FUNERAL DOOM : LES 13 ORAISONS FUNEBRES


La Finlande, terre des mille lacs et de la forêt boréale, un havre où la nature règne encore en maître. Un territoire soumis à un climat rigoureux, abritant un peuple s'illustrant par sa modestie et son humilité. Une nation discrète, se tenant volontairement loin des feux des projecteurs et donc relativement méconnue en dépit des nombreux succès qu'elle a acquis à l'échelle internationale dans de nombreux domaines.
Tout d'abord, comment ne pas rappeler que la Finlande est le pays officiel du Père Noël, cette illustre figure populaire enflammant l'imagination de millions de chérubins de par le monde.
Mais la Finlande, ce n'est pas simplement de l'imaginaire, du rêve et des traditions, c'est aussi un pays doté d'un des systèmes éducatifs les plus performants au monde et qui compte à son actif un bon nombre de réussites dans divers secteurs technologiques modernes tels que la télécommunication (Nokia), les systèmes de transport guidés (Kone) ou le design (Marimekko). Un pays qui a également connu pléthore de succès dans le domaine du sport automobile (des noms aussi ronflants que Räikkonen, Hakkinen, Rosberg, Vatanen, Grönholm, Kankkunen ou Mäkinen ne vous sont certainement pas inconnus) et du lancer de javelot (Siitonen, Sinersaari, Parviainen, Lillak, ou encore Pitkämäki connu pour avoir - bien involontairement - embroché Salim Sdiri au Golden Gala de Rome en 2007), et se distingue en terme de culture artistique et notamment musicale.
Le compositeur classique Jean Sibelius est notamment l'auteur de "Finlandia" qui apparaît sur le générique de "Die Hard 2" ("58 Minutes Pour Vivre"), et l'école supérieure de musique portant son nom (Académie Sibelius), l'unique en Finlande, est l'une des plus prestigieuses en Europe. La Finlande c'est aussi l'autre pays du rock et du metal, en témoignent les succès planétaires du metal symphonique de Nightwish et du "Hard Rock Hallelujah" de Lordi, lauréat surprise de l'Eurovision 2006 au grand dam de nos Michel Drucker et Claudy Siar nationaux (dont on n'oubliera jamais les commentaires désobligeants). Sans compter les nombreuses formations œuvrant dans des styles divers et variés, ayant réussi à se faire un nom sur cette scène surchargée : Apocalyptica (dont les musiciens sortent de l'Académie Sibelius), HIM, Stratovarius, Sonata Arctica, The 69 Eyes, The Rasmus, Children Of Bodom, Gloomy Grim, Horna, Impaled Nazarene, Beherit, Archgoat
Un rayonnement international indéniable, et remarquable compte tenu de la petite taille du pays en question, mais qui demeure bien peu mis en valeur, les finlandais n'étant pas le genre à se gargariser de leurs triomphes. Mais la modernité de la Finlande et ses talents artistiques mondialement reconnus ne cachent qu'à grand peine les maux dont souffre son peuple, la part de ténèbres qui le ronge.
En effet, la réputation de la Finlande dans le domaine du suicide n'est plus à faire, tenant régulièrement le haut du pavé dans les statistiques mondiales, quand elle ne décroche pas la palme, et cela même après le tournant de 1990 qui a constitué la fin de la douloureuse période d'urbanisation et d'essor économique, et le lancement de nombreuses campagnes d'information et de prévention auprès des jeunes qui en sont les principales victimes. Contrairement à l'idée reçue chère à nos contrées où la population ne jure que par un soleil éblouissant et des températures supérieures à 30°C, les critères du froid, de la nuit et de l'isolement n'y sont pour rien (ou alors pour très peu). Pour preuve : les voisins scandinaves et russes "souffrant" autant de ces conditions difficiles ne présentent pas des statistiques aussi affolantes. Les causes sont plutôt à chercher du côté d'un malaise social profond, avec en première ligne le chômage, resté longtemps très élevé (surtout chez les jeunes, mais fort heureusement en franche et régulière baisse depuis le début des années 2000), et aussi et surtout l'alcool, LE mal du peuple finlandais. Une véritable culture de l'ivresse, une quête sans borne qui, bien plus qu'un remède à une prétendue mélancolie, est véritablement inscrite dans le patrimoine national. Omniprésent dans la vie, les discussions, le quotidien des finlandais, l'alcool fait des ravages et les statistiques, implacables, ne trompent pas : une grande majorité des suicidés sont passés à l'acte dans un état d'ébriété ahurissant. Un fléau dont les finlandais eux-mêmes ont tendance à minimiser l'impact et l'ampleur, confortés en cela par certaines de leurs personnalités les plus célèbres : Sibelius lui-même était un indécrottable alcoolique, et les musiciens metalleux finlandais, dont vous lisez les interviews dans vos mags et webzines préférés, se reconnaissent eux-mêmes comme buveurs chroniques et invétérés capables de battre n'importe qui à ce jeu-là. D'ailleurs, à un degré moindre mais cependant révélateur, qui mieux que Kimi Räikkonen est capable d'ingurgiter une large rasade de champagne sur le podium après une longue course de F1 éreintante ? En bref, l'alcool EST l'identité finlandaise, et ils en sont fiers. D'ailleurs, c'est bien là l'une des rares performances maison dont ils aiment se vanter.
La Finlande, un pays en proie à un très extrême contraste ombre / lumière, tiraillé entre splendeur et décadence, et il n'est donc pas surprenant qu'un style tel que le Funeral Doom y ait vu le jour. Un style basé sur un subtil mélange entre Doom / Death archi-lent et dépouillé, et musique ambiante éthérée, dont la dualité n'est autre que le reflet de la société finlandaise, son berceau. Un style autant capable de creuser sa tombe six pieds sous terre que de s'élever vers des hauteurs stratosphériques, représentant aussi bien l'anéantissement que la magnificence, et que nous aurons tout le temps de vous décrire au travers de cette sélection constituant le premier chapitre de notre traité sur le Doom, en vous en présentant les pierres angulaires, ses pères fondateurs que sont les finlandais de Thergothon et Skepticism apparus au tout début des années 90, ainsi que quelques représentants incontournables de cette scène qui s'est depuis internationalisée, montrant que cette ambivalence n'est pas la propriété exclusive des finlandais, même s'ils en demeurent, sinon les champions, du moins un sérieux client.

