment le morceau le plus heavy de l'album. Une épatante surprise réservée aux possesseurs de la version digipack limitée de l'album.
Quelques agréables instants, mais rien qui ne soit matière à faire de "Souls Highway" une œuvre historique et indispensable, loin de là.
Malgré ses compositions globalement très superficielles et peu propres à envouter l'auditeur averti, "Souls Highway" trouvera sans nul doute son public auprès des âmes gothiques recherchant une musique débarrassée de toute grandiloquence, au tempo soutenu, à la mélancolie légère, écoutable sans se fouler les tympans, en voiture pour aller à son boulot comme en background pour son prochain barbecue, gavée de refrains à chantonner sous la douche.
Deux albums supplémentaires réalisés dans une veine similaire et toujours chez Napalm (le médiocre "Drama" sorti en 2004 et le plus sombre et heavy "Sunless Days" sorti en 2005) n'y changeront rien : Beseech ne reste qu'une formation parmi tant d'autres, une entité qui, comme des milliers de ses congénères, aura séjourné sur la planète metal sans faire de vagues, avant de splitter (en 2006) dans la quasi-indifférence générale, sans effervescence de passion … Une pierre tombale parmi tant d'autres …
Aurait-elle pu connaître un meilleur destin commercialement parlant ? …Possible, quand on voit à quel point la musique de Lacuna Coil, tout aussi simpliste et formatée, peut cartonner.
Aurait-elle mérité ce meilleur destin artistiquement parlant ? … Très franchement, il faudrait être né avec les oreilles en plâtre pour oser le prétendre …

DRACONIAN - Where Lovers Mourn (2003)

