Bonsoir, très chers et aimables spectateurs du cabaret des Trve Blyon (ah je vois tout de même quelques spectatrices au fond). Soyez les bienvenus (et bienvenues donc) pour cette petite séquelle de spectacle que nous offre le grand prestidigitateur des mots et notes musicales, j'ai nommé le grand, l'incroyable, l'inénarrable Vaerohn, en après-première du fameux "Grotesque". Une petite représentation uniquement épistolaire, mais diablement épicée autant que riche de Pensées Nocturnes éclipsant l'astre s(t)olaire de leurs volutes ténébreuses. Pop-corn sur les genoux et sucette fermement plantée dans la cavité buccale, prenez confortablement place pour une pièce en cinq actes garantie sex-clusive et totalement gras-truite. Et c'est non pas sur la Truite de Schubert mais sur la Marche Nuptiale de Mendelssohn, accompagnée des applaudissements de la foule, que s'ouvre l'ensanglanté rideau …
1) Voilà environ deux années que fut célébrée l’union entre Pensées Nocturnes et Les Acteurs de l’Ombre. Comment en êtes-vous arrivés à vous jurer fidélité l’un l’autre et qui s’est décidé à faire le premier pas ?
Tout n’est ici qu’histoire de pluralité. Comme l’indique à bon droit le proverbe populaire : plus on est de vilains et plus il y a de mains, alors que Les Pensées Nocturnes, elles, ont besoin d’énormément d’attention vois-tu. Un Season Of Mist, Un Nuclear Blast ou Un Century Media n’auraient clairement pas suffi alors que LES Acteurs de l’Ombre, ça commence déjà à avoir de la gueule ! Cette petite bande de pervers corrompus avait déjà les pauvres petites poulettes en ligne de mire depuis un moment, patientant patiemment dans l’obscurité jusqu’à l’âge légal de consommation, comme on dit par chez nous.2) Votre passion est-elle exclusive ou es-tu épris de pulsions adultères (de même que LADLO pourrait être tenté par l’abandon de son actuelle monogamie) ?
J’ai cru comprendre que ma coureuse avait commencé à tendre l’oreille vers d’autres horizons, avec une attention particulière pour les pays de l’Est parce que c’est pas trop mal, ça coûte moins cher et c’est même un peu malade : le panard. Mais il n’y a visiblement rien de très précis pour le moment, aussi si le cœur vous en dit je vous invite fortement à enfiler votre costume de roumaine enflammée (mais gaffe à Hortefeux) sur : prod@lesesacteursdelombre.com. Pour ma part, le côté jet-set bon marché, groupies à la pelle et torche-culs rampants commence à gravement me lourder mais plus de précisions viendront en temps voulu.M'est subrepticement venu à l'idée de poser une question concernant précisément l'acte de consommation de ce conjungo, mais je me ravise à l'ultime moment, décidant pour l'instant de ne pas risquer d'aller plus loin en termes de détails scabreux. C'est que certains spectateurs ont peut-être amené avec eux leur tendre progéniture … Dans ce cas, réjouissez-vous (et n'oubliez pas d'applaudir au passage, comme le veulent ces fichus us et coutumes), car nous avons tout prévu pour ces doux chérubins qui pourront bénéficier du coffret "C’est Pas Sorcier : la Chimie Pharmaceutique au Quotidien" gracieusement offert par LADLO aux 666 premiers spectateurs qui lèveront le pied gauche. A vos marques ! … Prêts ? … Partez ! …
3) Parmi les milles et unes substances circulant et réagissant selon des réactions chimiques complexes en ton cortex cérébral, quelles sont celles qui conduisirent à la synthèse du Vacuum® ? Des prescriptions et/ou des contre-indications concernant cette toute première formulation ?
Que cela soit conceptuellement ou musicalement Vacuum est en fait l’œuvre d’un puceau du manche, d’un jouvenceau sans repère technique ou existentiel, persuadé qu’emprunter le rôle de la pleureuse perdue lui serait salvateur. C’est une sorte de brouillon d’album qui aurait dû rester dans mon tiroir à cachoteries, au milieu de mes déclarations d’amour sulfureuses à la Madame Spears et des cadavres de mes perruches préférées, celles que gamin je ne savais accepter de laisser reposer sous terre une fois le coucou passé. Ah la jeunesse… Aujourd’hui l’album est sold out, et le restera, histoire que l’on ne m’accuse d’abus de biens musicaux. (Désolé de ne pas avoir saisi ta grosse perche d’histoires nocturnes de marins mais perso je ne mange pas de ce pain là). 4) Une tel produit si expérimental a toutes les (mal)chances de laisser un certain arrière-goût d’imperfection voire de maladresse, et tu sembles aujourd’hui rejeter tous tes vieux flacons et autres béchers cérébraux. Ne t’apparais-ce pas injuste sachant que, sans la synthèse du Vacuum®, sans cette étape préparatrice, la nouvelle formulation Grotesque® n’aurait peut-être pas été aussi riche ni aussi profonde et aboutie ?
Un des plus vénérable religieux que la France n’ait jamais porté en son saint, le Sein Râblé, inventeur des « femmes folles à la messe » et par là-même des contrepèteries, mais surtout illustre buveur et amateur de jeune fille fraichement engrossée (préférable, au temps où les capotes ne courraient pas encore les tiroirs), affirma que, telle la cornemuse, l’homme se doit d’avoir le ventre plein s’il veut bien sonner – du cul – (avouons que le Sain Rabelais faisait tout de même de temps en temps des jeux de mots bien pourris du genre : « Le grand Dieu fit les planètes et nous faisons les plats nets »). Or voilà qu’à la composition de Vacuum, ce n’était pas mon ventre qui manquait de plein mais bien plutôt mon esprit, trop tristement simpliste. C’est que lorsque l’on parle philosophie en Black Métalleux, on pense de suite à Cioran, Schopenhauer, Kierkegaard ou autres pensées radicalement pessimistes qui avaient farouchement décidées de camper sur ma table de nuit en ces temps obscurs de crise puérilement existentielle. Mais voilà que le jeunot a muri, psychologiquement en tout cas, et qu’il préfère aujourd’hui l’impertinence de Diogène le cynique, la satire clownesque de Cyrano de Bergerac ou les grivoiseries d’Alcofribas Nasier, bref, le rire moqueur de Démocrite plutôt que la pleureuse Héraclite. Pour un courant qui se donne pour ambition de combattre l’austérité, le fanatisme, la haine de soi et du monde que cultive, en particulier, le catholicisme je dois avouer m’étonner que le Black Metal ait opté pour… exactement la même chose… Bien que les auteurs précédemment cités ne sont pas athées à proprement parler, je crois qu’il n’existe rien de plus efficace que la moquerie, la légèreté, l’autodérision et le cynisme face aux traditions plus ou moins ancestrales, en tout cas fort ridicules, qui font encore loi dans notre quotidien. Depuis presque 30 ans que le BM existe, le monde a quand même bien changé de gueule non ? Ça c’est pour le fond conceptuel, et pour me raccrocher à ta question, Râblé étant médecin (galipette inattendue), il semble évident que tout laborantin passe inexorablement par des phases d’échec avant de trouver le nouvel opium qui révolutionnera le monde des junkies. Mais encore faut-il s’abstenir de partager ces décoctions malsaines sous peine d’altérer le jugement fragile de la masse métalleuse. Car à forcer les chiens à bouffer des croquettes industrielles toute leur vie, on les dispense de pouvoir apprécier comme il se doit un grand cru classé. Les cons ! Les métalleux sont de véritables mouches à vinaigre, de fiers bousiers qui se jettent allègrement sur la merde qu’on leur a toujours servie sans jamais être capable de prendre du recul. Et pourtant un simple reniflement suffit… Non il faut être honnête Vacuum n’a rien d’un album, c’est un véritable torchon, un semblant de brouillon tout au plus. Servez-vous de vos oreilles et cessez de boire les conneries qu’on vous sert. Les chroniques ne sont pas paroles d’évangiles, loin de là.
« Un homme de bien, un homme de bon sens, croit tousjours ce qu'on luy dict et qu'il trouve par escript »…
Tels de délicieux morceaux d'hostie sont délicatement distribuées à la foule les capsules du fameux Grotesque®. Ressentez, tandis qu'en l'organisme le Grotesque® s'absorbe et agit, ressentez comme il balaye, comme il explose, comme il pulvérise la retenue de l'entracte précédent. Détournez les yeux innocents, protégez les chastes oreilles, car de l'arrière-scène surgit tout à coup une orgiaque partouze. De rugueux éléments black metal violant de malicieuses harmonies classiques en des poses insolites, coïts imprévisiblement brutaux d'éléments jazzy et bluesy, noyés en des cris de névrosés et des beuglements de demeurés. Place à la communion impie ! …
5) Le Grotesque a-t-il vraiment un sens ? … Le supposé capharnaüm de compositions a priori décousues … Et au contraire le fort aspect narratif ressortant de multiples écoutes attentives, la trame allégorique où rien ne semble laissé au hasard, retenant ainsi de chuter dans le désordre au sens le plus bordélique du terme … Les parallélismes que je vois entre ton œuvre et cette citation de Gustave Flaubert adressée à Georges Sand me semblent particulièrement intéressants à étudier. Je te la propose en pâture (la citation … tout comme Georges Sand d'ailleurs … si tu la trouves à ton goût, bien sûr) …
Le Grotesque c’est foutre un doigt profond à cette société du toujours plus rapide, toujours plus divertissant et donc du toujours plus vide que le Black Metal d’aujourd’hui illustre à merveille ; c’est rire à gorge décharnée des codes et traditions pathétiques des genres musicaux alors que la plupart des « artistes », incapables de dépassement, sont contraints de faire de nécessité vertu ; c’est chier à la gueule des auditeurs qui chialent telles des vaches pleines lorsque les réponses aux interviews font plus de trois lignes et qu’ils n’en comprennent pas les références insinuées ; c’est perdre les clients dans un dédale de vibrations malgré le fait que la plupart n’ont pas les tripes d’en créer une sortie ; c’est se contrefoutre royalement de ce que l’on attend de toi et de ce que le projet peut devenir ; c’est, en bon fataliste, vomir sur les certitudes et les fanatismes autistes qui tirent les ficelles de ce monde ; c’est lâchement se tenir en retrait pour se glousser de la société et de la condition de tout un chacun en son sein ; c’est préférer les bottes et la boue au soleil et à la foule ; c’est chercher à ne pas être compris pour, pyrrhonisme oblige, avouer son incapacité à construire une vision cohérente et logique du monde ; c’est endosser l’espace d’un instant le rôle de créateur tout-puissant et jouir d’une liberté totale et absolue, seul et contre tous ; c’est, en un mot, comprendre que l’homme est la mesure de toute chose et que cet homme, ce n’est pas la société, l’histoire, la culture, le politiquement correct, les obligations, les on-dit et les lieux communs, mais c’est toi. Ainsi, quand bien même je n’ai jamais testé les thermes/bordel(-iques), le Grotesque, tel le petit chemin sinueux perdu en forêt, recèle bien des sentiers abandonnés et des sens cachés alors que l’autoroute, elle, est à sens unique. Les bolets ne se trouvent pas sous les pas de la foule, pas plus qu’ils ne tombent du ciel. 6) "Grotesque" : une complexité structurelle employée en tant que moyen ou finalité ?
Le moyen. Sans hésiter. Il faut jouer avec la musique, la faire parler, remuer ses émotions, y penser jour et nuit, en rêver même, et la combler de multiples petits détails et de délicates attentions sans jamais rechigner à l’innovation. Il faut y rajouter des couches, en enlever, la travailler fermement en prenant toujours les devants, la tourner dans tous les sens et la tirer de tous les côtés, jusqu’à essoufflement, jusqu’au point où l’inspiration ne vient plus : lorsque tu es intégralement vidé. Et à ce moment précis, rares sont ceux qui s’appesantissent éternellement sur le déroulement détaillé de leurs efforts. Ils préfèrent s’endormir avec leur musique que l’écouter parler. Les musiques ne sont qu’un moyen, elles sont faites pour nous servir.7) Rahu, le serpent de la mythologie hindou, était annoncé sur le troisième morceau. Et patatrak, voilà que ce beau diable investit la scène au beau milieu de "Monosis", le cinquième, exécutant une hypnotique danse au détour du pont à l'atmosphère mystique, puis se retrouve charmé par un entêtant air d'accordéon accompagné d'un solo torturé. Caprice reptilien du créateur du spectacle ou de la bête en question ? Volonté délibérée de brouiller, sinon les œufs, du moins les pistes ? Acte provocateur de remise en question, voire de cassage, sinon de trois pattes à un canard, du moins de la règle "un élément ou une notion = une définition précise" ? … Ou signification encore plus tarabiscotée que les méandres d'un crotale ?
Pour revenir à la question précédente et l’illustrer par là-même avec le processus de réponse, le va-et-vient continuel et effréné d’images ou d’idées entre les différents actes doit être une sorte de mix entre malin plaisir d’emmêler les consommateurs tout en perdant les pinceaux et volonté de former une certaine unité au sein de l’opus. Un album de PN n’est pas une sorte de compilation de morceaux mis bout à bout jusqu’à obtenir une durée suffisante à sa commercialisation : c’est une entité pensée dans sa globalité depuis le départ et il ne me semble pas absurde que ses protagonistes puissent y faire plusieurs apparitions. Pour la petite histoire Rahu est, tel Sisyphe, condamné à éternellement effectuer une action vaine et répétitive et donc, sans rentrer dans les détails, Camus reste la clé pour comprendre la raison pour laquelle il laisse traîner sa fourchue langue par ici. 8) Conçois-tu que "Grotesque" puisse être qualifié, de par ses structures et manifestations particulièrement insolites, de divertissant voire d'amusant, alors que les complexes mécanismes artistiques qui l'animent recèlent milliers de sens plus profonds que le simple divertissement à la portée du vulgum pecus applaudissant mécaniquement lorsqu'on lui balance du spectaculaire (du moins est-ce ainsi que j'interprète le sens de l'ouverture) ? Où situerais-tu le curseur "Grotesque" sur l'échelle des deux extrémités, art et divertissement, qui peuvent revêtir des sens a priori antagonistes ? Et dans une optique plus personnelle, comment sens-tu chez toi la part entre artiste et amuseur public ?
Tu as raison : notre société tourne principalement autour du divertissement léger et sans profondeur mais toujours spectaculaire pour lequel le rire gras et grossier est un habitué de la maison. De la blague carambar made in Ruquier au reality show américain à deux balles, en passant par le cul de Mickael le Jeune, la notion d’humour a pas mal évolué depuis Desproges et Le Luron, suivant rigoureusement la pente en chute libre du niveau intellectuel de toute exhibition publique. L’unique possibilité de s’imposer dans ce monde d’une superficialité patente est de marquer la masse en partant du Mont Buzz et en descendant à vive allure, happé par le vide et la vitesse, le cerveau reposant bien sagement à la maison. Proposer un angle d’attaque trop élevé relève donc évidemment du suicide médiatique mais ça permet de rester à l’ombre d’une production durable et, comme dit précédemment, le soleil c’est pas mon truc. Ainsi, quand bien même ma prose n’en est pas le témoignage le plus flagrant, le rire dans PN a finalement plus vertu de sarcasme que d’amusement. Malheureusement il ne faut pas non plus jouer l’innocent et il est évident que l’exposition qu’a reçu le projet est principalement due à ses affinités avec le hors-norme et le sensationnel, plongé qu’il est dans ce revomi continuellement redigéré et réchauffé qu’est le BM depuis plus de vingt ans. Néanmoins je n’ai jamais cessé de pest-er contre ce genre d’approche au premier degré et de cette préférence pour la forme au détriment du fond qui privilégie la rapidité à la réflexion. Aussi aujourd’hui j’en arrive à une sorte de mépris face à ce système de consommation (aussi peu lucratif soit-il) qui attribue tous les pouvoirs au client-roi, réduisant par là-même le musicien à une simple marionnette : dont l’unique fonction reste de contenter le plaisir puéril d’un auditeur capricieux. Je suis un peu blasé de tenir le rôle de bouffon public, cet amuseur pour pleureuse gothopouffe qu’on croit contenter avec un généreux « merci pour l’add ». Le futur de PN ne sera clairement pas de franchir une marche supplémentaire vers le top 50 « Black-Metal, c’est trop d’la balle ». T’as vu.9) Par ses multiples significations dissimulées autant qu’ambivalentes, "Grotesque" me semble s'adapter à la perception de tout un chacun qui pourra y trouver ses propres résonances, ses propres interprétations. N'aurait-on pas là un aperçu du Monosis, en une individualité recelant milles personnalités en fonction de qui s'y retrouve confronté ? En cela, peut-on aller jusqu'à dire que "Grotesque" est une œuvre universelle ?
Tu as parfaitement raison ! Grotesque la première étape de ma conquête secrète et tyrannique de l’Humanité ayant pour dessein de plonger le monde dans une déconfiture de valeurs, un chaos sans morale, un nihilisme rigoureusement cultivé et fleurissant. Je commence d’ailleurs à recenser un grand nombre d’adeptes fanatiques aux quatre coins de la sphère, allant de mes amis les Mongoles urbains aux tribus africaines pacifiques et libres, en passant par les fiers indiens américanisés made in China et mêmes, mes plus chers sympathisants, les chaleureux Inuits, maîtres des glaçons flottants. Le mécanisme infernal est en marche, bientôt le monde ne sera que capharnaüm et bazar décomposé dont je serais l’unique souverain !Non franchement, je crois que la notion d’universalité est une des idées les plus incroyablement stupides que le bipède n’ait jamais eu la prétention d’inventer. Autolâtrie quand tu nous tiens… Même le grand Lévi-Strauss qui voyait en la prohibition de l’inceste une règle reliant tous les peuples civilisés fut dans le faux, puisqu’au sein de certaines tribus d’Egypte ancienne, le dépucelage des jeunes filles devait obligatoirement passer par le père sous-peine, à défaut, d’être traitées telles de véritables catins.
Qui, excepté les religieux et les moralistes du dimanche matin aurait la prétention de composer, d’écrire ou de penser pour la totalité de l’Humanité ? Dans un monde où l’information est immédiate, où les distances sont monstrueusement réduites et donc dans lequel la confrontation avec un cerveau formaté par un système d’exploitation non-occidental est plus qu’aisée, comment faire preuve d’assez d’orgueil pour formuler ne serait-ce qu’un soupçon de pensée universaliste ? Grotesque n’est pas une œuvre universelle et encore moins le moule musicale de tout un chacun. La musique n’est pas universelle : elle est temporelle puisque limitée aux moyens matériels de l’époque, culturelle car reflet de l’évolution artistique actuelle et sociétale puisque particulièrement liée à l’éducation et à l’entourage de tout un chacun. Tout individu ayant la prétention de considérer sa propre vision de l’art comme modèle absolu de Beauté ne peut-être qu’un misérable autiste incapable d’autocritique et de relativiser ses convictions. La psycho-acoustique nous prouve bien l’impossibilité de généraliser ne serait-ce que l’appréciation des décibels dans chaque zone de fréquence pour tous les individus. Personne n’entend jamais la même chose, c’est physiologique. Et pour les non-convaincus, je laisserais le soin à la grosse tête Devos de conclure : « il m’est arrivé de prêter l’oreille à un sourd. Il n’entendait pas mieux. ».
Grotesque n’est donc que l’unique reflet de ma propre subjectivité, diverse et avariée, mais sans accointance avec une quelconque notion d’universalité. En tant qu’occidental et plus particulièrement en tant que métalleux il t’est évidemment assez aisé de te plonger dans un tel album, mais cette affinité n’est certainement pas commune à tout le monde.
Le souci c’est que toute notre vision du monde est basée sur les notions manichéennes et binaires bien/mal, moche/beau, bon/mauvais, gauche/droite et que tout le système musical tourne autour. Il nous est donc peu évident de faire preuve de modestie à l’égard d’un morceau qui nous laisse indifférent, d’autant plus lorsqu’il est rattaché à une tranche de la population qui nous répugne. Tu es un des seuls chroniqueurs à avoir capté tout l’intérêt de se détacher du mécanisme attribuant le statut d’autorité objective à la subjectivité versatile du chroniqueur-roi. Et je t’en félicite.
Ainsi pour en revenir à ta question, Grotesque est complexe parce que l’homme, la nature, le monde et la vie sont complexes. PN ne développe pas une vision universelle mais nominaliste du monde et tend à montrer que les mots, les concepts, les images ou toute interprétation qui nous permet de nous représenter la réalité ne restent que des outils et ne sauraient se substituer à la matérialité. Un triangle, une droite, « 1+1=2 », tout ça n’est vrai que dans notre esprit car l’unité et l’infini ne possèdent aucune existence réelle. Similairement on ne peut réduire les émotions d’un bipède à l’aide de mots simplistes tels que triste, calme, joyeux, méchant, rigolo… La nature humaine est tout de même un peu plus complexe que cela et PN tâche simplement d’être l’expression de cette évidence.
Illusion ou (ir)réalité ? Hallucinations ou (in)certitudes ? Les repères spatio-temporels s'étiolent … Les éléments ambivalents s'amalgament, s'interpénètrent jusqu'à ne faire plus qu'un tout … Mais là où l'universel processus entropique s'inverse, il se poursuit et s'accentue par ailleurs. Là où les uns fusionnent, l'autre fissionne et l'individu se démultiplie en une kyrielle d'entités. Désormais, nul ne sait plus s'il n'est qu'un ni s'il est plusieurs uns en un tout …
10) Les créateurs se disent souvent accompagnés d’une muse, sorte de chimère représentent leur inspiration. Quelle allure et faciès présente ton Euterpe, et que te chuchote-t-elle au cours de tes longues nuits d’insomnie pendant lesquelles naissent tes pensées nocturnes ?
Si seulement il n’y en avait qu’une… Je crois que les plus influentes appartiennent principalement à la race des pétasses à deux sous (souillés) et à tête de cul malpropre, éternellement plongées dans leur marre de superficialité vestimentaire et existentielle, singulièrement obnubilée par le climat francilien dans l’espoir que le taux de rayonnement solaire marié à leur bain de gadoue épidermique hebdomadaire respecte leur coloris de peau polluée des vapeurs suffocantes parisiennes depuis le plus jeune âge. J’apprécie aussi avec une vive considération la marche matinale des pingouins costumés : ce rassemblement de pions fiers et dociles qui se réchauffent solidairement la couenne par frottement et compression réciproques, bercés des grincements stridents du RER, ce concours quotidien du plus bel apparat vestimentaire qui, à défaut de médaille honorifique, tient lieu et place de pancarte sociale : faut croire que les chaussures savent mieux parler aux hommes que les musiques. Autant s’arrêter là et conclure en avouant que les hommes m’amusent : plus je les observe et plus je les aime. Fiers et majestueux, à courir après le regard des autres, les honneurs, le souci de la bonne petite famille et la délicate grattouille derrière l’oreille, sans jamais une seule seconde prendre de temps pour eux, pour s’écouter, se comprendre et s’aimer. La faute à qui ? A ce capitalisme conquérant qui tous les jours nous écrase de plus en plus en imposant cette dictature de l’image et en posant au sommet de la hiérarchie des personnalités à admirer les blondasses décérébrées et les pieds-bénis. La démocratie du mégaphone qui ne donne la parole qu’aux gens qui n’ont rien à dire, la cage de verre en guise d’intimité grâce aux Facebook et co, le spécial « 10 méthodes pour perdre vos bourrelets de petites gourmandes avant l’été » annuel qui vend plus que le dernier Coffe, pourtant au prix Leader Price, quelle marche la masse a-t-elle franchi pour oublier qu’une bonne bière et un bon sauciflard devant un bon nanar ça vaut tout l’or du monde ? Messieurs-dames, dans l’attente de votre improbable ablation des œillères, je vous aime et vous salue de bien haut !
A bon entendeur salaud comme dirait Michel Gérard Joseph.
11) "Grotesque" fut pour toi l'occasion d'inviter bon nombre de compositeurs des plus prestigieux. Rien que sur "Thokk", nous retrouvons Edvard Grieg dirigeant la mélancolique mort d'Åse et Giuseppe Verdi conduisant le puissant Dies Irea de son Requiem. Par quel moyen les as-tu convaincus de te rejoindre ? Comment fut dicté le choix des passages à exécuter et quelle fut la latitude que tu as laissée à ces deux illustres personnages dans leur interprétation ?
J’ai effectivement dû me plier aux abondantes prières de compositeurs souhaitant chaudement participer à cette magnifique aventure qu’est PN et consentir à la participation de quelques virtuoses du doigté. Tu as cité les plus intéressés, les plus prompts à l’exercice de promotion que furent Edvard et Guigui mais d’autres, tels Berlioz, Mahler, Brahms ou Tchaïkovsky pour ne pas les citer, ont tenu par pudeur et modestie à rester discrets et ont donc collaboré à l’ombre de mes éblouissantes élucubrations. Il n’est sincèrement pas évident d’incorporer de telles partitions dans ses propres ouvrages, partagé que l’on est entre l’intention de ne pas les reprendre à l’identique pour éviter tout plagiat et la nécessité de modestement respecter les œuvres originales sous peine de tomber sous le joug de la prétention. Ainsi donc le fait que certaines références soient plus évidentes que d’autres à cerner, le tout incarnant finalement une sorte de quizz musical tendance hebdomadaire féminin au sein de Grotesque. L’album devait d’ailleurs initialement s’intituler « Exclusif : 54 minutes pour tester le mélomane qui se cache en vous ! ». Mais ça n’a pas plu à Gérald. 12) Venons-en, pour ce douzième coup de minuit, au fameux coucou qui, malgré une apparition des plus fugitives, a irrémédiablement marqué les esprits … à un point où il s'élèverait presque au rang de mascotte de Pensées Nocturnes ! … Et que tu risques de devoir encore traîner au bout de ta laisse un bon moment … Ce bougre de coucou sort comme un diable de sa boîte au cours de "Hel". Hel est la fille de Loki, lui-même 13ème Dieu de la mythologie nordique … une manière habile d'utiliser un élément frivole pour se moquer de la triskaidékaphobie et plus généralement des superstitions et légendes ? Et l'image de Thokk, qui n'est nul autre que Loki revêtant son déguisement …un parallèle avec les multiples déguisements dont tu affubles le sens de ton œuvre ? Une extrapolation du comportement humain qui, à la façon d'un oignon, revêt multiples pelures afin de déguiser sa vraie nature intérieure ?
On en arrive à la fin de l’entrevue et ton cerveau surchauffe tant que tu ne sembles pas voir la poutre qui te crève l’abcès. Hel est tout simplement la déesse de la mort, cette dernière étant singulièrement démystifiée ici par le souvenir du temps qui passe avec la cursive incursion du joyeux coucou ; histoire de rappeler aux consciences qu’il semble curieux de faire tout un foin d’aiguille de poutre d’un évènement somme toute plutôt bref et banal. Après la mort, le deuil. Baldr, tué par Loki, se voit offrir la possibilité de quitter le monde des morts à la condition que tout être sur terre pleure sa perte. Seule une géante parmi tous les individus refuse de se plier au jeu et je te le prends pour mille : il s’agit de Thokk. Ainsi le fait que ce septième et avant dernier acte de Grotesque se termine sur la banalité « Les tombes sont bien plus fleuries que les lits de mort », incarnation de l’individualisme hypocrite de l’homme moderne. Pour reprendre la pensée d’Onfray, nous qualifions aujourd’hui de barbares les peuples anthropophages accompagnant par cette pratique même le défunt dans l’au-delà et nommons civilisé le fait de laisser partir seul et dans un lit d’hôpital austère nos ancêtres en fin de vie, préoccupés que nous sommes par nos petits tracas de la vie quotidienne. C’est pas toi qui parlais d’universelle ?
Le 12ème coup de minuit sonne et tout reprend brusquement sa forme originelle : l'élégant carrosse redevient citrouille, les fiers chevaux redeviennent souris, le cocher redevient chien, les valets de pieds redeviennent petites grenouilles et public comme acteurs reviennent à la réalité … ou du moins à ce qu'ils croient être tel … Le spectacle s'achève et l'heure est désormais à la révérence …
13) Merci à vous spectateurs, pour votre attention, et merci à toi, Vaerohn, pour cette représentation donnée en exclusivité pour les Trublions. M'éclipsant discrètement tel Cendrillon regagnant ses pénates, je te laisse seul en scène pour tirer ta révérence (en souhaitant qu'elle soit bonne, la coquine) comme bon te semble …
Treize coups pour tirer ma révérence ? Tu ne me gattes pas trop… pour le coup. En même temps le peu d’audimat qui nous a survécu baille à s’en choir les crochets et mieux vaut ne pas trop s’éterniser. Merci à toi pour les perches tendues, les jeux de mots tirés par les chevaux et les images grivoises. A la prochaine pour de nouvelles aventures ! Dans l’espoir que les calembours pourris et les lourdeurs syntaxiques ne vous aient pas déjà découragés d’aller voir plus loin si elles y sont.
Rideau, tandis que le coucou se joint à Nounours pour vous souhaiter bonne nuit les petits …
Que le sable soit grossier. Ainsi suinte l’île.
Interview réalisée par Vinterdrøm