THERGOTHON - Stream from the Heavens (1994)

1994 : une année marquée à jamais par la sortie de "Stream from the Heavens", souvent qualifié "d'album le plus dépressif de tous les temps" et qui représenta l'éclosion d'une nouvelle ramification du Doom : le Funeral. Œuvre d'un trio finlandais sévissant sous le nom de Thergothon, qui ne s'attendait certainement pas à acquérir un jour un quelconque statut culte (tout au plus avaient-ils l'ambition de se démarquer du Doom / Death tel que pratiqué à l'époque par Winter notamment, c'est-à-dire très monolithique, dense et écrasant) et à nourrir l'inspiration de tant de groupes (leurs compatriotes de Skepticism et Shape Of Despair en premier lieu), "Stream from the Heavens" entraîne le Doom vers des contrées jusqu'alors inexplorées.
Thergothon creuse inlassablement sa tombe au rythme des impulsions prodiguées par les riffs torturés et les battements d'une lenteur accablante, proprement inhumaine, mais se pare simultanément d'une approche très atmosphérique : les guitares présentent une consistance moins lourde, plus rachitique, des leads mélodiques s'insinuent, la basse est absente, le mixage dépouillé, aéré, et les nappes de synthés éthérées, parfois accompagnées d'arpèges cristallins, s'élèvent telle l'âme d'un défunt vers la voûte céleste. Une dualité qui se retrouve également au niveau du chant, les grognements Death, terrifiants de par leurs relents glaireux et terreux, étant contrebalancés par des mélopées de chant clair solennelles. L'appellation "Funeral" qui viendra plus tard n'est donc point usurpée.
Thergothon n'aura fait qu'un bref passage en notre monde, trois petites années d'existence, un petit tour et puis s'en va … laissant au passage un album, un seul album, mais quel album : une référence, plutôt mal accueillie à son époque, car certainement trop extrême et trop originale, mais dont l'impact sur la scène Doom finira par être reconnu quelques années après.
Un impact qui avait été annoncé par la démo "Fhtagn-Nagh Yog-Sothoth" ayant déjà fait trembler l'underground au tout début des années 90 en présentant un embryon encore très primitif de ce qu'allait être "Stream from the Heavens" : une pierre angulaire qui eut bien du mal à voir le jour (quasiment deux années se sont écoulées entre son enregistrement et sa publication), pour cause de soucis de label et de split du groupe.
Aujourd'hui, Thergothon n'est plus, mais son esprit continue à vivre au travers de cette œuvre éternelle. Ne dit-on pas que les légendes ne meurent jamais ?

SKEPTICISM - Stormcrowfleet (1995)

Le "Stormcrowfleet" de Skepticism est un des actes fondateurs du Funeral Doom au même titre que le "Stream from the Heavens" de Thergothon. Pourtant il fait figure d'outsider dans la discographie des finlandais.
Ce premier album est une mixture savante entre lourdeur poisse et paysages éthérés. Doté d’une pochette énigmatique, la musique de Skepticism l’est tout autant. Alors que les plaintes de Thergothon semblent émaner d’un corps décharné en phase de putréfaction avancée, celles de Skepticism sont celles de l’âme de ce même corps qui errerait dans les neufs cercles de l'Enfer de Dante. Si les parties atmosphériques semblent avoir pris plus d'emprise sur les réalisations récentes de Skepticism, "Stormcrowfleet" reste l’exception qui confirme la règle. Guitares ténues et reléguées au second plan, dès les premières notes de "Sing of a Storm", Skepticism affiche sa différence. On pourrait croire que l'absence d'une basse au profit de claviers religio-mystiques quasi omniprésents pourrait constituer un handicap incroyable pour dégager la puissance et la lourdeur, le Doom, nécessaires à un disque de ce genre et pourtant il n’en est rien. Évidemment, le growl de Matti n’est pas étranger à ce résultat mais plus que des qualités individuelles à inspecter et analyser sous toutes les coutures, il faut prendre la musique de "Stormcrowfleet" comme un ensemble cohérent. Une telle osmose entre les musiciens, une telle volonté d’exprimer son désarroi par la musique ne pouvaient qu'aboutir à la pureté quasi mystique de ce premier opus.
Nombreux sont ceux qui regrettent la tournure que prirent les finlandais pour leurs futures prestations et parmi ceux-ci certains vont même jusqu’à considérer que Skepticism n’est le groupe que d’un seul album. Je ne serai pas aussi catégorique, mais force est de constater l’impact de cet album, à l’instar de leurs compères de Thergothon, sur l’ensemble de la scène Funeral Doom qui, après avoir posé ses deux fondements majeurs, ouvrait la voie royale pour la maturation du genre. Comme un "Altar of Madness" ou un "Kill ‘Em All" en leurs temps, Stormcrowfleet est la deuxième entité de cet aigle à deux têtes qui encore aujourd’hui survole allégrement et couve de son regard toute sa progéniture qui la respecte et la loue pour les siècles et des siècles.

ESOTERIC - The Pernicious Enigma (1997)

Esoteric. The Pernicious Enigma. Ces quelques mots devraient normalement être suffisants pour vous décrire la musique du groupe britannique. Avec quelques rudiments d’anglais, ils vous permettent de saisir ce qu’est l’essence même de ce que vous retrouverez au fil de ce double album. Ajoutez à cela, la pochette aussi démonstratrice qu’énigmatique et le tour devrait être joué. Ces quatre mots et cette image, même s’ils résument à la perfection le contenu de ce disque, vous me direz : c’est du foutage de gueule après tous les pavés qu’on vous fait ingurgiter. Votre dévoué serviteur va donc tenter d'en retirer la substantifique moelle en évitant tout risque de contamination inutile et superflue.
Formation anglaise qui voit le jour en 1992, Esoteric s’est fait un nom dans le monde discret du Funeral Doom. Seulement, leur son si personnel et leur approche de la musique encore plus personnelle les mets quelque peu à part dans cet univers où les cadors que sont Skepticism ou Shape Of Despair règnent en maitre. "The Pernicious Enigma" est le second méfait full-length des anglais et certainement, quoique certains fans diront le contraire, leur album le plus abouti et le plus ambitieux. La pièce de maitre dans une discographie qui compte désormais quatre sorties majeures. Si Esoteric est si compliqué à classer c’est surtout que les britanniques ne se limitent pas aux seules strictes sphères du genre. Ils n’hésitent pas à franchir certaines frontières, qu’elles soient de genre justement ou qu’elles soient musicales.
Par ambitieux, on peut également dire "ardu". Car il est en effet ardu de s'imprégner de leur musique. C'est un amateur averti de Funeral qui vous le dit. Tout d'abord, la durée de l’album qui pointe à deux heures pourra en rebuter certains. On le sait, le Funeral aime les morceaux fleuves et alambiqués mais Esoteric pousse le bouchon encore plus loin que ses collègues. Et puis cette voix ! Force est de constater que ce chant qui alterne entre un growl peu conventionnel et le chant hurlé et caverneux est un des obstacles majeurs à l’illumination. Illumination ? Le mot est certainement antinomique tant justement cette illumination correspond à une descente abyssale où progressivement toute lumière est vouée à disparaitre. Si vous passez le cap de cette voix atypique renforcée par moult effets de reverb' ou d’écho, le maitre des lieux vous laissera entrevoir toute la richesse de son mal-être. Certes, quelques titres dont "At War with the Race" viennent vous remuer avec plus de vigueur vos tripes engourdies en pratiquant un Death Metal plus rapide mais toujours aussi sombre mais ce ne sont qu'interludes dans un monde de désespoir et de lourdeurs. Sur cet album, Esoteric s’entoure de pas moins de trois guitaristes et ce "surnombre" permet de créer des nappes et des atmosphères uniques, parfois même qualifiées de psychédéliques. Six musiciens qui maitrisent leur art à la perfection et qui assemblent note après note la trame d’un néant sous narcotiques ; nombreux étant ceux qui affirment qu’Esoteric est certainement le groupe le plus dépressif qui soit dans la sphère Funeral. Et probablement à juste titre.
L’écoute de cet album est tout autant délicieuse que pénible. Autant dire qu’il faut avoir des nerfs à toute épreuve car c’est typiquement un album anxiogène qui ne peut être survolé. L’immersion se fait dans la douleur et la joie comme si Pinhead et ses Cénobites étaient les membres véritables du groupe. Le plaisir et/ou la peine procurés qu’on en retire sont proportionnellement mesurables aux deux heures intenses qui vont s’écouler. Vous serez avertis.

SHAPE OF DESPAIR - Shades of ... (2000)

Composé de musiciens issus de diverses formations finlandaises plus ou moins reconnues (Rapture, Thy Serpent, Finntroll ou encore Amorphis, entre autres), le sextet Shape Of Despair marque, avec son premier album "Shades Of…" sorti chez Spikefarm Records, le début de l'essor du Funeral Doom, ainsi que son ouverture vers des sphères plus mélodiques. Un genre qui fut jusque-là la propriété d'une toute petite poignée de groupes tels que Thergothon (R.I.P.), Skepticism, Mournful Congregation, Esoteric, et dont le label Firebox (finlandais aussi, comme c'est bizarre …) fera peu après son fond de commerce avec les My Shameful, Pantheïst, Until Death Overtakes Me (UDOM), Tyranny et compagnie …
Enregistré en plein cœur de l'hiver 1999 / 2000, "Shades Of …" est de loin l'album le plus typiquement Funeral Doom de Shape Of Despair, le plus proche des racines du style tout en l'amenant vers des contrées toujours plus atmosphériques, sans atteindre la teneur d'un UDOM mais on sent clairement que Jarno Salomaa, le leader de la formation, est un grand adepte des travaux ambiants de Brian Eno et des productions Cold Meat Industry (Raison d'Etre et Desiderii Marginis en première ligne). Ce premier album, constitué aux 4/5 de morceaux issus de la démo "Alone in the Mist" (composée alors que le groupe s'appelait encore Raven) réenregistrés pour l'occasion, place les nappes de synthés planantes, les leads mélodiques et les guitares claires très en avant, créant ainsi une atmosphère paisible, empreinte d'une profonde beauté, renforcée par l'usage d'une flûte traversière entonnant de douces mélodies, donnant l'impression de flotter sans attache dans de mystérieuses et incommensurables limbes, au rythme hypnotique et quasi-immuable imposé par la batterie. Les guitares électriques, répétant les mêmes notes à l'infini, sans véritable riff, sont plus lancinantes qu'écrasantes. Reléguées en toile de fond, elles montrent bien que l'heure est désormais à l'apaisement et à la plénitude. "Shades Of…" peut donc être interprété comme une vision du Purgatoire duquel l'âme ressort purifiée de ses maux, la douleur et les tourments ne représentant plus qu'un lointain souvenir. Impression renforcée par la dualité des voix, le growl abyssal de Tony Mäensivu évoquant les grondements de l'Enfer, tandis que les vocalises de Nathalie Safrosskin (depuis devenue Madame Koskinen), si irréelles qu'on les croirait presque sorties d'un synthé, symbolisant l'appel des anges du Paradis.
Deux nouveaux albums ("Angles of Distress" - 2001, "Illusion's Play" - 2004) et un maxi éponyme (2005) ont marqué la progressive sortie de l'anonymat des membres de Shape Of Despair ainsi que l'évolution du groupe vers une musique plus accessible, se détachant de ses racines Funeral pour proposer un Doom / Death plus classique et accessible, remplaçant la flûte par un violon plus habituel et Toni Mäensivu par Pasi Koskinen (dont le growl, tout en étant de bonne facture, demeure moins brut et primitif que celui de son prédécesseur), tout en conservant son aspect contemplatif au travers de nombreuses parties purement ambiantes. La longue pénurie de nouvelles concrètes qui s'en est ensuivie, jusqu'à la toute récente sortie de l'EP "Written in my Scars", a fait que l'on se demandait bien si Shape Of Despair n'avait pas fini par s'évanouir dans cette frontière entre l'ici-bas et l'au-delà. En tous cas, si le Purgatoire ressemble à "Shades Of …", moi je signe tout de suite … et vous ?

EVOKEN - Quietus (2001)

Parmi la nouvelle génération de doomsters américains qui pointent leur mal de vivre au milieu des années 90, on note une franche tendance à emboîter le pas très sombre du grand frère Winter plutôt que celui du traditionnel St Vitus. La course à la lenteur, si on peut l'exprimer ainsi, voit naître quelques talents notoires: on pense à Novembers Doom, Morgion ... et Evoken. Ce dernier, après avoir lâché lourdement un premier bloc granitique à l'invite aguicheuse ("Embrace the Emptiness"), présente en 2001 ce que l'on peut considérer comme son chef d'œuvre : "Quietus".
L'opus n'est pas à proprement parler révolutionnaire, il n'est ni le plus lent, ni le plus lourd, ni le plus ultime dans tous les sens que peut prendre ce terme quand on parle de Doom. Son approche se situe aux confins du Funeral Doom et du Doom / Death, dans ce no man's land un peu confus aux bornes incertaines. D'ailleurs là encore on n'est pas tout à fait dans le vrai. Sa lourdeur monolithique, bien réelle par le riffing plombé, la frappe langoureuse et le growl d'outre-tombe, parvient à se mouvoir avec grâce et légèreté, et ce sans recourir à des substances illicites. Incohérent tout cela ? Pas quand on manie cette musique avec autant de talent: les claviers d'une finesse exquise viennent dessiner de jolies arabesques dans cette pierre froide, l'émotion de deux notes de piano ou d'un effluve de violon un souffle de beauté éthérée. On peut donc affubler Evoken d'une troisième étiquette, atmosphérique celle-ci, ce qui n'est pas forcément l'apanage du Funeral Doom comme on l'entend traditionnellement. C'est précisément là où réside le coup de force. Faire pénétrer cette petite lueur émotionnelle dans le paysage extrême du Doom funéraire qui se veut normalement sans espoir. En jouant sur ce très subtil et léger clair dans un océan d'obscur, "Quietus" envoûte, séduit, et aspire tout à fait son auditoire...outre-tombe, sans que celui-ci n'ait pu résister à ce chant de sirènes bien sinistres. Même si les quelques soixante minutes du disque s'avèrent très homogènes et sans temps faibles, on peut souligner quelques moments particulièrement magiques: l'ensorceleuse "In Pestilence, Burning", son piano superbe et son break final à couper le souffle, ou encore la grosse demi-heure qui voit s'enchaîner les superbes "Where Ghosts Fall Silent" / "Quietus" / "Embrace the Emptiness", triptyque poignant mêlant désespoir, mélancolie et esthétisme.
Pas de révolution dans "Quietus" donc, mais un univers hors du temps et de l'espace, immersif en diable et addictif au possible, qui peut à la fois être considéré comme un incontournable et une porte d'entrée de choix dans l'univers du Funeral Doom.

PANTHEÏST - O Solitude (2003)

Dieu est tout, et tout est Dieu … tel est le principe de base de la doctrine du panthéisme marquant de son empreinte liturgique le projet musical que Kostas Panagiotou fonda quelques temps après avoir quitté sa Grèce natale pour rejoindre sa Belgique d’adoption temporaire. Un principe qui, explicité tel quel, brut de décoffrage, peut sembler a priori déconcertant dans notre sphère metallique rompue aux assauts blasphématoires et aux offensives antireligieuses. Et pourtant, si l’on considère plus particulièrement le Doom, territoire de prédication du sieur Kostas, n’est-ce pas là un genre intimement lié au sacré de par ses thématiques souvent à forte connotation religieuse, Candlemass et Tristitia n’étant que deux exemples parmi tant d’autres ? … Bien sûr, il ne faut pas s'attendre, chez les formations précitées tout comme chez Pantheïst, à voir éclater un florilège d'illuminations béates et plus crétines … pardon, chrétiennes les unes que les autres. Ne nous y trompons pas, on parle bien de Doom ici ! Qu'on se le dise, nom di diou ! Le ton est donc à la mise en exergue de la douleur, notion inhérente à toute religion par ailleurs.
Dans le cas de Pantheïst, celle-ci s'exprime en un sublime ouvrage du nom de "O Solitude", tramé en filigranes de la vergeure du Dieu Skepticism, partageant sa propension à l'usage d'un orgue solennel tout en offrant une relecture personnelle. Pantheïst évoque davantage la veille chapelle monacale que l'effroyable enfer du monstre finlandais. L'heure est au repli sur soi, à la réflexion, aux doutes, à la remise en cause. Point trop de monolithisme dans l'instrumentation où les sentiments humains déferlent tandis que les compositions s'arborisent en une architecture fine, en grande partie délestée de l'austérité propre à sa divinité inspiratrice. "O Solitude" est un long chemin de croix déroulé sur un tempo de martyre, heurté d'instants de révolte où Nicolas Tambuyzer fait trembler la terre de ses charges heavy pachydermiques (se fendant même d'un solo endiablé sur le dernier mouvement de "Time"), avivé de décharges de colère lorsque Oscar Strik réserve quelques pertinents haussements de rythme allant jusqu'au blast (le final du morceau-titre et de "Time"). "O Solitude" est un long calvaire parsemé de breaks acoustiques intimistes et d'éblouissants passages de Darkwave Néoclassique (piano, violoncelle) propices au recueillement, stigmates persistants de l'ère prè-"1000 Years", de l'aube de Pantheïst où Kostas exerçait en solo. Abattement et espérance se succèdent, la souffrance se dispute à l'ataraxie, mais l'aura funeste demeure tenace, omniprésente… La marque de Pantheïst qui se verra magnifiée sur le grandiose "Amartia" (2005), concept-album basé sur les 7 péchés capitaux. La douleur est éternelle, mais le relief imprimé à la morosité ambiante, tout comme la diversité des vocaux (growl retentissant, mélopées de chant clair, soupirs, spoken words), rend néanmoins les travaux de Pantheïst relativement plus accessibles que bon nombre de ceux réalisés par ses congénères du Funeral Doom.
Des mastodontes qui se trouvèrent pour la plupart en sommeil durant les premières années du nouveau millénaire ayant vu la maison Firebox s'échiner à extirper ce genre musical de l'underground dans lequel il était profondément enterré. L'exhumation combinée de Pantheïst et Until Death Overtakes Me en 2003 (qui s'unissent d'ailleurs sur un étonnant "Envy Us" reprenant des thèmes de Chopin et Beethoven) firent à ce moment précis de la Belgique l'autre pays du Funeral Doom.

UNTIL DEATH OVERTAKES ME - Prelude to Monolith (2003)

Il est de ces artistes qui ne peuvent trouver la plénitude qu'en travaillant seuls dans leur coin, créant et menant de multiples projets parallèles afin de déverser leur trop plein de créativité. Le belge Stijn Van Cauter en fait partie : presque une vingtaine de projets menés de front, dont une bonne moitié centrés autour de sa seule et unique personne, avec des penchants musicaux restant essentiellement axés sur le Doom et la musique Ambiante, tout en présentant diverses sensibilités pouvant parfois tirer vers l'Indus, le Black ou le Noise. Until Death Overtakes Me (qu'on abréviera UDOM pour des raisons évidentes de commodité) est son projet central, celui par lequel tout a commencé et dont moult expérimentations ont donné lieu à moult séquelles. C'est également son projet le plus connu, grâce notamment à sa signature chez Firebox (la machine à produire du Funeral Doom) à l'occasion de la sortie de "Prelude to Monolith" en 2003. Du Funeral Doom, UDOM en a conservé sa propension atmosphérique et sa dualité noirceur / beauté, mais pour autant le terme demeure assez réducteur pour décrire véritablement l'essence de la musique du one-man band. Après deux albums ("Symphony I - Deep Dark Red" et "Symphony II - Absence of Life") sortis en 2001 sur le propre label de S. Van Cauter (NULLL Records) et caractérisés par un style lorgnant fortement vers un Ambiant mélancolique et éthéré où les synthés règnent en maître, habité par des influences néo-classiques parfois proches de la Gothic / Darkwave façon Arcana, le tout évoluant dans un calme funéraire rythmé par le battement des timbales (pas de "true" batterie ici) dont le son lourd et grave confère une dimension profondément rituelle à l'art de UDOM, le bonhomme s'est ensuite lancé dans un concept ambitieux décliné en trois actes : le Monolithe, fortement inspiré de l'œuvre de Stanley Kubrick "2001, l'Odyssée de l'Espace", et dont "Prelude to Monolith" représente la porte d'entrée vers le chemin qui mène à ce si étrange édifice.
Cet album, tout comme la première apparition du Monolithe dans l'œuvre cinématographique, symbolise l'évolution. L'évolution de UDOM vers un registre encore plus ambiant, toujours plus ambiant, compositions longues et minimalistes à l'appui, avec des guitares mises quasiment en sourdine et ne jouant désormais plus de riffs mais de simples notes étirées à l'infini. L'évolution vers un Ambiant / Drone où les harmonies nous transportent loin, très loin dans l'infinité des sphères cosmiques, emportés par des courants célestes, dérivant dans une autre dimension empreinte de majesté et de mystère, que les growls profonds et quasi-inintelligibles de S. Van Cauter parent d'une aura ténébreuse, renforcée par la magnifique reprise de la "Marche Funèbre" de Chopin, toute en orgue, piano et nappes éthérées, clôturant ce "Prelude to Monolith".
Une marche funèbre vers le chemin que symbolise "Interludium I - Funeral Path" (2004), le second acte, présentant l'intégralité de ladite reprise, ainsi qu'une version totalement ambiante de "Funeral Dance", un morceau qui apparaîtra réarrangé dans le troisième et dernier acte "Symphony III - Monolith" (2006) représentant la découverte de ce monument de solitude, de vide et de néant tel que décrit par les paroles, tandis que la musique s'y fait plus lumineuse, se pare d'une lueur qui semble être de l'espoir … Une dualité que l'on retrouve également dans la scène finale de "2001, l'Odyssée de l'Espace", celle de la dernière émergence du monolithe, qui revêt alors un symbole de mort et de renaissance. Si l'on s'amuse à effectuer un nouveau parallèle entre l'œuvre cinématographique de Kubrick et l'œuvre musicale de Van Cauter, "Symphony III" serait le signe de la renaissance de UDOM ? … La renaissance en une nouvelle expression musicale ? Un nouveau thème ? … Qui sait ? … La réponse est peut-être déjà apparue à ceux qui ont pu poser une oreille attentive au dernier-né "Days Without Hope" (2009). Quoi qu'il en soit, les deux œuvres en question ont en commun de regorger d'allégories complexes et de significations mystiques, laissant tout un champ d'interprétation et de réflexion à ceux qui y poseront les yeux et les oreilles, avec ce diable de monolithe qui pose au final beaucoup plus de questions qu'il ne fournit de réponses …

MOURNFUL CONGREGATION - The Monad of Creation (2005)

Je me méfie des listes comme de la peste. Elles sont souvent influencées par les dernières sorties et comme sur Internet c’est difficile de connaitre vraiment un "utilisateur", on ne sait jamais si on lit quelque chose qui témoigne d'un ressenti honnête, si le mec est un trend qui fait dans le "bon goût du moment" ou si au contraire il tombe dans la über-attitude. En voyant "The Monad of Creation" de Mournful Congregation depuis sa sortie caracoler en tête des tous meilleurs groupes de Funeral Doom aux côtés de groupes comme Worship qui n’ont rien à y faire, il n'en fallait pas plus pour éveiller ma très grande méfiance. Néanmoins, on ne doit jamais rien critiquer tant qu'on ne connait pas et c'est en partant de ce principe que je posais il y a trois ans une oreille peu attentive sur le deuxième album des Australiens sans trop finalement savoir à quoi m’attendre.
Inspiration Ô combien salvatrice ! Dans la fange des groupes dont la seule ambition est de sortir un disque sans la moindre émotion (pourvu qu’il sorte signé par un label ukrainien ou biélorusse, peu importe), le joyau qu’est "The Monad of Creation" aveugle par sa beauté presque ultime. Si on y pense bien, les diverses analogies qu’on fait le plus souvent sur le Funeral Doom évoquent des charniers en décomposition, des paysages lunaires et désolés, des âmes torturées qui cherchent un repos incertain… Pourtant, étymologiquement parlant, c’est supposé être une "musique d’enterrement". Les Aussies de Mournful Congregation ont bien compris cette subtile nuance et font de "The Monad of Creation" la bande annonce parfaite d’un enterrement et non de celle des affres de la mort. On suit sur quatre titres cette procession qui mène le cercueil de l’église au caveau, on entend certes les lamentations des proches mais aussi on se remémore les bons moments que l’on a passés avec le défunt. Tout n'est donc pas que tristesse et désespoir mais également beauté et sérénité. L'instrumentation magnifique toute en grâce, en profondeur, sans jamais tomber dans le Grand-Guignol mais toujours en restant sobre apporte une maturité dont peu de groupes du genre peuvent témoigner. Les guitares, très proches du son du early-Anathema, sont la plainte qui monte crescendo, accompagnées de la batterie qui ponctue la marche funèbre et ce growl qui tient autant de la tombe que de la lamentation. Après tout, un enterrement est un évènement qui se doit de rester digne si on a un tant soit peu de respect pour le défunt.
Du respect pour cet album, impossible d’en manquer. Qui plus est, pour un disque de Funeral Doom, il s’apprivoise relativement facilement et vous offre à chaque nouvelle écoute sa grande richesse en offrande. Ne faites donc pas comme moi en le snobant bêtement et ne perdez pas de temps à chercher la nouvelle tendance venue d'Azerbaïdjan ou d'Estonie quand une telle œuvre n'attend que d'être partagée.

TYRANNY - Tides of Awakening (2005)

Dans la famille des groupes de Funeral Doom lancés par l'écurie Firebox (qui a depuis transféré ce genre musical vers sa subdivision Firedoom), je demande Tyranny, soit le mystérieux duo Mäkelä / Lindqvist qui sévit également sous le nom de Wormphlegm dans un registre plus sale et cru. Tyranny, non content de confirmer la suprématie finlandaise en termes de Funeral Doom, marque un retour aux sources du style : sans se départir d'un aspect atmosphérique très prononcé, la charpente musicale revient vers une forme Doom / Death plus imposante, à grand renfort de riffs écrasants, à la texture épaisse et crasseuse, et de batterie pesante, égrenant ses coups de massue, réminiscences Winter / Disembowelment de l'ère "pré-Funeral".
Après l'enregistrement de "Bleak Vistae" (2004), une démo 3 titres (pour 45 minutes ! ) leur ayant ouvert les portes de Firebox (le label s'étant ensuite empressé de l'éditer sous format CD, présentant ainsi au monde ces titres donnant l'impression de dériver, immergé dans un cloaque nauséabond peuplé de cadavres fangeux), Tyranny s'est lancé avec son seul et unique full-length à ce jour "Tides of Awakening" (2005) dans un concept lovecraftien (comme Thergothon le fit pour sa première démo), qui plus est le plus célèbre : l'Appel de Cthulhu, l'album en question ayant été conçu comme une adaptation de la nouvelle de l'écrivain américain. Un pari très ambitieux, mais une réussite totale ! … Car qui mieux que Tyranny pouvait en offrir une transcription musicale aussi fidèle, évoquant toute la puissance destructrice de cette gigantesque créature, cette entité millénaire venue d'outre-espace, sommeillant en R'lyeh la morte, sa demeure, la cité cyclopéenne enfouie dans les abysses océaniques, attendant son réveil qui sonnera le glas de l'humanité. L'ossature guitare / batterie avance à un rythme lent mais implacable, ne laissant derrière elle que ruines, désolation et carcasses fumantes. Une ossature monumentale, titanesque, que les synthés, en nappes omniprésentes, parent d'une aura à la fois sinistre et surnaturelle, renforcée par la voix gutturale, profonde, inhumaine et dont les effets de réverb’ enveloppent des compositions ne laissant aucun instant de répit, depuis les premières résonance tribales des toms / cymbales de "Coalescent of the Inhumane Awareness" jusqu'au final "Entreaties to the Primaeval Chaos", tout en Dark Ambient apocalyptique et incantatoire mettant en scène les remous des profondeurs océaniques … le réveil de l'abomination … le réveil d'une force phénoménale, dépassant l'entendement de l'être humain. Aucun sursis avec ce mastodonte qu'est "Tides of Awakening", assénant sans relâche sa colère impitoyable, si ce n'est quelques arpèges clairs à la fin de "Upon the War-Torn Shape of Cold Earth", représentant un maigre espoir de survie, bien vite annihilé. Une œuvre hors du commun, empreinte d'une forte dimension rituelle, celle des adorateurs du mythe de Cthulhu, faisant vivre sa mémoire à travers les âges jusqu'au jour de son réveil, le jour où s'abattra sa puissance colossale. En attendant, la créature Tyranny a balancé un sacré pavé avec ce "Tides of Awakening". La créature s'en est depuis retournée en son antre, mais qui sait si elle ne se réveillera pas à nouveau, un beau jour …
Ph'nglui mglw'nafh Tyranny R'lyeh wgah'nagl fhtagn

AHAB - The Call of the Wretched Sea (2006)

Le Doom est un genre relativement obscur. Souvent le néophyte aura peine à citer le moindre groupe et souvent on a droit à "Black Sabbath, tu mets ça dans le Doom ?". Alors que d’autres genres extrêmes comme le Black Metal ou le Death Metal, pourtant peu faciles d’accès, génèrent des cohortes de fanboys, le Doom, impassible devant les modes, semble être épargné par la teen attitude.
Néanmoins, c’était sans compter sur Ahab. Le groupe allemand sortait à peine son premier album qu’il était déjà porté aux nues. Etonnant surtout si on considère que le Funeral Doom et a fortiori la musique de Ahab est dans le Doom ce qui se fait de plus extrême et de moins mainstream. Pourtant, si l'on considère quelques instants certains chiffres, le succès de Ahab est assez fulgurant. Prenez le grand mal cornu qu'est last.fm, Skepticism y a tout juste 19000 auditeurs, Thergothon même pas 10000 et Ahab caracole en tête du hit parade Funeral Doom avec 22000 auditeurs, et encore n’ont-ils que deux albums à leur actif. Alors ? Quelles sont les raisons de ce succès, de cette popularité alors que le groupe a à peine 5 ans d’existence ? Certainement pas à cause d’un label formidable, les modestes Napalm Records faisant figure de petit poucet dans le monde du Metal face aux écuries que sont Nuclear Blast Records ou encore Century Media. Je doute également que ce soit leur musique qui ait fait d’eux les Tokyo Hotel du Funeral Doom. On va en reparler, mais musicalement Ahab ne fait aucune concession à la trend attitude.
A mon sens, le parti pris délibéré de Ahab de vouloir casser les codes "lexicaux" du genre explique en partie l’intérêt que nombre de fans ont pu leur porter. Ici, il n’est plus question de misère, de sentiments funestes et autres doomitudes qui exploitent le désespoir humain, mais tout simplement de conter la grande aventure de Moby Dick. Dans le roman de Melville, Ahab est ce capitaine tyrannique dont la seule obsession est de tuer la célèbre baleine : Moby Dick. Alors ok, sur papier, ça peut prêter à rire ou tout du moins à sourire, mais lorsque le quatuor allemand retranscrit ça en musique, inutile de vous dire qu’on n'a plus du tout à l'esprit une quelconque pub pour Galak avec Yann, Marina et Oum le dauphin. Nappés de claviers qui, pour le coup, font assez Skepticism, les morceaux sont, par rapport à des mastodontes du Funeral comme Catacombs ou Hierophant, incroyablement complexes et musicalement, malgré leur extrême lenteur, très riches. Les guitares sont très épurées et presque chaleureuses par moment sur les leads et même si (encore !) le mix a délaissé la basse, la batterie est incroyablement complexe et fait taire les mauvaises langues qui s’imaginent que pour jouer du Funeral, un coup de cymbale toutes les trois minutes et un de caisse claire toutes les cinq suffisent amplement. C’est assurément aussi une des clés du succès d'Ahab qui clairement a choisi le Funeral par choix et non par défaut parce qu'ils n'auraient pas été assez doués techniquement pour faire du Brutal Death ou je ne sais quoi.
La mer selon Ahab est visqueuse et dangereuse. Pleine de créatures prêtes à en découdre avec les éléments et avec vous. Sombre et pernicieuse comme la musique d'Ahab, elle fait de vous sa proie lentement mais sûrement. Les titres, dont la moyenne tourne autour de 10 minutes, mettent en place des scènes à la chronologie proche de celle du roman d'Herman Melville. Si quelquefois certaines parties de guitares semblent éthérées et légères, presque seventies dans leur réalisation, c’est souvent le rayon de soleil qui précède la grande chasse où nombre de marins périront corps et âmes. Ahab distille sa musique de manière implacable vous happant de la surface, tel le harpon, pour vous entrainer vers les abysses de l’océan.

URNA - Sepulcrum (2006)

Le Metal extrême est ainsi fait que l’on croit toujours avoir entendu la chose la plus répugnante, la plus morbide, la plus monstrueuse qui soit. Le Funeral Doom, l’un de ses représentants les plus intraitables, est ainsi fait que l’on pense invariablement, et ce le plus sincèrement du monde, avoir atteint l’ultime bas-fond du gouffre le plus abyssal… Et pourtant, il arrive systématiquement un beau jour où vous aurez tôt fait de réviser votre jugement. Ce jour où se dessine une inquiétante silhouette encapuchonnée, où l’oiseau de mauvais augure drapé de sa souquenille noire d'obsidienne s’approche pour vous dévisager de son regard torve, vous proposant dans un rictus carnassier de descendre plus loin encore que le fin fond du bas-fond, de creuser vers la fosse aux macchabées baignant dans l’adipocire, d’exhumer l’asphyxiant et visqueux charnier. Creuser, encore et toujours, pour déceler le chemin menant à l’embouchure des entrailles brûlantes et sulfureuses de la Terre, abritant le monumental temple d'Urna, lieu des plus effroyables sévices et tortures. Découvrir l'Horreur pour finir par crever de terreur devant les visions d’abomination qu’elle impose.
Bien entendu, on savait que les transalpins RM & MZ n'étaient pas des plaisantins, en témoigne le Black Metal des catacombes qu'invoque Locus Mortis et qui représente les fondements originels du culte que nos deux haruspices vouent à la Mort. En soufflant cette exhalaison méphitique sur un Funeral Doom déjà hautement putride et souillé d'un Dark Ambient des plus angoissants et insalubres, Urna a élaboré avec "Sepulcrum" un rituel autant singulier que d'une immondicité proprement inouïe. Si dans cet effleurement aussi sommaire vous semblerait se dessiner le spectre des récents travaux de Nortt, l'exécution montre indiscutablement qu'il n'en est rien. Si le danois joue dans le registre de la vieille crypte perdue dans des hectares de brume, les italiens évoquent un mausolée infiniment plus imposant et maléfique.
Les claviers plantent un décor d'une abjection insoutenable, articulant des guitares aussi rachitiques que les carcasses humaines jonchant le sol du lieu maudit, aussi suffocantes que les déjections suintant des corps disloqués, mutilés sous les imprécations éructées par un growl cruel et sanguinaire. Le soubassement Funeral Doom / Ambient est poussé au paroxysme du malsain par un Black Metal dont Urna aura principalement retiré, au-delà d'épisodiques parties blastées (comme sur les redoutables "Ab Vita Morte (In Fidei Abitus)" et "Mors Imperatrix Mundi"), un son écorché et chaotique. Féroce et impitoyable, Urna sait aussi gagner en profondeur lors des phases les plus empreintes de mysticisme ("Fundamentum Et Factum", "Ego Sum" ou encore l'excellente reprise de "The Gate of Nanna", l'hymne occulte de Beherit), la profondeur du bassin fétide d'eau croupie où sont jetés les restes macabres. Au détour de ses intermèdes ambiants, Urna adopte une vision plus contemplative, la vision atroce des âmes des victimes s'élevant pour contempler le massacre … leur massacre.
Alliant une aura sépulcrale digne du grand Skepticism à la marche implacable du prodigieux Tyranny et à l'infamie du Black Metal, Urna a édicté une œuvre d'une rare intensité horrifique, à laquelle on ne pourrait reprocher qu'une seule (modeste) faille : l'usage de la boîte à rythmes. Manquant de résonance car programmée de manière trop sèche et mécanique, elle ampute l'œuvre d'une (légère) partie de son ampleur.
L'entité n'est pas invincible, mais presque…

ASUNDER - Works Will Come Undone (2006)

Le premier album d’Asunder n'avait vraiment rien de remarquable. "A Clarion Call" était certes un bon album de Doom / Death, mais rien qui en fasse un classique et ce malgré des dérives assez 70's relativement déjà marquées sur ce premier opus. C'est en accouchant de "Works Will Come Undone" qu'Asunder a véritablement enfanté une des toutes meilleures réalisations de la scène Funeral Doom.
Ralentissant le tempo encore plus que sur leur premier disque, les américains d'Oakland nous pondent un disque certes de Funeral Doom mais à l'inverse de bons nombres de formations issues de ce genre, il y a une fraicheur certaine à leur musique. Là où d'autres nous pondent des chefs-d’œuvre de noirceur plombée, Asunder délivre un ensemble musical très aéré et aérien, presque éthéré. Difficile d’y croire, surtout que l’album n’est constitué que de deux pistes. On pourrait être en droit de s’attendre à un monolithe impénétrable pourtant il n’en est rien. La structure presque progressive de ces deux morceaux et ces guitares au son clair n’y sont pas pour rien. On considère souvent la noirceur dans ce genre mais peu arrivent à procurer ce sentiment intense de grands espaces, certes désolés, mais empreints de richesses et de tristesse comme Asunder l'a fait sur cet opus magnus. Certes, on pourra regretter que le deuxième titre "Rite of Finality" soit constitué pour moitié par un long morceau très Ambient et Drone à la fois, mais il complète parfaitement cet album empreint d’une profonde nostalgie où soli de guitare presque d’un autre temps et autres violoncelles viennent ajouter à la beauté noire presque victorienne de ce disque intemporel et pour le coup presque à part dans ce genre.
Ma plus grande tristesse c’est que le projet Asunder ait été mis entre parenthèses au profit d'autres instances des divers musiciens. Tristesse et colère quand on mesure tout le talent mis à jour sur ce disque d'une rare intensité et tous les (dés)espoirs que l’on pouvait fonder sur ce groupe décidément à part.

WORSHIP - Dooom (2007)

Et voilà pour finir en beauté notre 13ème oraison funèbre, l'ultime, marquée par le signe de la malédiction... Mais pour couper court à tout superstitieux préjugé, sachez que celle-ci ne signifie en aucun cas la fin des Trublions. Que nos aficionados se rassurent, comme nos détracteurs peuvent continuer à se faire de la bile.
Voilà ce qui est à ce jour le seul et unique album de Worship, alors que le projet initialement franco-allemand est sur le point de fêter son … 13ème anniversaire ! Celui d'un nouveau drame ? … Car aujourd'hui encore plane sur Worship le suicide de son co-fondateur Max Vernier, alias Fucked-Up Mad Max, qui a laissé son compagnon d'infortune Daniel "The Doommonger" Pharos dans un désarroi tel qu'il mit sept longues années à s'en remettre, l'entité Worpship ne survivant qu'au travers d'une poignée de splits. Sept longues années pour s'entourer d'un nouveau line-up et achever ce fameux "Dooom", l'un des albums qui aura eu le plus de peine à voir le jour. Et de la peine, il en a revendre. Déjà, rien qu'à voir le titre … "Dooom" … Alors oui, ça peut paraître très fort d'Effexor, genre on a composé la quintessence du Doom, plus Doom que Doom, mais il faut reconnaître que l'ambiance y est particulièrement plombée, en faisant l'un des pavés les plus cafardeux de la planète Metal, rien de moins.
D'entrée, ce sont de purs riffs de mise à mort qui viennent nous faucher. Et ça continue sur un rythme de catatonique pendant 73 looooongues minutes aux grattes accordées plus bas que terre et à la progression constamment heurtée. La carcasse se traîne, rampe, trébuche. Le mourant tente de se remettre sur pied avant de se ramasser une énième fois pour bouffer le gravier et finir la gueule en charpie. La batterie se fait presque rare mais chaque percussion est un coup de massue l'envoyant mordre la poussière. Le growl caverneux, la distorsion nauséeuse et les arpèges graves sont autant de malaises morbides qui mortifient le bide, poussant le cadavre ambulant jusqu'au pont s'élevant au-dessus du précipice, l'ultime chute, salvatrice. Les passages atmosphériques réalisés à coups de chœurs et autres sons de cloches de mauvais augure (comme sur le terrible "Graveyard Horizon") plantent la stèle mortuaire. Les harmonies torturées y écrivent les pires maux dégoulinant du dégoût de vivre, tandis que le spectre du défunt se manifeste par une poignée de vocaux et râles fantomatiques avant d'achever "I Am the End - Crucifixion Part II" d'un poignant épilogue au piano. Enfin, le soin particulier apporté à l'élaboration de l'artwork et du digipack termine de célébrer le deuil en offrant au monument une magnifique couronne funéraire.
D'une lenteur inhumaine à faire passer Thergothon pour un sprinter de 100 mètres, d'une mélancolie douloureuse à faire chialer le plus affligé des Mournful Congregation, "Dooom" peut se voir comme une sorte de condensé du genre Funeral Doom auquel Worship apporte son immense lot de souffrance, dans son sens le plus atroce et suicidaire. "Dooom", c'est l'un des plus implacables déprimogènes jamais créé. "Dooom" c'est l'une des plus imposantes pierres tombales érigée dans le cimetière du Funeral Doom. "Dooom", c'est la convention obsèques qui ne laisse aucune chance. Vous êtes prévenus …

Article réalisé par vastAire et Vinterdrøm, avec la participation d'Eulmatt

2 commentaires:

Paindepice a dit…

Merci pour cette article.
Cela m'a permis de découvrir quelques groupes que je ne connaissais pas encore et d'approfondir ma connaissance en ce milieu que j'aime énormément.

Wotzenknecht a dit…

Très bon résumé du peuple finlandais et merci d'avoir évité les poncifs en vous fendant d'un peu de recherche, fait rare dans ce genre de webzine.

J'ajouterai dans le duo alcool-suicide un troisième apport très connecté : la violence conjugale (dans un sens ou dans l'autre), autre grand tabou du pays. Les partenaires sont généralement renfermés et gardent leurs rancoeurs jusqu'à qu'ils soient tous deux bien ivres, le reste s'ensuit.

Merveilleux pays tout de même, pour bien d'autres raisons. À chacun sa croix.