Un an après l'enrôlement de Beseech, Napalm Records poursuit sa politique de drague des tréfonds de l'underground de la scène metal gothique du Grand Nord avec la signature de Draconian, septet suédois formé en 1994 à Säffle sous le patronyme de Kerberos qu'il ne conservera que quelques mois.
Destin croisé pour ces deux formations qui marquent le "swedish revival" de la franchise Napalm (faisant suite à la déferlante norvégienne de la seconde moitié des années 90) et qui ont pour point commun d'avoir du faire preuve de patience et de persévérance avant de pouvoir enfin signer un contrat discographique en béton armé. Autant la période pré-Napalm de Beseech s'est soldée par la sortie de deux full-lengths, autant les débuts de Draconian furent amplement plus obscurs. Des débuts pouvant se résumer à un long état végétatif, pour ne pas dire comateux, à peine troublé par quelques timides soubresauts, avec les trois démos "Shades of a Lost Moon" (1995), "In Glorious Victory" (1997) et "The Closed Eyes of Paradise" (1999) œuvrant dans un metal gothique à chanteuse typique de l'époque, fermement ancré dans une base doom/death. Un bien maigre bilan … aussi maigre que la qualité de production qui caractérise les travaux précités, un point qui a certainement joué en défaveur du groupe, de même que son line-up en fluctuation constante.
Mais c'est compter sans l'extrême ténacité du chanteur (et initialement claviériste) Anders Jacobsson et du guitariste (initialement batteur) Johan Ericson, les seuls qui soient parvenus à garder le cap contre vents et marées et qui verront l'espoir renaître de leur rencontre avec la chanteuse Lisa Johansson en 2002, un évènement qui va singulièrement changer la donne. Fort d'un duo vocal stabilisé et d'un line-up qui ressemble enfin à quelque chose d'à peu près solide, Draconian investit le home-studio du claviériste Andreas Karlsson pour mettre en boîte la démo "Dark Oceans We Cry", attirant l'attention du plus scandinavophile des labels autrichiens (Napalm Records pour ceux qui n'auraient pas suivi).
Une seconde naissance immédiatement célébrée par la sortie du premier album "Where Lovers Mourn" en 2003 avec, moyens financiers obligent, une qualité de production enfin au rendez-vous pour huit compositions se nourrissant dans le terreau d'un metal gothique de tradition, se déclinant en longues fresques d'obédience doom à la teneur symphonique et atmosphérique dans la lignée des old-The Sins Of Thy Beloved / The 3rd And The Mortal ou en rythmiques plus pêchues, plus accrocheuses, dans la veine des morceaux les plus entraînants d'un Paradise Lost période "Draconian Times" (le choix du patronyme de la formation suédoise en 1995 n'est d'ailleurs certainement pas innocent).
Le morceau d'ouverture "The Cry of Silence", du haut de ses 13 minutes, combine admirablement tous les éléments caractéristiques du style Draconian. Les guitares pleurent, déversant leur flot mélodique comme exutoire à toutes les peines du monde, celles d'une congrégation funèbre dont la marche, lente et accablante, se trouve entrecoupée d'instants tourmentés, affres d'une lourde perte et d'un immense chagrin. Les chœurs gothiques empreints de majesté s'élèvent comme l'espoir de ruines anéanties, l'espoir de la rémission.
Les gracieux élans lyriques de Lisa répondent aux rugueux grondements de Anders qui, même s'il ne possède pas le coffre le plus abyssal du circuit, se distingue par son timbre éraillé, n'hésitant pas à tirer parfois sur le black ou à délivrer des murmures rêveurs. Une pièce épique riche en contrastes et qui se termine en musique de chambre intimiste, piano et clarinette s'entremêlant en un duo éminemment mélancolique.
Néanmoins, l'impression que la messe est dite après ce superbe premier morceau persiste et le reste de l'album ne réserve que peu de nouveautés, si ce n'est quelques jolis passages acoustiques (le pont de "A Slumber Did my Spirit Seal", l'interlude "Akherousia" aux accents folk) et un "Silent Winter" qui surprend par son orientation bombastique, ses envolées lyriques, ses orchestrations à cordes vigoureuses et ses parties de piano de virtuose. On croirait presque entendre le Tristania de "Beyond the Veil". Un morceau très inhabituel de la part de Draconian, de par sa vivacité et sa clarté, qui offre un contraste net avec les compositions les plus lentes et les plus ténébreuses ("The Solitude", "Reversion ad Secessum" et "It Grieves my Heart"), qui demeurent aussi, avec le morceau d'ouverture, les plus réussies, celles où Draconian est le plus poignant, car le groupe n'est jamais aussi fort que lorsqu'il prend le temps d'injecter son venin, laissant le poison d'une douleur lancinante pénétrer lentement notre cœur et notre âme, se refermant telles les lourdes portes d'une sépulture.
Les suédois présentent d'indéniables talents d'envoûteurs mais pour autant, ce premier essai longue durée est loin d'être irréprochable : la production, bien que claire, manque de la consistance qu'elle aurait mérité, les mélodies en soli de guitares ou en lignes de claviers demeurent un tantinet cheap et les breaks souvent téléphonés. Malgré ses presque dix ans d'âge au moment de l'enregistrement de "Where Lovers Mourn", Draconian pèche par facilité et n'a pu éviter les erreurs de jeunesse, empêchant aux atmosphères de déployer tout leur potentiel ensorcelant.
Des germes prometteurs qui s'épanouiront sur le second album "Arcane Rain Fell" (2005) et l'EP "The Burning Halo" (2006), deux œuvres bénéficiant d'une production supérieure, d'une rythmique plus dense et d'orchestrations plus opulentes, manifestes d'un groupe plus mature qui, même s'il se base sur des codifications archi-balisées, le fait avec aisance et sincérité.
Un manque flagrant d'originalité qui pourrait constituer un handicap, mais qui se révèle aujourd'hui comme étant la plus grande force de Draconian, le septet demeurant l'un des derniers pratiquants du metal gothique "à l'ancienne", conservant intact sa base extrême (la ravivant même sur son dernier essai en date "Turning Season Within" sorti en 2008), sans se départir de ses atours mélodiques et esthétiques.
Une denrée rare en ces jours où les gloires du passé ont tour à tour sombré dans les abîmes, celles du split ou celles de la soupe commerciale. Draconian, dans ses velléités traditionnelles, nage à contre-courant de la mouvance du nouveau millénaire et pourrait paradoxalement être qualifié d'original si l'on se réfère au bien morose paysage musical qu'offre actuellement le royaume du metal gothique.
Draconian ou l'un des derniers, l'un des ultimes défenseurs de l'authenticité … mais pour combien de temps encore ?

Article réalisé par Steelhardos et Vinterdrøm (initialement publié le 5 septembre 2009)

Aucun commentaire: